Vous êtes ici

Abo

Road trip 10/10: opinion

Comment pirater les élections

L’intrusion dans les systèmes informatiques du Parti démocrate par des hackers russes illustre un nouveau péril sur la démocratie.

Photo: DR
  • Dossier

Xavier Filliez

Les déclarations atomiques de Donald Trump, les e-mails évaporés d’Hillary Clinton, le grossier plagiat de Michelle Obama, l’improbable succès de Bernie Sanders, la navrante prestation de Jeb Bush. On pensait avoir atteint le paroxysme dans les péripéties de campagne.

Et puis il y eut le piratage de deux organes exécutifs du Parti démocrate, le DNC (Comité national des démocrates) et le DCCC (Comité de campagne de la Chambre des représentants). 20 000 échanges d’e-mails interceptés et publiés, révélant, notamment, que les cadres du parti faisaient tout pour favoriser Clinton au détriment de Sanders. Démission de deux membres dirigeants à la clé.

La fuite est-elle l’œuvre de hackers russes? C’est la piste du FBI. A-t-elle été commanditée par le Kremlin? Cela reste à prouver. Mais si c’était le cas, l’objectif politique de cette attaque qui déstabilise les démocrates au profit de Donald Trump ne serait pas complètement invraisemblable.

Trump est plutôt favorable à la levée des sanctions diplomatiques et économiques sur Moscou pour l’invasion et l’occupation de l’Ukraine. Comme Poutine, il hait l’Otan. Et, dans l’ensemble, il se montre très peu enclin à donner des leçons aux Russes en matière de démocratie et de droits de l’homme.

Retour à la guerre froide
L’espionnage de puissances ennemies ou concurrentes n’est pas une nouveauté. Face à ces révélations, la presse a d’ailleurs vite fait de convoquer la rhétorique de la guerre froide, le cyberfare ou les grandes heures de l’espionnage et du sabotage informatiques. En matière de cyber-guerre, les traités et les lois internationales sont absents. Quelques normes, tout au plus, définissent ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.

Essayer d’influencer l’opinion publique dans le cadre d’une élection fait aussi partie de l’arsenal de politique étrangère des nations.

 

Lorsque l’on choisit son camp – Merkel qui soutient publiquement Clinton – par exemple. Or, pénétrer au sein des ordinateurs de candidats, ou des serveurs des appareils de partis dans le but d’influencer une élection, donne une autre mesure à l’ingérence. Ce qui semble malheureusement de plus en plus courant.

Lors de la campagne de 2008, le gouvernement chinois a pénétré dans les systèmes informatiques de Barack Obama et de son concurrent John McCain. En 2012, divers pirates américains et étrangers ont tenté d’entrer dans les ordinateurs d’Obama et de Mitt Romney. En 2013, ce sont des dossiers de financement de campagne de la Commission fédérale des élections (FEC) qui étaient compromis par des hackers.

Wikileaks: quelle éthique?
Avec le piratage du Parti démocrate cette année, c’est un dangereux palier supplémentaire qui est franchi, avec l’impression dominante d’une fuite organisée.

Les hackers russes ont en effet transmis leurs documents à la plateforme de Julian Assange, Wikileaks, l’utilisant, de ce fait, comme une arme électorale. Non filtrés, les documents volés sur le portail Democrats.org contiennent des données personnelles (numéro de sécurité sociale, téléphones, adresses) de donateurs du parti, y compris les plus modestes. Quelle revendication éthique dans ce «whistleblowing» à large échelle?

Nous ne sommes pas dans la série «Scandal». Ni dans un roman de George Orwell. Nous sommes en 2016. Et si des pirates tentent d’influencer une élection présidentielle par le truchement de la technologie, c’est une menace d’autant plus grande pour la démocratie qu’ils ne s’arrêteront probablement pas là.

Si les hackers ont les capacités de prendre le contrôle du site internet d’un candidat ou de cibler des donateurs, pourquoi ne pourraient-ils pas intervenir sur des machines de vote? De nombreux experts estimant que le système électoral doit être considéré comme une infrastructure critique, tel le réseau de communication mobile ou le réseau électrique, considèrent que les 9000 juridictions électorales américaines sont loin d’être parfaitement protégées.

Ils se tiennent par la barbichette
Les Etats-Unis ont connu de multiples élections à l’issue très serrée qui se sont parfois terminées devant la Cour suprême. En 1960, John Fitzgerald Kennedy l’a emporté sur Richard Nixon par 0,1%. Et tout le monde ne s’est pas remis du scandale qui a émaillé l’élection présidentielle de 2000 opposant George W. Bush à Al Gore.

Le système de vote d’un district de Floride comptant 600 électeurs avait connu une fluctuation suspecte de 16 000 voix au profit de Bush en quelques minutes. La potentielle manipulation était demeurée non traçable.

S’inquiéter d’une intrusion similaire dans les systèmes électoraux américains – lors du prochain scrutin du 8 novembre ou dans les prochaines années – ne relève plus de la science-fiction ni d’un réflexe de Russophobie en l’occurrence. Et on peut déjà s’inquiéter de la réponse diplomatique que l’administration Obama apportera au piratage des démocrates s’il est définitivement étayé.

Accuser publiquement le Kremlin? Annoncer des mesures de rétorsion? Ou, simplement, ne rien faire. Si les Etats-Unis se risquaient à accuser Moscou, «pourraient-ils le faire sans devoir à leur tour informer les Russes de l’étendue de leur propre espionnage chez eux?», s’inquiétait un éditorialiste du «New York Times» la semaine passée.

Au-delà de ses implications techniques et morales, le nouveau danger qui pèse sur la démocratie pourrait se résumer à un principe vieux comme le monde: «Je te tiens, tu me tiens par la barbichette.»

Articles correspondant: Monde »