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Road trip 4/10: Marijuana

Au pays du pétard pour tous

Le Colorado change le cannabis en or: un milliard de chiffre d’affaires en 2015. La vague touchera-t-elle le reste des Etats-Unis?

Salvador Aguilar, un client du club iBake de Denver où l’on consomme du cannabis sous toutes ses formes, lors du Festival du cannabis «420». Xavier Filliez
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Xavier Filliez

Denver

iBake ouvre à midi. Et à midi vingt, on frôle déjà l’asphyxie dans ce fumoir de la banlieue de Denver, populaire toute l’année mais littéralement pris d’assaut pour le «420», retentissante kermesse de la marijuana ayant lieu les 20, 21 et 22 avril tous les ans.

Qu’on soit Démocrate ou Républicain, fan de Trump ou pro-Hillary, évangélique, athée ou agnostique, il y a longtemps que dans le Colorado le cannabis a mis tout le monde d’accord. Depuis sa libéralisation totale, pour usage médical et récréatif, en janvier  2014, on l’achète et on le consomme sous toutes ses formes: pétards classiques, comestibles sophistiqués (bonbons, barres de céréales, caramels, chewing-gums, pizza), résines stratosphériques (jusqu’à 90% de THC).

Au bout d’une pipe à eau qu’il partage avec sa jeune épouse Haleigh, Salvador Aguilar, Cubain d’origine, venu du Kansas pour le week-end, est un inconditionnel de Bernie Sanders: «Il a compris que la guerre contre la drogue est un échec politique et il milite pour un usage médical de la marijuana. Je souffre d’insomnies épouvantables et la marijuana m’aide énormément comme elle aide la plupart des consommateurs.» S’il ne restait qu’Hillary en course, il lui préférerait... Trump, en revanche.

Neuf cents points de vente
C’est une initiative populaire à la mode helvétique qui est à l’origine de la révolution verte aux USA. En acceptant l’amendement 64 de la Constitution de l’Etat du Colorado, 55% des votants ont plébiscité la culture, la vente et la consommation de marijuana pour les plus de vingt et un ans dans un cadre très réglementé. L’Etat de Washington (Seattle), puis, peu de temps après, l’Oregon, l’Alaska et Washington D.C. ont suivi. Le Nevada, la Californie, l’Arizona et le Maine devraient adopter des lois similaires en 2016.

L’administration Obama a émis un mémorandum à l’attention des procureurs américains s’engageant à ne pas poursuivre les activités liées au commerce de la marijuana dans les Etats l’ayant légalisée, mais formellement, elle est toujours considérée comme une drogue illégale sur le plan fédéral, rendant problématiques la concurrence et le trafic entre Etats voisins.

Sally Williams, cofondatrice de Medicine Man, un des plus grands cultivateurs et détaillants de marijuana dans le Colorado. Xavier Filliez

 

L’enjeu est donc de savoir ce que la prochaine administration décidera. Hillary Clinton, pas totalement progressiste sur la question, s’est néanmoins prononcée en faveur de ces «laboratoires de la démocratie» –référence aux Etats pionniers–, mais insiste sur le besoin urgent d’études scientifiques pour mieux cerner les bénéfices et les dangers liés au cannabis.

Son élection pourrait précipiter la requalification de la marijuana de «catégorie I» (héroïne, LSD, ecstasy) à «catégorie II» (cocaïne, morphine, Ritaline), maintes fois repoussée par la Drug Enforcement Agency (DEA).

En attendant, comme toujours lorsque l’Amérique entrepreneuriale se lance dans une nouvelle conquête, celle de l’or vert offre déjà son lot de success stories. Parmi les 900 «dispensaires» (point de vente ou/et de culture de marijuana) que compte le Colorado, soit davantage que de Starbucks ou de McDonald’s, Medicine Man est un exemple authentique et saillant de ce marché juteux.

Cinq kilos par jour en sachets
Fondée par trois frères et sœurs –Pete, Andy et Sally Williams– grâce à un coup de pouce de 600 000 dollars de leur maman pour l’investissement initial, la compagnie, fondée en 2010, alors que l’utilisation thérapeutique de la marijuana était déjà légale, a doublé son chiffre d’affaires chaque année pour atteindre 16 millions de dollars actuellement.

«Mon frère Pete cultivait dans sa cave. Il faisait plus de 100 000 dollars tout seul. Lorsque le marché s’est ouvert, avec mon frère Andy, ingénieur en systèmes industriels, nous avons pensé qu’il y avait un vrai potentiel», raconte Sally dans son petit bureau qui jouxte l’immense plantation de 2000 m2 d’où sortent cinq kilos de cannabis prêts à la vente en petits sachets chaque jour.

Des lignées de lampes fluorescentes, des chambres de floraison gérées par des serveurs informatiques de haute technologie, des écrans de contrôle et des caméras de sécurité partout: on est loin du petit artisanat et du fumeur de joint en sandales. Cette vocation industrielle se traduit déjà par les chiffres dans le Colorado.

Près de 35 millions pour les écoles
Tous produits confondus, les ventes ont atteint la somme record de 996 millions de dollars en 2015 (350 millions en 2014). Sur ce quasi-milliard, 135 millions de recettes de taxes ont alimenté les caisses de l’Etat qui en a assigné 35millions à la construction de bâtiments scolaires. Sally Williams s’en félicite en même temps qu’elle relève l’hypocrisie du système: «Il n’y a pas si longtemps, toutes nos transactions se faisaient en cash parce qu’aucune banque ne voulait de l’argent de la marijuana... Les choses sont en train de changer.»

Il en va de même s’agissant des craintes liées à l’influence de la substance sur les mineurs. Alors que les plus conservateurs prédisaient une augmentation de la consommation chez les jeunes à la suite de la libéralisation, la première étude fiable sur la question vient de sortir, réalisée par le Département de la santé publique et de l’environnement du Colorado auprès de 17 000 jeunes: il en ressort que 21% des adolescents interrogés avaient consommé de la marijuana dans les trente jours.

Un chiffre dans la moyenne nationale et légèrement inférieur au résultat de la même étude en 2009.

A Denver, la success story de la marijuana de Xavier Filliez sur Vimeo.

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