Vous êtes ici

Abo

Swatchmobile

«Du bon boulot, à moi de le vendre!»

Avec son projet de petite voiture écologique dans l’esprit Swatch, Nicolas Hayek a tenté de révolutionner le monde de l’automobile. Le documentaire «The Swatch Car Project» retrace les heurs et malheurs de cette formidable aventure

Stuttgart, mars 1994: Nicolas Hayek, Helmut Werner (derrière lui, président du conseil d’administration de Mercedes), et Jürgen Hubbert (à sa droite, chef du projet de la Smart), lors de la présentation du 1er prototype. A-Keystone

Philippe Oudot

C’est un vibrant hommage à l’esprit novateur de Nicolas Hayek que le Swatch Group s’apprête à rendre ce soir sur les ondes de la chaîne privée Star TV (voir «Faces & Traces»). C’est en effet la toute première fois que sera diffusé «The Swatch Car Project», film documentaire réalisé par François Vives en 2003, et consacré au projet de la Swatchmobile.

Un projet pour le moins ambitieux: construire une petite voiture urbaine à deux places, avec un coffre pour y mettre deux caisses d’eau minérale, qui soit à la fois écologique, simple mais de qualité, d’un coût modeste, avec cette touche provocatrice dans l’esprit Swatch.

Au travers d’une foule d’images d’archives, de documents d’époque, et d’interviews des principaux protagonistes, «The Swatch Car Concept» retrace l’extraordinaire aventure de la Swatchmobile portée par Nicolas Hayek. Une aventure à propos de laquelle il dira, juste avant le générique de fin, ces mots qui trahissent une certaine amertume: «La Smart est certes meilleure que la plupart des voitures, mais ce n’est pas celle que j’avais imaginée.»

Sceptiques

L’aventure démarre en 1990, quand Nicolas Hayek dévoile son projet, véritable pavé dans la mare des grands constructeurs automobiles qui se montrent  pour le moins sceptiques. Fin connaisseur du milieu, Philippe Gallard souligne à quel point les constructeurs sont, à l’époque, figés dans leurs certitudes et voient d’un œil méfiant l’arrivée de cet horloger qui veut leur faire la leçon alors qu’il ne connaît rien à l’automobile.

Un monde qui, en réalité, ne lui est pas inconnu, rappelle Nicolas Hayek: «Avec ma société de conseils Hayek Ingeneering, j’ai travaillé comme consultant pour nombre de marques – VW, Mercedes, Ford. Je connaissais donc leurs directeurs et leurs usines!» Avec sa notoriété et leur force de frappe, il est persuadé qu’il est possible de construire une voiture écologique sur la base d’un concept totalement novateur et la produire en quantités industrielles.

Pour concrétiser son projet, il engage une équipe de jeunes ingénieurs avec, à leur tête, Jacques Müller – co-inventeur de la Swatch, avec Elmar Mock. Ils travaillent dans le plus grand secret. «C’était un défi incroyable, hypermotivant! Il fallait bien sûr apprendre un autre métier. Mais si l’industrie automobile est différente de l’horlogerie, la mécanique de base, les difficultés et les défis sont comparables d’un point de vue technique», explique-t-il, face caméra.

«La Smart est meilleure que la plupart des autres voitures, mais n’est pas celle que j’avais imaginée», avoue Nicolas Hayek dans le film. LDD

Tout est possible

L’équipe travaille dans une atmosphère euphorique. Les ingénieurs imaginent des solutions totalement novatrices. Le système de transmission notamment. La Swatchmobile sera ainsi un véhicule hybride doté d’un petit moteur thermique qui alimentera quatre petits moteurs électriques logés dans chacune des roues. De quoi supprimer le système de transmission traditionnel, alléger le véhicule et en faire un 4x4, beaucoup plus performant que les 4x4 traditionnels.

On découvre dans le film les images des premiers essais effectués… au Stade de Glace où le prototype dame largement le pion aux autres 4x4.

Les ingénieurs vont même plus loin et mettent au point un joystick en lieu et place d’un volant. Et on voit Nicolas Hayek en personne aux commandes du proto dissimulé sous la carcasse d’une vieille Honda modifiée. Enthousiaste, le boss a ce mot pour ses ingénieurs: «Vous avez fait du bon boulot. Maintenant, à moi de le vendre!»

Visages fermés

C’est avec Volkswagen que Nicolas Hayek trouve un partenaire, avec qui il réalise un joint-venture. Comme le souligne Daniel Goedevert, alors président du directoire de Volkswagen, les premiers contacts sont «polis mais tendus» entre les rigoureux ingénieurs allemands et la jeune équipe créative biennoise.

Les visages fermés qu’on voit à l’image lors d’une première rencontre à Wolfsburg, au siège de Volkswagen, en disent long sur l’ambiance… Alors que les premiers envisagent quelques améliorations sur la base de la plate-forme de la VW Chico, les seconds veulent repenser la voiture de A à Z. Comme ce fut le cas avec la Swatch. Nicolas Hayek les soutient: «Si c’est un produit traditionnel, ce n’est pas l’esprit Swatch.»

Les uns et les autres font des efforts. Des ingénieurs allemands viennent à Bienne. «VW les a sans doute envoyés pour qu’ils s’ouvrent à notre philosophie et deviennent plus créatifs», constate Hans de Graaf, chef mécanicien du team biennois. Finalement, les positions des uns et des autres se rapprochent. Le succès des tests effectués durant l’hiver 1992 en Suède – le prototype tient bien mieux la route que les 4x4 traditionnels, y compris sur glace vive – démontrent aux gens de VW que les ingénieurs biennois sont loin d’être des petits rigolos.

«Des lavettes!»

Mais des nuages surgissent en juin 1992: à Wolfsburg, les ingénieurs de la Swatchmobile dévoilent à la direction du géant allemand leur premier véritable prototype entièrement conçu et fabriqué de A à Z par l’équipe. Mais Ulrich Seiffert, membre du directoire, n’est pas convaincu par le mode de propulsion. Face à cette résistance, Jacques Müller lâche: «Ce sont des lavettes!»

Et c’est sans compter sur le nouvel homme fort de VW, Ferdinand Piëch, qui veut une voiture traditionnelle. «Avec Goedevert, nous avions un ami. Plus avec Piëch», note sobrement Jacques Müller. C’est le divorce. VW abandonnant la partie, Nicolas Hayek rachète au groupe ses actions. Vient alors l’heure des interrogations. Et si l’équipe poursuivait l’aventure seule? Enthousiaste, Jacques Müller estime que c’est possible. Mais pas Nicolas Hayek. «Seuls, nous aurions pu produire quelques milliers d’exemplaires par an. Mais le but, c’est d’en fabriquer en grandes séries pour réduire les coûts et assurer une distribution internationale!»

A découvrir ce soir et lundi prochain à 20h15 dans l’émission «Faces &Traces», sur la chaîne Star TV

Première grande sortie de la Smart en septembre 1995: au volant, Nicolas Hayek avec, à ses côtés, le chancelier allemand de l’époque Helmut Kohl.  LDD

«Avoir raison après l’accident ne sert à rien…»

Micro Compact Car  Après le retrait de Volkswagen, plusieurs constructeurs font les yeux doux à Nicolas Hayek. Au final, il choisit le géant Daimler Benz avec qui il fonde la co-entreprise Micro Compact Car. Daimler Benz détient 51% du capital, et Nicolas Hayek les 49% restants. Mais très vite, les ingénieurs de Mercedes pèsent de tout leur poids dans le projet, et les Biennois n’ont plus vraiment voix au chapitre.

Lors d’une conférence de presse présentant le projet, désormais baptisé Smart (contraction de Swatch, Mercedes et Art), un journaliste demande à Nicolas Hayek: «Est-ce l’enterrement de la Swatchmobile?» En tout cas, «c’est en effet la fin d’une aventure», constate l’ingénieur du team biennois Denis Berdoz, «mais nous n’aurions jamais pu aller au bout tout seuls». Quant au boss de Swatch Group, il admet que son projet perd une partie de son identité, «mais il faut savoir faire des compromis pour atteindre son objectif».

La patte Mercedes  Plus le projet avance, plus il est marqué par la patte Mercedes, et l’image «classe» de la marque. Le système de propulsion conçu par les ingénieurs biennois passe aux oubliettes, et il apparaît bien vite que la Smart ne sera pas la voiture bon marché – 12000 à 14000fr. – et écolo imaginée au départ.

Malgré les mises en garde de Nicolas Hayek qui pointe du doigt le gaspillage, les coûts du projet prennent l’ascenseur. Alors directeur des finances du Swatch Group, Edgar Geiser constate que son boss a de plus en plus de peine à faire passer ses idées et compare le projet Smart à un gros navire dont la force d’inertie le rend difficile à manœuvrer.

Des dizaines de villes européennes sont en lice pour accueillir l’usine ultramoderne qui produira la Smart – dont Bienne. C’est finalement Hambach, dans la Moselle, qui décroche la timbale.

Mais le projet prend du retard, notamment en raison de difficultés techniques. Finalement, la voiture sort en automne 1998, mais ne satisfait pas vraiment Nicolas Hayek, qui estime ne plus pouvoir cautionner la poursuite de cette aventure: «Ça ne sert à rien d’avoir raison après l’accident, il faut agir avant. En voyant l’évolution du projet, j’ai dit à mes partenaires que je ne prenais pas de responsabilités des pertes à venir.»

Il quitte donc le navire et vend ses parts à Mercedes. Après des débuts pour le moins laborieux – la production de la Smart a failli être abandonnée –, la petite voiture urbaine aux mains de Mercedes trouve enfin sa place sur le marché.

Faces & Traces

Dès aujourd’hui, Swatch Group lance sa propre émission de télévision sur la chaîne privée zurichoise Star TV diffusée par Swisscom TV.

Elle démarre ce soir avec le documentaire «The Swatch Mobile Project». Présentée tous les lundis soirs de 20h15 à 21h15 et intitulée «Faces &Traces», elle va permettre au Swatch Group de présenter les nombreuses facettes de ses activités.

«Par exemple notre contribution à Solar Impulse ou à l’hôpital volant Orbis, dont Omega est partenaire, ou les activités de Blancpain liées au monde sous-marin. Des documents qui, autrement, ne passent que sur de grandes chaînes internationales comme National Geographic Channel», indique Nick Hayek, CEO du Swatch Group. «Ce sera aussi l’occasion pour nous de parler de formation et de promouvoir l’apprentissage, essentiel pour nos activités industrielles.»

Toujours dans le coup

Si la Swatchmobile dont rêvait Nicolas Hayek ne verra finalement pas le jour, son fils Nick Hayek assure que le jeu en valait malgré tout la chandelle: «Ce projet nous a appris qu’on ne pouvait pas construire une voiture seuls, et que c’était très difficile de le mener avec un partenaire. Mais nous n’avons pas tout abandonné: désormais, nous nous concentrons sur des composants.»

Dans le domaine des batteries par exemple. En février, le Swatch Group annonçait en effet que sa filiale Belenos Clean Power avait développé une batterie deux fois plus performante que celles qui existent sur le marché. De quoi intéresser les constructeurs automobiles. Et comme le souligne Nick Hayek, le Swatch Group a les moyens de la produire grâce à son entreprise Renata, leader mondial des micro-piles – elle n’en produit pas moins de 800000 par jour.

Selon Nick Hayek, cette super-pile pourrait sortir sur le marché dans le courant 2016.


 

Articles correspondant: Automobiles »