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HAHA! Comedy Festival

L’humour comme puissant anxiolytique

En dix ans de carrière, l’humoriste lausannois Thomas Wiesel ne s’était jamais produit à Bienne. C’est fait depuis mercredi et son passage remarqué à Nebia dans le cadre du HAHA! Comedy Festival.

«Je suis anxieux, angoissé.» Pour Thomas Wiesel, l’humour est une thérapie. (Peter Samuel Jaggi)

Une main tenant solidement le pied de son micro, Thomas Wiesel balance des vannes. Sa cible? Lui-même, cet homme qui doute et qui le dit. Mercredi soir, ce grand fan du Lausanne Hockey-Club a conquis le public de Nebia, lors de son premier passage à Bienne, avec son spectacle «Ça va». Avant de brûler les planches, l’humoriste de 32 ans s’est confié au JdJ.

Thomas Wiesel, vos spectacles commencent par des blagues visant le lieu où vous jouez. Comment les préparez-vous?
Le contrat, c’est le spectacle, et si j’ai le temps d’écrire un petit bonus, je le fais, ce que mon planning ne m’a hélas pas permis avant de venir à Bienne. Pour me préparer, j’aime bien les journaux locaux. J’opère toujours une revue de l’actualité et mets de côté les articles sur les villes que je vais visiter. Je trouve primordial de savoir où je mets les pieds. Cela me frustre toujours quand un humoriste français donne l’impression de jouer la même chose qu’à Paris, sans savoir le nom de l’endroit où il se trouve. Bon, on n’est pas forcément au niveau de Johnny Hallyday, qui dit bonsoir Genève au Paléo Festival!

Est-ce une marque de respect pour votre public?
Balancer une blague sur le métro dans une ville où il n’y en a pas, c’est se moquer des gens, cela casse l’idée de spectacle vivant. L’artiste ne doit pas réécrire son spectacle, mais au moins savoir où il est et s’intéresser aux gens pour leur offrir un petit moment différent, un peu unique. J’essaie de faire attention de ne pas être complètement déconnecté. Lorsque je vois des humoristes français millionnaires qui balancent des sketchs sur monsieur Tout le monde, ce n’est pas crédible une seule seconde.

Lors de vos interactions avec le public, entrez-vous en mode improvisation?
Non, c’est plutôt de la repartie, des conversations sans réelle construction. En réalité, je suis assez mauvais en impro, je n’ai pas assez d’imagination pour ça. La repartie, à force de m’exercer, cela va mieux. Au début, je ne parlais pas avec le public, car il ne fallait surtout pas que je sorte de mon texte. Maintenant, j’aime bien, et il y a des gens très sympas. Dans un sens, les spectateurs s’autosélectionnent; ceux qui veulent parler parlent, ceux qui ont envie de se taire se taisent. Je ne force personne.

Cette interaction n’est-elle pas à double tranchant?
Il suffit que la première interaction se passe moins bien, que la personne soit gênée à cause d’une blague davantage ressentie comme méchante que bienveillante et plus personne ne me parlera. Je passe alors à autre chose. Comme cette partie se situe en début du spectacle, cela peut conditionner la suite de la soirée.

Sur scène, vous paraissez très tranquille, très relâché. Ressentez-vous du trac?
Je n’ai jamais eu le trac. Par contre, j’ai un stress existentiel permanent, que je sois sur scène, dans le train ou sur mon canapé, ça ne change pas. Je suis anxieux, angoissé. Dans ma tête, ça travaille tout le temps. Je ne suis pas très à l’aise sur scène parce que je ne suis pas très à l’aise dans la vie. Mes premiers passages, il y a 10 ans, mes premières chroniques, mes premières télévisions, dès que c’est nouveau, je ne suis pas à l’aise. C’est comme le sport, il faut des centaines de répétitions pour faire les choses un peu mieux. Par contre, aujourd’hui, j’ai atteint un niveau de détente qui commence à me convenir.

Pour vous, l’humour est-il un anxiolytique?
Oui, totalement. Dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle, l’humour est quasiment un bouclier. Pour mes proches, c’est parfois difficile, car c’est une arme que j’utilise tout le temps. A un moment donné, j’ai quand même dû apprendre à ouvrir cette armure parce que je n’avais pas l’impression de vivre les choses à fond. Quand on met tout à distance, on reste soi-même à distance de tout et on a la sensation de passer à côté de beaucoup de choses. J’ai appris à gérer ça.

L’humour vous permet-il de vous protéger?
Parfois, l’humour est une carapace indispensable. Avec les retours sur les réseaux sociaux ou les e-mails d’inconnus, c’est très utile d’arriver à mettre une barrière. Il y a des moments où il faut tout de même se dévoiler et être vulnérable. Au début, quand on commence dans un métier public, on a l’impression d’être tout le temps sur le qui-vive. J’ai encore des couacs avec des amis. On me pose une question qui fait resurgir un truc du boulot et là, tout de suite, je pique alors que je suis en sécurité, avec mes proches, que je n’ai aucun besoin de me défendre.

Vous militez ouvertement à gauche. Est-ce un handicap pour votre carrière?
Oui, parfois. Par exemple, lors d’une campagne comme celle du mariage pour tous, je n’ai pas hésité à utiliser l’humour pour donner mon avis de façon un peu plus intéressante. Mais de temps en temps, ça irrite et ça repousse plein de gens qui pourraient aimer mon spectacle. Quand je suis sur scène, mon propos n’est pas politique, à de rares exceptions, comme lorsque je parle d’écologie. On ne se refait pas! Parfois, on m’assimile à mes positions politiques pour affirmer que je ne fais pas rire. Je trouve ça très réducteur.

Vous personnifiez le bobo urbain lausannois de gauche, on est d’accord?
Tout à fait. J’habite à Lausanne, qui est une bulle bobo. Dans mon entourage, globalement, les gens sont du même avis que moi. On est le produit de son environnement, après tout. Je suis très heureux, durant mes tournées, de me retrouver dans des endroits comme Tavannes, Saint-Imier ou à Bellelay pour la Fête de la tête-de-moine, de rencontrer un public qui n’est pas comme moi, de voir où il rigole. Je trouve cette démarche importante. Quand je joue à Paris, où la scène de l’humour est une niche, je me retrouve dans une petite salle avec des trentenaires à lunettes parmi lesquels, l’excentrique, c’est celui qui a fait géographie plutôt que géopolitique à l’uni. J’aime bien aller partout et rester un peu pour discuter.

Thomas Wiesel, le bobo de gauche, gagne-t-il bien sa vie?

Je gagne très bien ma vie. Quand je me compare à d’autres artistes suisses, mon plus grand luxe est de pouvoir choisir mes projets sur d’autres critères que l’argent. Je ne prends que des décisions liées au plaisir. Parfois, mon manager me dit: «Il faut accepter, c’est super bien payé». Et moi, je m’en fous! Pour des gens qui ont choisi des métiers artistiques en Suisse, où la culture est souvent un parent pauvre, c’est hyper rare d’avoir la chance de pouvoir agir ainsi. Je n’ai pas de dépenses, je n’ai rien de matériel, je n’achète rien. Je pourrais gagner peu d’argent et m’en sortir. Du coup, comme j’en gagne pas mal, je m’en sors vraiment bien! Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Alors, j’en profite.

 

 

Avec Cuche & Barbezat et Lambiel

Après plusieurs reports et annulations en raison de la pandémie, le HAHA! Comedy Festival a démarré mardi avec le spectacle «Ça va» de Thomas Wiesel dans un Théâtre Nebia à guichets fermés. Dans la foulée, les organisateurs ont annoncé la présence de Yann Lambiel ainsi que de Cuche & Barbezat à l’affiche de l’édition 2022 (du 12au14mai), où ils rejoignent Charles Nguela, qui présentera son nouveau spectacle R.E.S.P.E.C.T, Peach Weber et Starbugs Comedy. La prévente est d’ores et déjà ouverte. Les organisateurs travaillent également à la mise en place d’un menu copieux pour la scène en plein air, et en libre accès, de la place Guisan. Le programme détaillé sera communiqué en janvier 2022. c-lk

 

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