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Moutier

«J’attaquais des idées, pas des gens...»

L’animateur Patrick Dujany de La Première et de Couleur 3 s’épanche sur la plainte du Sanglier, ses rapports avec la région, sa ville de Moutier... et ses liens avec Le JdJ

Duja dans les locaux du JdJ. Bille en tête, évidemment! (Pedro Rodrigues)

Pierre-Alain Brenzikofer

A l’origine du coup de fil, il y avait cette volonté de le relancer pour une chronique dans Riffs Hifi, la page rock du JdJ. Seulement, comme qui dirait, on s’est un peu fait dépasser par l’actualité. Soit par cette plainte du Sanglier clouant au pilori Meury et Duja. Bon, depuis, Meury et Houriet ont en quelque sorte remis les pendules à l’heure.
Alors? Alors, seuls les esprits soupçonneux décèleront dans les lignes qui suivent un exercice de rattrapage ou d’équilibrisme! Damned! les rapports entre Patrick Dujany – oui, Duja – et Le JdJ sont si anciens qu’il nous a tout à coup semblé naturel de le titiller à propos de sa «Paire de baffles», sur Couleur 3. Celle qui lui a valu une plainte du Sanglier, donc. D’habitude, quand on l’interroge, c’est plutôt sur la musique, sur son groupe MXD ou désormais sur «Bille en tête», l’émission de rencontres impromptues et inédites qu’il anime avec Philippe Ligron, de 9h30 à 10h, du lundi au vendredi, sur La Première.

Un journal rock

«Mes premiers rapports avec Le JdJ se sont évidemment faits par le biais du rock. D’ailleurs, c’est effectivement le journal le plus rock de la région. A l’époque, il était par exemple le seul à passer les communiqués des groupes régionaux dans leur intégralité. Le Pays et Le Démocrate les censuraient toujours…»
Ces souvenirs, il se les remémore avec plaisir, Duja. Même s’il est depuis longtemps exilé en Lémanie: «Avant, bien avant, je faisais du rock à Eschert. Vous voyez que ça mène à tout. Et que dire de notre réunion avec les groupes joulots? L’unité du metal transjurassien était faite.»
Juste après, il y a eu le football et le hockey. Il se souvient avec nostalgie de cette période bénie où Le JdJ publiait des pages entières de résultats et de classements jusqu’aux juniors: «Les gens adoraient ça. Ces pages plaisaient d’ailleurs à tout le monde.»
La politique, dans tout ça? «Eh bien, à la maison, nous avons toujours lu Le Journal du Jura comme Le Démocrate. Il nous fallait connaître l’adversaire, rigole-t-il. Sûr, pareille attitude constitue un bon contrepoids à une information mono. Je sais que certains autonomistes refusent de lire Le JdJ. Mais d’autres se montrent plus ouverts. Il faut les deux tendances pour avoir un Polaroïd. Et pour s’énerver, aussi, parfois. Ce qui est valable des deux côtés. »
Parenthèse importante, Duja est plus que jamais partant pour écrire dans Riffs Hifi, ainsi qu’il l’a déjà fait à plusieurs reprises. Certains autonomistes le lui ont d’ailleurs reproché....
Dites! on vous sent comme bouillir d’impatience. Alors, oui, passons enfin à cette chronique sur Couleur 3 qui lui valu l’ire de nombreux plaintigrades. Duja n’en a pas fait une maladie. Ce qui l’énerve, c’est que les auteurs de la plainte ont sorti des phrases de son contexte: «C’est une chronique radio reposant sur une musique. Tout est musical. C’est notamment pourquoi j’ai parlé de ‹La danse des connards›. Mais qu’on ne compte pas sur moi pour faire une explication de texte. Je ne regrette rien. J’attaquais des idées, des attitudes, voire une certaine idéologie reproduite par certains mouvements ou partis. Mais en aucun cas les gens du Jura bernois en tant que tels!»

«La démocratie a triomphé»

Cela dit, il souligne que la démocratie a triomphé le 24 novembre. Et il s’incline: «Ce qui ne veut pas dire en démocratie que sur le long terme, ceux qui gagnent ont toujours raison! En tout cas, cette plainte, je m’en fous complètement. J’y décèle une attitude de délation et de dénonciation qui sent un peu la milice collabo. Plutôt que cela, j’aurais préféré une réponse cinglante mitonnée par quelques plumes acérées. Mais je tiens désormais à passer à autre chose.»
Bon prince, il accepte toutefois d’expliquer le principe de «Paire de baffles»: «Chaque semaine, je dois rédiger un fait d’actualité lié à la musique sur 2 minutes 30. L’axiome consiste à faire preuve d’un maximum de mauvaise foi et de subjectivité. Bref, le postulat de base n’est déjà pas objectif.»
Alors, oui, il a attaqué le Groupe Sanglier et ce qu’il nomme «une certaine radicalisation du conservatisme» dans la Vallée. L’animateur a désormais l’impression que beaucoup d’ouvriers votent à droite et avoue avoir toutes les peines du monde à comprendre ce repli.

Pas tous méchants

«Mais les gens ne sont pas tous méchants ici, s’emporte-t-il. Malheureusement, cette plainte ne donnera pas d’eux une image ouverte et positive à l’extérieur.»
C’est pourquoi il s’efforce dans «Bille en tête» de mettre en avant des aspects méconnus du Jura bernois comme du Jura. Ce qui, soutient-il, n’est pas toujours évident. «Avant la votation, j’avais l’impression que les gens de Saint-Imier et de Porrentruy avaient plus de points communs que ceux de Reconvilier et de Grindelwald, lâche-t-il, un brin déconfit. Je me suis trompé… »
Il jure par ailleurs qu’il écrit toujours ce qu’il pense: «Mais je ne suis pas journaliste. Je suis un saltimbanque et un amuseur. Et puis, je m’en suis aussi pris au Bélier ou à la gauche.» Il admet toutefois surtout prendre pour cible ceux qui ne lui plaisent pas: les multinationales, la finance, les banquiers, le conservatisme et l’intolérance. «Il y a des gens de droite qui pensent la même chose que moi.»
Reste à savoir qui s’est le plus énervé l’autre jour. Le patriote jurassien ou le saltimbanque? Y aurait-il un peu de schizophrénie dans tout ça? «Hep! je me considère d’avantage comme un progressiste que comme un patriote jurassien. J’imaginais ces deux entités un peu paumées unir leur destinée, surtout à l’heure des fusions de communes. Mais ça arrivera un jour. Berne, Jura et Neuchâtel seront réunis dans un ensemble plus grand. Comme Vaud et Genève fusionneront. Ici, on aurait pu commencer par ce petit bout…»

Glauque, le Sud?

A part ça, le Sud serait-il aussi glauque que d’aucuns le prétendent? «Ça dépend à quelle heure et avec qui... Dimanche, je me promenais en direction de Belprahon. Quelle superbe lumière! Nous habitons vraiment un beau pays. Alors, glauque, non! Certes, je viens d’ici. Alors, il est vrai qu’un étranger qui traversera Reconvilier un dimanche soir à 18h ressentira comme un effet Twin Peaks. Tenez, je suis persuadé qu’on pourrait faire une fête fantastique à Choindez. Et puis, le Jura bernois comme le Jura ont un sens de l’accueil fantastique. Tous les groupes de rock venus d’ailleurs le confirmeront. Ça contrebalance les visions glauques. De toute façon, il y a de très beaux endroits dans le Lavaux qui sont habités par de vrais cons. »
Sans utiliser le moins du monde ce qualificatif pour l’UDC, il reproche à ce parti de représenter l’inverse d’un nationalisme et d’un patriotisme intelligents: «Qu’ils arrêtent de stigmatiser l’étranger. On est tous contents que la Suisse aille au Mondial. Mais tel n’aurait pas été le cas sans les joueurs originaires des Balkans. Quand on sait la chance que nous avons de vivre dans ce pays! Dans ‹Bille en tête›, je m’efforce justement de mettre en avant la richesse de nos différences.»

Une île, Moutier?

Et l’enfant de Moutier? Aurait-il un peu l’impression de vivre sur une île depuis le 24 novembre? «C’est un peu comme l’île Saint-Pierre. On peut y aller à pied. Mais elle n’a pas encore trouvé son Rousseau. Au surplus, tout cela commence à me fatiguer. Si Moutier va dans le Jura, on réparera une erreur de l’histoire. Mais qu’on s’arrête là.»

 


 

«S’ils m’invitent...»

Bille en tête. Forcément, on terminera cet entretien avec le Groupe Sanglier: «Sur le Facebook d’un de ses membres, j’ai découvert que ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était le Christ et les Ford Mustang. Quel dommage que Jésus n’ait jamais passé son permis de conduire...»
Et «Bille en tête»? Peut-on miser sur de futurs et croustillants épisodes dans le Jura bernois?
«Eh bien, j’attends une invitation des Sangliers. S’ils ont de bonnes propositions à faire concernant la distillation de la gentiane ou une particularité propre à la vallée de Tavannes. S’ils veulent mettre en avant quelque chose appartenant au patrimoine culturel et gustatif de leur région, je viens volontiers. Et même si la plainte aboutit, je le précise! C’est un peu mon côté ‹Je tends l’autre joue›. Mais je n’ai pas de Ford Mustang…»

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