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Horlogerie

Swatch empêché de vendre en rond

Le groupe entend assouplir la convention signée en 2013. La COMCO ne l’entend pas de cette oreille.

Nicolas Hayek, feu le directeur du Swatch Group, brandissant le poing: «Dans cette affaire, nous sommes les victimes!» Archives/Anne-Camille Vaucher

Tobias Graden

Traduction Marcel Gasser

Jadis il ne voulait plus, mais il a quand même dû. Aujourd’hui il voudrait bien, mais il n’a plus le droit: en matière de livraison de mouvements d’horlogerie à des tiers, le Swatch Group ne cache pas son amertume et menace de procéder à «des augmentations de prix massives», ce que la commission de la concurrence (COMCO) voit d’un très mauvais œil.

Nicolas G. Hayek tenait un langage clair: «On tente aujourd’hui de nous faire passer pour les méchants, juste parce que nous sommes plus grands que les autres. Mais qu’on ne se méprenne pas: dans cette affaire, nous sommes les victimes!» C’était le 23 décembre 2013 et, dans un entretien accordé au «Bieler Tagblatt», l’ancien patron du Swatch Group, aujourd’hui décédé, n’hésitait pas à hausser le ton.

Quelques jours auparavant, il avait lancé une véritable bombe en annonçant que désormais le Swatch Group ne se sentirait plus obligé de fournir ses pièces à des tiers. Dans la branche, ce fut une véritable levée de boucliers, car de nombreuses marques horlogères et autres affineurs dépendaient des livraisons du Swatch Group.

Le règlement de compte voulu par Nicolas G. Hayek avec certains pans de l’industrie horlogère trouvait pourtant son explication dans une analyse on ne peut plus claire. «À l’heure actuelle, n’importe quel inconnu, sans aucun lien avec le monde de l’horlogerie, peut s’improviser industriel sur le dos du Swatch Group, dont il utilise le savoir-faire», déclarait-il.

L’horlogerie a évolué
Là-dessus, le Swatch Group et la COMCO multiplièrent les rencontres. Sur l’insistance du grand groupe horloger, la COMCO ouvrit une procédure qui, le 21 octobre 2013, déboucha sur une ordonnance réglementant la cessation des livraisons à des tiers de mouvements mécaniques et d’assortiments. La rupture se ferait de manière échelonnée et sur plusieurs années.

Comme Swatch Group –avec ses filiales ETA, fabricant de mouvements, et Nivarox-FAR, entreprise spécialisée dans les assortiments– se trouvait dans une position dominante sur le marché, il fut contraint de poursuivre ses livraisons de mouvements à des tiers jusqu’en 2019. Entre-temps, de nouveaux fabricants ou de nouveaux fournisseurs auraient le temps d’augmenter leurs capacités de production. Un accord fut signé dans ce sens.

À la perspective de voir le robinet se fermer, les entreprises concernées n’ont pas vraiment accueilli cet arrangement avec des cris de joie, mais la branche horlogère s’est adaptée à la situation. Et le Swatch Group n’a plus remis en cause cette convention. Jusqu’à ce printemps, où l’on a appris qu’il était intervenu auprès de la COMCO pour qu’elle assouplisse le régime découlant de la réglementation signée en 2013.

C’est qu’entre-temps la situation du marché a considérablement changé. Alors qu’à l’époque l’horlogerie battait tous les records, depuis quelque temps la demande connaît un net recul. L’époque est révolue où les marques horlogères tentaient par tous les moyens possibles et imaginables d’obtenir des mouvements mécaniques. Aujourd’hui, le marché gris s’est asséché.

La situation aurait empiré
Dans ces conditions, le Swatch Group souhaiterait obtenir l’autorisation de vendre librement sur le marché les mouvements qui ne sont pas réclamés dans le cadre de la quantité maximale par commande fixée dans la convention.

La COMCO a donc procédé à une nouvelle étude de marché. En 2015 et en 2016, la différence entre la quantité de mouvements que le Swatch Group était tenu de livrer et la quantité effectivement commandée, s’élevait à quelques dizaines de milliers de pièces. «Mais pour 2017, le tableau est totalement différent: là, il s’agit de quelques centaines de milliers de pièces», explique Patrik Ducrey, directeur suppléant de la COMCO.

Dans un communiqué, le Swatch Group avance des chiffres très concrets: de gros clients comme Sellita ou Tudor auraient réduit leur commande pour 2017 de 700 000 pièces par rapport à l’année passée. Au total, la différence entre la quantité effectivement commandée et la capacité non utilisée s’élève à 900 000 pièces.

À titre comparatif, la capacité globale fixée par la convention dans le cadre de l’obligation faite au Swatch Group de fournir les tiers, s’élève à 1,5 million de mouvements mécaniques (sur une capacité globale estimée à 5millions de pièces). De toute évidence, la situation du marché se dégrade sérieusement: selon le Swatch Group, certains gros clients n’auraient rien commandé pour 2017.

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