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L’avocat de l’agriculture familiale

Directeur de la Fondation rurale interjurassienne depuis sa création en 2004, Olivier Girardin plaide pour une agriculture à forte valeur ajoutée. A ses yeux, les paysans des vallées jurassiennes sont sur la bonne voie

Natif de Cornol, Olivier Girardin a étudié et travaillé 12 ans en Afrique. De retour dans le Jura, il croit plus que jamais dans une alimentation préservant les ressources de la Terre. Stéphane Gerber

Propos recueillis par Stéphane Devaux

Le contexte: Dans notre série «Cartes sur table», faites connaissance avec Olivier Girardin, directeur de la Fondation rurale interjurassienne depuis sa création en 2004. Cet ingénieur agronome, qui a travaillé 12 ans en Afrique de l’Ouest, est convaincu que l’agriculture familiale est la mieux à même de préserver les ressources naturelles, en premier lieu la terre et l’eau. Ici comme là-bas.

Olivier Girardin, la Fondation rurale interjurassienne a pour objectif de soutenir la population rurale dans les mutations en cours. Or, chaque année, plusieurs familles paysannes mettent la clé sous le paillasson. Pas très encourageant, comme mutation, non?

Non, mais les arrêts d’exploitation correspondent souvent à des changements de générations. Il s’agit en général d’entreprises où il n’y a pas de repreneur. Nous, à la FRI, nous aidons à la transition sous toutes ses formes. Un des éléments-clés, pour assurer une bonne transition, c’est la bonne gestion des exploitations.

La taille des domaines joue un rôle, évidemment, et sur ce plan, la région jurassienne est plutôt bien lotie puisque le Jura a, en moyenne, les plus grandes exploitations du pays (40 hectares). Le Jura bernois est légèrement en dessous, mais il offre quand même les plus grandes surfaces du canton. Autre élément essentiel, le choix des productions.

Bien sûr, notre région est tournée vers les herbages et l’élevage bovin, mais celui qui, par exemple, voudrait passer du lait d’industrie au lait de fromagerie, gruyère ou tête-de-moine, ne peut pas le faire du jour au lendemain.

Votre action s’inscrit dans un contexte économique et politique...

Absolument. Le gros de l’évolution, dans la politique agricole fédérale, s’est fait avec l’introduction des paiements directs et la reconnaissance des tâches principales des paysans: nourrir la population, bien sûr, mais aussi maintenir la biodiversité, entretenir le paysage et assurer une occupation décentralisée du territoire.

Des régions périphériques comme l’Arc jurassien peuvent ainsi promouvoir des activités économiques liées à l’agriculture. Comme la fabrication de tête-de-moine, par exemple. Dans ce contexte, nous avons développé un outil d’optimisation des revenus, qui permet à l’agriculteur de trouver le meilleur équilibre entre ces différentes fonctions.

Pourtant, vivre de la production laitière ne va pas de soi, vu les prix pratiqués.

Non, effectivement, le prix payé aux producteurs est un gros souci, car un montant de 55 centimes par kilo ne couvre pas les coûts de production. Avec l’abandon des quotas laitiers, de nombreux agriculteurs ont augmenté leur production et, sur le plan national, les producteurs ne sont pas parvenus à présenter un front uni, ce qui a eu un effet négatif sur l’ensemble de la corporation.

Dans notre région, y a-t-il une alternative à la production de lait?

La viande. En raison des protections douanières, on peut obtenir des prix intéressants. Et on sait qu’il y a une demande de la part des consommateurs. Aujourd’hui, 55% de la nourriture consommée en Suisse est produite en Suisse. Il faut donc être capable d’expliquer aux consommateurs qu’il vaut la peine de payer plus cher pour des produits à forte valeur ajoutée, avec des labels ou une appellation d’origine protégée.

Mais il faut pour cela que tous les acteurs d’une filière soient prêts à se mettre d’accord, comme c’est le cas avec le gruyère, où producteurs, fromagers et affineurs gèrent ensemble les volumes et la qualité, via un cahier des charges.

On a l’impression que l’agriculture résiste mieux dans la région interjurassienne que sur le Plateau suisse.

En tout cas, l’intérêt est réel de la part de jeunes qui souhaitent s’installer. Maintenant, tout dépendra des choix qu’ils feront. Miser sur de grandes surfaces n’est pas le seul calcul possible. A la FRI, nous soutenons aussi les collaborations entre entreprises, pour des achats en commun de machines et d’équipements, ou, mieux, pour des travaux faits en commun.

L’agriculteur, par définition, est un indépendant, mais cela n’empêche pas ce type de collaborations. Mais c’est vrai, le Jura et le Jura bernois s’en sortent plutôt mieux que d’autres régions. Comme les exploitations sont plus grandes, les paiements directs sont plus importants. Et on a maintenu une zone rurale relativement préservée, dotée de grands espaces.

Enfin, on est sûr que l’intérêt de la population ne va pas baisser pour ces surfaces qui sont aussi des espaces de ressourcement.

C’est ce qui explique la diversification de nombreux paysans vers l‘agritourisme?

Oui, sans doute. Regardez l’engouement pour les métairies. C’est un sacré atout pour toute la région. Mais attention, ce n’est pas forcément évident pour les familles paysannes. Accueillir des visiteurs à la ferme, c’est un autre métier que celui de paysan. Et puis il y a un équilibre à trouver au sein de la famille.

De plus en plus d’épouses d’agriculteurs ne sont pas issues de familles paysannes; elles ont un métier, qu’elles continuent souvent d’exercer à l’extérieur, même à temps partiel. Compte tenu de la situation économique, nous les encourageons à agir ainsi, le plus souvent. L’accueil à la ferme vient se greffer là-dessus.

Les professionnels de la terre sont de mieux en mieux formés, non?

Et nous cherchons encore à améliorer le niveau. Notre objectif, pour ces prochaines années, est que la moitié des chefs d’exploitation aient un brevet ou la maîtrise, et pas simplement un CFC. Ces professionnels-là sont mieux à même d’opérer les bons choix stratégiques pour leur domaine. Et les compétences du chef d’exploitation ont une importance considérable sur ses résultats économiques.

Nous avons donc la volonté d’encore renforcer la formation et de favoriser les échanges entre exploitations. Nous sommes sur la bonne voie, l’évolution est positive.

Avec des différences perceptibles entre Jura et Jura bernois?

Non, il s’agit surtout de différences de taille (deux tiers d’exploitations pour le Jura, un tiers pour la partie bernoise) ou liées à la géographie et au type de culture (grandes cultures en plaine, en particulier en Ajoie, élevage en montagne).

Les agriculteurs de toute la région ont compris que les enjeux liés à leur activité étaient supérieurs à une frontière cantonale et qu’il était important de maintenir un centre de compétences et de formation actif sur deux sites, Courtemelon et Loveresse.

Un dernier mot sur la production bio?

Notre stratégie consiste à augmenter de 50% le nombre d’exploitations bio entre 2010 et 2015. Nous allons atteindre cet objectif et poursuivre dans cette voie. Le grand changement de ces dernières années, c’est qu’on n’oppose plus agriculture bio et agriculture conventionnelle.

On peut très bien supprimer les herbicides en agriculture traditionnelle, sans entamer tout le processus menant à la labellisation bio. Et économiquement, produire du lait bio, par exemple, est intéressant. Il est quand même payé 15 centimes de plus    que le lait conventionnel...

Et dans vingt ans?

Pour Olivier Girardin, dans vingt ans, les exploitations de la région seront toujours tournées vers le lait et la viande. Mais la part des fermes bio aura encore augmenté, tout comme les formes de diversification (mise en valeur du terroir, agritourisme, etc.).

L’enjeu, selon lui, sera d’associer les artisans et transformateurs, bouchers ou boulangers, qui, eux aussi, devront se démarquer avec des produits originaux ou de proximité. «Ce n’est pas l’agriculture industrielle qui va sauver le monde», assène-t-il en défendant avec conviction le modèle familial.

Paysans aux commandes

Née en 2004, la Fondation rurale interjurassienne est active sur le Jura et le Jura bernois, avec l’aval des deux chambres d’agriculture. «Ce sont les agriculteurs qui sont aux commandes», se réjouit son directeur, qui précise que cette particularité est unique en Suisse pour ce qui est de la formation.

La FRI est gérée par un conseil de 12 membres, composé à parts égales de représentants des deux cantons et des deux chambres. Noël Saucy, de Develier, président de la CJA, en est le président; Bernard Leuenberger, de Champoz, président de la CAJB, est vice-président.

Cinq dates dans une vie

1965 Naissance à Cornol dans une famille agricole. Aujourd’hui, ce sont ses deux frères qui gèrent le domaine.

1986 Obtient son CFCd’agriculteur à l’Ecole d’agriculture de Courtemelon.

1991 Termine ses études d’ingénieur agronome, entamées en 1986 à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

1992-2004 Travaille au Centre suisse de recherches scientifiques d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Après une thèse de doctorat sur l’amélioration de la conservation de l’igname, culture vivrière traditionnelle d’Afrique de l’Ouest, il assure la direction du centre pendant deux périodes de trois ans. Il est témoin du coup d’Etat de 1999.

2004 Engagé comme directeur de l’Institut agricole du Jura, puis, dès le 1er juillet, de la Fondation rurale interjurassienne.

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