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Paysans

Le lait n’est plus l’or blanc d’antan

Le président de la Chambre d’agriculture du Jura bernois (CAJB) s’inquiète de l’avenir de la production laitière

  • 1/4 Bernard Leuenberger souhaiterait voir se développer de nouvelles filières locales de transformation du lait produit dans le Jura bernois. Surtout, il appelle les consommateurs à renoncer au tourisme d’achat. Photo ©: Stéphane gerber
  • 2/4 TRAITE 7 JOURS SUR 7. Vu le prix pratiqué, certains y renoncent pour élever des vaches mères ou du jeune bétail. Photo ©: Stéphane Gerber
  • 3/4 LIVRAISON EN CAMION. Tout le lait récolté quitte le Jura bernois pour y être transformé.. Photo ©: Stéphane Gerber
  • 4/4 CONSOMMATION UN VERRE DE LAIT. Des actions sont régulièrement lancées pour inciter les jeunes à boire du lait. Photo ©: Swissmilk
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Le contexte

La Chambre d’agriculture du Jura bernois tient son assemblée annuelle ce matin à Sonvilier. Président de l’association faîtière des paysans depuis quatre ans, Bernard Leuenberger, de Court, se fait du souci pour les producteurs de lait d’industrie, le prix par kilo ayant baissé de 11 centimes en un an. Il craint que certains choisissent «d’arrêter de traire».

Stéphane Devaux

Cinquante-trois centimes par kilo de lait d’industrie, contre 64 il y a encore à peine plus d’un an: le prix payé aux producteurs est une sacrée source d’inquiétude pour la Chambre d’agriculture du Jura bernois (CAJB). Son président, Bernard Leuenberger, ne doute pas que le débat sera vif ce matin, à Sonvilier, à l’occasion de l’assemblée annuelle de l’organisation faîtière de la Berne francophone. Surtout qu’elle accueillera Hanspeter Kern et Daniel Koller, respectivement président et secrétaire romand des Producteurs suisses de lait (PSL), qui tenteront de donner des perspectives d’avenir aux producteurs présents.

Faire vivre deux familles

«Le prix de 64 centimes, au début de l’année dernière, pouvait être considéré comme satisfaisant. Mais dans le courant de l’année, comme la production était excédentaire, on nous a annoncé une baisse de 8 cts, puis, dès le 1er février, une nouvelle baisse de 3 cts. A ce prix-là, j’ai bien peur que certaines exploitations se retrouvent à un seuil critique», précise Bernard Leuenberger, lui-même à la tête d’un domaine au Mont-Girod, à 900 mètres d’altitude, au-dessus de Court. Ou plutôt faudrait-il dire une communauté d’exploitation, qu’il gère avec sa femme et son fils. «Un domaine à la taille un peu supérieure à la moyenne, mais qui doit faire vivre deux familles», ajoute-t-il. Deux familles qui, en l’occurrence, doivent composer avec une baisse de revenu mensuel de 2000 francs. Eh oui, grosso modo, c’est le manque à gagner sur les quelque 20000 litres de lait que produit le domaine chaque mois.
Notre homme ne se voile pas la face:la situation actuelle crée un grand malaise. Car les producteurs de lait comprennent de plus en plus mal ces baisses, alors, qu’en parallèle, les contraintes ne cessent de croître. «De nombreux agriculteurs ont dû consentir de gros investissements, notamment pour mettre leurs installations en conformité avec la nouvelle loi sur la protection des animaux. Ils n’avaient pas d’autre choix que de mettre leur écurie aux normes... Quant aux charges liées aux assurances ou à l’entretien des machines, elles restent au même niveau.»

Toujours moins de fermes

Pour Bernard Leuenberger, le risque est grand de voir certains paysans «arrêter de traire», céder leur droit de livraison de lait à un voisin et passer à tout autre chose. L’élevage de vaches mères ou de jeune bétail, par exemple. Ce qui, dans une région vouée à l’élevage et à la production laitière, n’est pas très bon signe. Car si, globalement, les exploitations agricoles continuent de diminuer dans le Jura bernois (il en restait 576 en 2014, soit sept de moins qu’un an auparavant et 49 de moins qu’en 2008), celles qui se consacrent au lait d’industrie ont tendance à diminuer encore plus vite.
Seul motif de satisfaction, certains ont passé à la production de lait pour le fromage, principalement le gruyère et la tête-de-moine, deux produits bénéficiant d’une AOP(appellation d’origine protégée). Mais si le prix payé à la production est plus élevé, les contraintes le sont aussi. Le bétail ne peut être nourri qu’avec du fourrage sec, ce qui exclut sa conservation en balles de plastique, ainsi que l’ensilage. «Ces producteurs sont beaucoup plus dépendants de la météo», fait remarquer Bernard Leuenberger. Actuellement, les producteurs laitiers du Jura bernois se répartissent en deux camps presque égaux, lait industriel d’un côté, lait de fromage de l’autre.
Le président de la CAJB veut malgré tout rester optimiste. Il n’imagine pas qu’un jour, on ne produise plus de lait dans nos vallées. Mais pour éviter d’en arriver là, il faut, selon lui, impérativement «mettre tous les acteurs autour d’une table». Et parvenir, non seulement à produire, mais aussi à valoriser ce lait. «Actuellement, il n’est absolument plus transformé dans la région. La Miba (réd: l’ancienne fédération laitière du nord-ouest de la Suisse, qui englobait les vallées jurassiennes) ne fait qu’acheter et revendre notre production». Notamment aux géants que sont Elsa (société de la Migros, à Estavayer/FR) ou Emmi, qui la transforment en crèmes, yoghourts et autres boissons lactées.
Pour Bernard Leuenberger, il serait temps que des filières de transformation locales se mettent en place, prêtes à élaborer des spécialités – des fromages à pâte molle, par exemple – à partir de ce lait dit industriel. De même, il en appelle aux consommateurs, pour qu’ils privilégient le commerce local au tourisme d’achat, par-dessus les frontières.
A ses yeux, il en va de la survie d’une des activités les plus emblématiques du Jura bernois: la production de lait. Qu’on a de plus en plus de peine à baptiser «or blanc».

«On n’a que deux bras!»

Réélection

Président de la Chambre d’agriculture du Jura bernois depuis quatre ans, Bernard Leuenberger est candidat à sa propre succession. Jusqu’à mercredi, aucun autre candidat n’avait manifesté sa volonté de lui ravir la présidence. Quelqu’un se fera-t-il connaître à l’assemblée même?  C’est théoriquement possible mais assez hypothétique. En plus du président, le comité directeur est aussi soumis à réélection.

Terroir

Le président de la CAJBest acquis à l’idée de la valorisation des produits labellisés «terroir», portant le logo ad hoc. «Mais ce sont surtout des produits laitiers et de la viande. Le reste, ce sont des produits de niche», souligne-t-il. A ses yeux, la diversification a ses limites. «C’est une chose de développer un à-côté pour augmenter le revenu, mais encore faut-il avoir la main-d’œuvre. On peut retourner le problème dans tous les sens, mais on n’a que deux bras et les journées n’ont que 24 heures!»

Politique agricole

Une des tâches de la Chambre, c’est de prendre position sur les questions qui préoccupent la profession. Bernard Leuenberger songe déjà, entre autres, à la future politique agricole, qui entrera en vigueur à partir de 2018. Et aux corrections à apporter par rapport à la PA 2014-17. «On est allés très loin dans les exigences faites aux paysans en matière d’entretien du paysage. J’ai peur, moi, qu’on perde de vue notre rôle premier de producteurs de denrées alimentaires. Déjà qu’on ne fournit plus que 52% des produits que consomme la population suisse. Tout le reste, on l’importe.»

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