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De nouveaux mots pour le Notre Père

A l’avenir, en récitant la célèbre prière, les protestants francophones de la région ne diront plus à Dieu«ne nous soumets pas à la tentation» mais «ne nous laisse pas entrer en tentation». Avant tout pour des raisons œcuméniques. Explications.

Photo Keystone

Michael Bassin

A partir de Pâques 2018, les protestants de la partie francophone des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure (Refbejuso) réciteront la sixième demande du Notre Père d’une nouvelle manière. Leur organe législatif a décidé cette semaine de se rallier à la proposition des catholiques, par 150 voix contre 4 et 15 abstentions. Ainsi, les réformés d’ici diront à Dieu «ne nous laisse pas entrer en tentation» au lieu de «ne nous soumets pas à la tentation».

La nuance est mince. Infime, diront certains. Pourtant, elle fait chauffer les méninges des théologiens, qui tentent depuis longtemps de traduire le plus finement le passage original grec. Avec cette interrogation en toile de fond: Dieu soumet-il activement les humains à la tentation ou Dieu ne fait-il que laisser l’être humain céder à la tentation? Une question sensible pour le croyant car, comme le relève Lucien Boder, de Vauffelin, pasteur et membre du Conseil synodal (organe exécutif) de l’Eglise Refbejuso, elle aborde notre relation au mal.

«Ne pas revenir en arrière»

Selon le Conseil synodal Refbejuso, la question ne peut pas être tranchée clairement d’un point de vue linguistique, «étant donné que le français ne connaît pas d’équivalence parfaite» pour le verbe utilisé en grec. Par conséquent, il estime nécessaire de faire appel à des arguments théologiques.

Sur ce plan-là, la Conférence des évêques de France a opté pour la variante dans laquelle la responsabilité de la tentation incombe aussi bien à Dieu qu’à l’être humain. Mais certains croyants ne sont pas convaincus par cette option, voire y sont vertement opposés, estimant que ce changement ne fait que suivre l’air du temps et qu’il édulcore la force du texte biblique.

Pour les autorités régionales des Eglises réformées, ce sont surtout les raisons œcuméniques qui plaident en faveur de la nouvelle version. «Il existe depuis 1966 une traduction commune du Notre Père adoptée par l’Eglise catholique et le Conseil œcuménique des Eglises», rappelle le Conseil synodal, parlant là de «signe fort de communion» sur lequel il ne faudrait «pas revenir en arrière». Surtout que les célébrations religieuses œcuméniques représentent une tradition de longue date dans de nombreuses paroisses. «Prier le Notre Père ensemble constitue une part cruciale de cette coopération», juge le Conseil synodal. «De nos jours, un pourcentage élevé des mariages conclus en Suisse est mixte d’un point de vue confessionnel et pour les personnes pratiquantes, cette opportunité de célébration commune revêt la plus haute importance.»

En outre, de nombreux services de l’Eglise à la société (comme l’aumônerie dans les hôpitaux et les homes) sont œcuméniques, «et un différend dans la prière chrétienne la plus importante aurait pour conséquence de dresser des barrières inutiles».

Ainsi, les paroisses réformées de la région auront à appliquer cette décision. Mais elles bénéficieront d’un soutien logistique. Elles devraient par exemple recevoir des étiquettes contenant la nouvelle formulation, afin de les coller sur l’ancienne version contenue dans les psautiers.

Depuis décembre en France

Rappelons que la nouvelle terminologie a été décidée par la Conférence des évêques de France, suivie par la Conférence des évêques suisses. Elle aurait dû être introduite dès le premier dimanche de l’Avent 2017. Mais suite à une intervention de la Conférence des Eglises réformées romandes, elle a été reportée à Pâques afin que ses Eglises puissent se prononcer. Il faut dire que certains protestants avaient été plus qu’étonnés, cet été, en apprenant que la modification ne concernait pas seulement la Bible liturgique catholique, mais également la version prononcée. Lors des débats au Synode des Eglises Refbejuso, certains députés ont d’ailleurs déploré «l’implication insuffisante des protestants dans la discussion préalable».

En France, le Notre Père modifié est prié depuis le 3 décembre.

 

 

Le oui évangélique «par souci d’unité»

Il n’y a pas que les réformés qui s’interrogent sur le changement proposé par les catholiques. Le Réseau évangélique suisse (RES), qui regroupe une quantité d’églises différentes, s’est penché sur la question par le biais de sa Commission théologique dont font notamment partie Marc Schoeni (pasteur baptiste à Court) et Michel Ummel (ancien – à savoir pasteur– mennonite des Reussilles).

Dans un communiqué récemment publié par le RES, on apprend que la Commission ne s’est pas montrée unanime sur la pertinence de cette modification, «les uns saluant la nouvelle traduction, estimant que Dieu ne tente pas (Jacques 1, 13), tandis que d’autres ont appuyé le fait que la traduction actuelle s’accorde mieux avec le sens ‹d’épreuve› ou de ‹mise à l’épreuve› également contenu dans le terme grec peirasmos». Cela dit, la Commission théologique et le Conseil du RES «encouragent leurs membres à accepter la nouvelle terminologie, afin de permettre à ceux qui le souhaitent de pouvoir réciter cette prière en commun».

Le mouvement évangélique est composé d’une multitude de dénominations, aux structures différentes. Il reviendra ainsi à chacune d’elle de décider de la suite à donner à cette recommandation du RES.

Pour les besoins œcuméniques, Michel Ummel trouve bon que la prière ne soit pas récitée de deux manières différentes lors de rassemblements communs. «Surtout que le sens est tout de même conservé dans la nouvelle version.»

Cela dit, Michel Ummel rappelle que les évangéliques et les réformés n’ont pas une traduction officielle de la Bible. Et qu’il est tout à fait possible de vivre avec cette interrogation sur la «bonne» terminologie. «Faire résonner cette question en nous est une illustration de notre quête de Dieu qui est toujours en marche», dit-il, estimant par ailleurs qu’il est préférable de se confronter aux rugosités du texte biblique plutôt qu’essayer de les limer.

Au départ, la décision des catholiques a pris de court les réformés et les évangéliques. D’aucuns auraient aimé un processus plus englobant. Reste que Michel Ummel salue la décision de la Conférence des évêques suisses d’avoir reporté, suite à une demande des réformés, la mise en œuvre afin de laisser les autres Eglises se prononcer. «De plus, les réformés ont consulté les évangéliques. Ce sont de bons signes!»

Selon le communiqué des Eglises Refbejuso, l’introduction de la nouvelle formulation se fera «d’une manière coordonnée sous l’égide de la Communauté de travail des Eglises chrétiennes dans le Jura (réd: qui réunit différentes dénominations)». La forme concrète de cette démarche n’est pas connue pour le moment. Mais le mennonite Michel Ummel serait ravi que les différentes églises de la région puissent marquer l’arrivée de cette nouveauté par une action symbolique commune.

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