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Bienne: musique

La Jolytude des choses

Poète et musicien, Antoine Joly sort «Neo Superstition Punk Lieder». Un album hanté par des textes et des arrangements qui sondent les tréfonds de l’âme humaine.

Avec «Neo Superstition Punk Lieder», Antoine Joly livre une œuvre dense et stimulante. LDD/Noé Cauderay

Julien Baumann

De prime abord, on nage en plein cauchemar. Le cauchemar d’un homme désespéré qui a décidé de mettre fin à ses jours par pendaison. Durant ses derniers instants, une multitude de pensées traversent son esprit et, même s’il est trop tard, elles lui permettent de revoir son jugement sur le monde et l’existence.

«Il passe une sorte d’examen de conscience», résume Antoine Joly. Ce tableau sombre et torturé, qui constitue le fil rouge de «Neo Superstition Punk Lieder», a pourtant la vocation, du moins pour ceux qui ne craindront pas de s’y plonger, «de sublimer la noirceur existentielle» et de transformer «le désenchantement du monde en enchantement par l’acte d’écrire et de communiquer», promet son auteur.

Des mots scandés avec sensibilité sur des compositions de Nathan Baumann tantôt bruitistes et expérimentales, tantôt tumultueuses, répétitives ou mélancoliques, la nouvelle œuvre du poète et musicien biennois bouscule à n’en point douter, mais invite tout autant à la contemplation et à la réflexion.

«Pas au premier degré»
En rencontrant Antoine Joly, on s’aperçoit vite que les pensées tourmentées dont il est question dans ce disque ne constituent pas une simple façade ayant pour but d’attirer l’attention ou de choquer. D’une part, le quadragénaire se montre souriant et affable et ne ressasse pas le pessimisme outrancier de certains éternels incompris en mal de reconnaissance.

D’autre part, Antoine Joly dit apprécier les paradoxes et ce qu’il nomme «les jeux de miroirs». D’où une démarche qui tend à révéler de la beauté dans la laideur ou de la lumière dans l’obscurité. «A chaque chose naturelle, la nature a donné un contraire capable de lui résister», écrit-il en introduction du recueil de textes qui accompagnera le CD.

Il explique que l’idée, a priori morbide, d’un homme pendu est avant tout un symbole. «L’image est génératrice de différentes strates. Cette noirceur n’est pas à prendre au premier degré, ce serait vulgaire. On peut aussi voir une société qui se balance au bout de cette corde.»

La recherche d’un confluent entre imaginaire et réel, esprit et matériel, imprègne la réflexion de l’artiste pour qui il n’y a pas «de divorce entre la réalité et la fiction». Antoine Joly rêve d’un monde «dominé par l’analogie et non la causalité. On a perdu, hélas, la connexion avec les symboles. Si on arrive à réconcilier esprit et matière, on arrivera à l’essence de l’Homme.»

Cette dualité se retrouve aussi dans la personnalité du Biennois. Sans dissimuler son goût pour les discussions complexes et profondes, il ne méprise pas pour autant l’humour et la légèreté. «Mon but est de redonner un peu de désespoir aux gens», ironise-t-il par exemple. S’arrêter à la seule noirceur qui émane de «Neo Superstition Punk Lieder», ce serait passer à côté de l’énergie créatrice positive qui sous-tend l’œuvre.

Dès la première rencontre, on sent qu’Antoine Joly fait partie de ces artistes dont la passion dévore tous les instants du quotidien. Il observe, écoute, commente et semble voir à tous les coins de rue, au détour de toutes les conversations, une occasion de s’inspirer et de proposer de nouvelles interprétations du monde. «Je ne prétends pas détenir la vérité. J’ouvre des portes. J’essaie de permettre aux gens d’accéder à une autre réalité.»

Travail collectif et régional
Cette autre réalité prend corps dans «Neo Superstition Punk Lieder» grâce aux mots et à la musique, mais aussi grâce à un processus de travail collectif. Trois musiciens de la région, Nathan Baumann, Louis Jucker et Pascal Lopinat ont accompagné la composition et l’enregistrement du disque qui s’est fait à l’abri des regards, au Glaucal, un petit studio situé à Courfaivre.

Le graphisme, les sérigraphies et les impressions des pochettes ont aussi été réalisés dans des petits ateliers du coin. «C’était important de travailler avec des personnes qui se sont vraiment investies dans ce projet», estime Antoine Joly qui les qualifie de «compagnons d’alchimie des montagnes jurassiennes». Le lien entre son œuvre et la région revêt apparemment une importance toute particulière:«Ça doit sentir la gentiane, le sapin et la tête-de-moine.»

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