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Bienne

Des parlementaires élus à la loterie?

S’inspirant de la démocratie de la Grèce antique, le mouvement citoyen Passerelle propose d’élire la moitié des conseillers de ville par tirage au sort.

En laissant le hasard désigner la moitié des conseillers de ville, Passerelle veut renforcer la participation de la société civile à la vie politique. Poto archives

Didier Nieto

Et si la chance s’immisçait au cœur des élections municipales? Et si le visage du Conseil de ville découlait du hasard? L’idée avancée par Passerelle a le mérite de bousculer avec panache les mœurs politiques. Le mouvement citoyen propose dans un postulat que la moitié des 60parlementaires biennois soient à l’avenir désignés par tirage au sort, tandis que l’autre moitié continuerait d’être élue dans les urnes. «Ce système permettrait une meilleure participation de la société civile dans la politique», argumente Roland Gurtner, coauteur de l’intervention en compagnie de Ruth Tennenbaum, l’autre conseillère de ville de Passerelle. «Tout le monde a un rôle à jouer et chaque citoyen a des responsabilités par rapport à la collectivité. Il faut casser l’idée que la politique est uniquement l’affaire des partis.»
Pour autant qu’il aboutisse, ce coup de pied dans la fourmilière marquerait un retour aux origines mêmes de la démocratie. Dans l’antiquité grecque, Athènes avait instauré des élections par tirage au sort pour empêcher la mainmise des élites sur les pouvoirs publics.

Ne forcer personne
Dans le système athénien, les représentants politiques étaient choisis au hasard, mais uniquement parmi une liste de candidats. Passerelle vise plus large: la loterie concernerait tous les ayants droit biennois. «Les règles peuvent encore varier», nuance Roland Gurtner. «Le but n’est pas de forcer qui ce soit à siéger, ce serait contre-productif.» Le postulat mentionne d’ailleurs la possibilité de décliner une élection, à condition de justifier dûment son refus.
Le manque d’intérêt et de motivation sera-t-il une excuse valable? «Dans ce cas, il faudra discuter avec l’élu pour lui faire comprendre que siéger est un honneur et qu’il a un rôle important à jouer pour le bien public.»
Roland Gurtner ne nie cependant pas la charge de travail qui incombe à un parlementaire, ni la complexité des dossiers sur lesquels il doit se pencher. Passerelle imagine donc que chaque élu tiré au sort soit épaulé dans sa tâche, et qu’il bénéficie d’une formation aux processus administratifs et politiques.

Représentativité et confiance
Pour Passerelle, le tirage au sort est aussi un moyen de conférer au Conseil de ville une physionomie plus représentative de la population. «Il pourrait y avoir plus de jeunes, plus de citoyens issus de la migration ou des basses couches sociales...», indique Roland Gurtner. Un pari forcément à double tranchant: le hasard pourrait désigner majoritairement des retraités, des patrons ou des militants écologistes. «C’est un risque, concède le politicien. Mais je pense tout de même que cette moitié du Conseil de ville permettrait de restaurer la confiance de la population à l’égard des milieux politiques.»
Car Roland Gurtner observe un fossé qui s’est creusé entre les sphères politiques et la société civile, qu’illustre par exemple le faible taux de participation aux dernières élections municipales (32,8% en septembre 2016). «Le refus du projet d’aménagement de la place de la Gare en mars 2015 ou encore le mouvement de protestation contre la branche Ouest de l’A5 montrent aussi qu’il existe parfois un décalage entre les décisions des politiciens et la volonté du peuple. Il en résulte une forme de résignation. La population se coupe de la politique et se replie sur soi.»

Mouvement national
Le postulat de Passerelle ne sort pas de nulle part. Il découle d’un mouvement de plus grande ampleur. Née il y a deux ans, l’organisation Génération Nomination milite pour que le Conseil national soit élu par tirage au sort afin de contrecarrer «l’influence grandissante de l’argent en démocratie qui entrave la recherche du bien commun». GeNomi prévoit de lancer une initiative fédérale en 2019. Pour préparer le terrain, l’organisation cherche à s’appuyer sur des actions locales. L’intervention de Passerelle en est une.
Le postulat s’inscrit aussi dans le cadre de la révision du Règlement de la Ville, le document qui fixe l’organisation communale dans les grandes lignes. En lançant cette mise à jour en février, le Conseil municipal avait promis des réflexions sans tabou et n’avait fermé la porte à aucun changement, aussi radical fût-il. Il sera donc intéressant de voir dans quelle mesure l’exécutif – qui a six mois pour répondre au postulat de Passerelle – est disposé à remettre en question les règles politiques helvétiques.
Convaincre le Conseil de ville sera plus compliqué, estime Roland Gurtner. «Il y aura de toute façon des élus qui trouveront 1001raisons de rejeter l’idée du tirage au sort, qui rappelleront que le système actuel est le meilleur et que les gens qui veulent participer à la vie politique n’ont qu’à s’engager... Nous pourrons mesurer durant ce débat l’ouverture d’esprit du parlement.»

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