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Culture du partage 4/5: Culte

Église le samedi, temple le dimanche

Les lieux de culte partagés par plusieurs communautés religieuses existent depuis le 16e siècle et continuent de se développer.

Catholiques et protestants se partagent l’église de Basadingen. SP
  • Dossier

Nicole Hager

En matière de partage, les églises ont fait œuvre de pionnières. Bien avant le coworking, le covoiturage, le couchsurfing, les églises ont pratiqué par nécessité le partage de leurs lieux de culte. Un phénomène ancien qui trouve sa source au 16e siècle. Il est ainsi agréable de penser que nos ancêtres ne se sont pas toujours fait la guerre au nom de la religion. Il y a eu des périodes d’accalmie et même de collaboration avant l’œcuménisme moderne.

Pendant la Réforme, de nombreux lieux de culte ont été utilisés conjointement par les protestants et les catholiques. Le phénomène est connu sous le nom de simultaneum. «On s’est alors accommodé des circonstances. Le partage ne s’est pas fait volontiers», relève l’historien Jean-François Mayer, directeur de l’institut de recherche Religioscope.

Dans de nombreuses localités, la célébration publique des deux cultes n’a pu s’organiser qu’au prix d’un partage âprement discuté. Peu d’exemples de cohabitation de ce type subsisteront au-delà de la Réforme et perdureront jusqu’au 19e siècle. On recense quelques cas dans les cantons de Thurgovie et d’Argovie ou encore à Assens, dans le canton de Vaud.

La plupart de ces églises, dites paritaires, qui abritaient deux confessions, se singularisent par un partage strict de l’espace intérieur avec la construction en leur sein de deux chaires bien distinctes, une pour les catholiques et une autre pour les protestants.

Quelques rares lieux de culte continuent de fonctionner de nos jours de manière simultanée. C’est le cas à Basadingen en Thurgovie (lire ci-dessous).

De l’ordre de l’évidence
Actuellement, au niveau régional, le partage de lieux de culte se fait au gré des évolutions de la société et des circonstances. A Moutier, par exemple, pendant la rénovation de leur église, les catholiques ont célébré leurs messes au temple. Idem à Delémont, ce printemps.

Quand le temple a subi une cure de jouvence, les réformés ont été accueillis dans l’église catholique de la capitale jurassienne. L’abbé Jean-Marie Nusbaume, curé de Delémont, s’étonne presque qu’on lui demande les raisons de telles pratiques. «Nous partageons la même foi et vivons en bonne harmonie.

Il n’y a donc là rien d’extraordinaire à accepter de partager nos lieux de culte.» Toujours dans un souci de bienveillance, dans le Jura, pays catholique, il est courant de mettre à disposition les églises pour des funérailles protestantes, quand il manque parfois de place dans les temples. Inversion des rôles à Péry, aux portes de Bienne. Pour des questions pratiques, mais d’un autre ordre, les funérailles catholiques ont lieu au temple. Il s’avère en effet difficile de monter un corps à la chapelle.

Relations fraternelles
Les partages de lieux de culte ne sont pas exclusivement ponctuels et exceptionnels. Certains se déroulent sur le long terme. Dans de nombreuses paroisses, en général citadines, les églises sont mises à disposition de chrétiens d’autres confessions.

L’une des plus grandes difficultés des petites communautés, souvent issues de la migration, est de trouver un lieu de culte pour leurs réunions. Au prix de location, pas toujours financièrement supportable, s’ajoutent parfois les réticences des propriétaires à voir leurs locaux transformés en lieux de culte.

Devant ces difficultés, de nombreuses communautés sont amenées à partager le même toit. Ces regroupements se font généralement au sein de communautés proches culturellement. Ainsi, à Bienne, les coptes et les Erythréens orthodoxes trouvent refuge à l’église Sainte-Marie.

Pour l’abbé Patrick Werth, un tel accueil «va de soi. Même si la communauté catholique biennoise est bien vivante, nos églises ne sont pas remplies 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Il y a des jours et des créneaux horaires où l’on peut mettre nos lieux de culte à disposition, de telle manière que cela ne dérange pas les activités de nos propres paroissiens.»

Cette bienveillance et ce sens de l’accueil manifestés à l’égard d’une communauté religieuse migrante lui permettent de maintenir un cadre et de créer un meilleur contexte pour les générations suivantes, qui grandiront en Suisse, observe Jean-François Mayer. «Mais ces arrangements entre communautés sont parfois précaires. Les ajustements culturels font partie de l’expérience», ajoute le directeur de Religioscope.

Pour l’essentiel, les lieux de cultes recensés sont partagés entre communautés chrétiennes. Pourrait-on imaginer ouvrir la cohabitation à d’autres pratiques religieuses? «En quinze ans de prêtrise, je n’ai jamais entendu parler de demandes allant dans ce sens», assure Patrick Werth.

«Si on s’en tient aux grandes traditions monothéistes, pour les juifs, la question ne se pose pas. Bienne abrite une synagogue. Quant aux musulmans, ils se retrouvent dans des locaux parfois très, très simples, mais dans lesquels ils se sentent libres», constate l’homme d’Église.

 

De nombreux types de collaboration

L’abbé Patrick Werth de Bienne recense quatre types de cohabitation entre églises. «Le plus léger, c’est le cas ponctuel. À Porrentruy, par exemple, ou lorsqu’on attend une forte assistance à des funérailles protestantes, le culte peut se dérouler en l’église catholique de Saint-Pierre.»

Il y a aussi l’exemple régulier, comme le temple de Diesse (BE), mis à disposition des catholiques pour la messe tous les premiers samedis du mois. Troisième cas: les lieux visant une collaboration, la plupart construits au cours du dernier quart du 20e siècle, dans un climat propice à l’œcuménisme.

À Langendorf (SO), le centre paroissial est ainsi communautaire. Sous un même toit, on trouve deux lieux de culte. Il en va de même à la Maison des religions de Berne, inaugurée il y a un peu plus d’un an, qui accueille en un lieu unique différentes traditions religieuses (christianisme, hindouisme, islam... ).

Chacune a son propre lieu de culte, et certains espaces sont communs pour favoriser le rapprochement entre les fidèles des différentes communautés. Quatrième type de cohabitation, le plus accompli, les églises paritaires, utilisées à tour de rôle par les protestants et les catholiques.

Il en existe plusieurs exemples à travers l’Europe, dont un dans le canton de Thurgovie (lire ci-dessous). Aux yeux de Jean-François Mayer, cette énumération serait incomplète sans l’évocation des chapelles d’hôpitaux et d’aéroport, symboles par excellence des lieux de culte partagés par plusieurs communautés religieuses.

Ouverts au public, ces espaces de recueillement multireligieux, à l’aménagement souvent dépouillé, parfois pourvus de symboles, tels que des Bibles ou des tapis de prières, sont des lieux de passages qui mériteraient qu’on s’y attarde parce qu’ils illustrent à merveille les contraintes pratiques des lieux de culte partagés: offrir un espace de recueillement adapté à un public extrêmement varié.

 

Oecuméniques avant l’œcuménisme
À Basadingen, on pratique l’œcuménisme depuis des lustres, bien avant le développement de ce mouvement au cours du 20e siècle. Après les luttes de pouvoirs entre catholiques et réformés, l’église des lieux devient paritaire en 1631.

Elle sert depuis alternativement aux deux communautés. Même si le bâtiment qui a vu naître cette cohabitation a été démoli, réformés et catholiques ont décidé de poursuivre l’aventure ensemble. En 1845, Basadingen a célébré son nouveau lieu de culte, toujours placé sous le régime de la parité. Aujourd’hui encore, le bâtiment est utilisé par les deux communautés avec des horaires de culte distincts. Autant être un lève-tôt quand on est catholique en terres thurgoviennes. Le dimanche, c’est messe à 8h45, et culte à 10h10.

Dans la sacristie catholique, située sur le côté gauche, on trouve une croix au mur et un récipient d’encens, alors que la sacristie protestante est dépourvue de toute relique, mais dispose d’une installation sonore et d’un escalier qui mène à la chaire... protestante. Deux sacristies, deux chaires, mais un seul baptistère. Le pasteur de Basadingen, Rolf Roeder, constate que ses fidèles peuvent s’asseoir où bon leur semble, mais marquent une nette préférence pour les bancs situés du côté de leur sacristie, à droite. Sacrées habitudes!

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