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Tavannes

Le salaire de la sueur, dure loi de Murphy

Le Royal accueille samedi 15 octobre l’un des plus brillants folk-rockers américains. Un poète un brin maudit chez les siens, mais auréolé d’un prestige inoui sur le Vieux Continent où il vit. Sûr que cet Elliott-là n’a rien d’un dragon.

Avec son guitariste prodige Olivier Durand (à gauche), Elliott Murphy dégage toujours une folle énergie sur scène dans cette formule duo. DR

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Pierre-Alain Brenzikofer

Plus que n’importe quelle autre, la galaxie rock recèle de mystères. D’injustices, aussi. Si tel n’était pas le cas, Elliott Murphy et Sixto Rodriguez brilleraient au firmament des stars.Car le premier nommé possède certes le chapeau, mais aussi le talent de Bob Dylan. Grand pote de Bruce Springsteen qui l’invite sur scène lors de chacun de ses passages à Paris, cet exilé dans la capitale française est encensé par tous les grands.

Authentique bête de scène, il a réalisé «Aquashow», son premier album, en 1973. «Just a story from America» (1977), représente l’un des disques les plus encensés de l’histoire du rock. Les ventes, hélas, n’avaient pas suivi.

Qu’à cela ne tienne! A l’image de moult Américains, maudits ou dandies, peut-être trop sophistiqués pour leur propre nation, Elliott Murphy a choisi l’exil parisien en 1989. Depuis, il arpente la vieille Europe à un rythme de stakhanoviste. Chacun de ses concerts fait figure d’événement débordant de sueur, de ferveur et d’énergie. Plusieurs de ses compositions sont devenues des classiques.Et les covers qu’il tire de certaines chansons des Doors, de Dylan, des Them ou des Stones atteignent des sommets d’émotion, aussi.

A Tavannes, il se produira en duo avec son guitariste prodige Olivier Durand. Un ex-Little Bob Story qui amplifie sa guitare acoustique pour la faire sonner comme celle de Jimmy Page. Ahurissant. A eux deux, ces gars dégagent l’énergie des Who et de New Model Army. Hep! on laisse parler Murphy, svp!

Elliott, si on vous dit ‹Old rockers never die›, ça vous convient comme philosophie?
Eh bien, je pense qu’on peut citer une multitude d’exemples d’artistes rock prestigieux au succès incroyable, mais qui n’en continuent pas moins à se produire sur toute la planète comme Springsteen, Dylan, les Stones et même sir Paul McCartney. Je ne pense pas qu'ils font ça pour l’argent.

Ce mode de vie est très addictif et personne ne semble désireux de dire stop, aussi longtemps que le public est de la partie. En ce qui me concerne, quand je suis à la maison, j’ai une folle envie de jouer. Et quand je suis en tournée, je me dis que je serais bien chez moi.

Quelle dichotomie! Bon, pour ma part, j’essaye de ralentir le rythme. Pendant longtemps, je faisais une centaine de concerts par année. Maintenant, je me contente d’une cinquantaine et j’essaye de sélectionner les meilleurs endroits pour jouer. Comme Le Royal à Tavannes! Cela dit, je n’ai de cesse d’écrire des chansons. Et même si j’essayais, ce serait impossible, car tout continue à tourner dans ma tête.

Mais, après toutes ces années, tous ces albums et tous ces concerts, la motivation demeure-t-elle intacte?
Plutôt que de motivation, je parlerais de passion et de vocation. Quand je suis sur scène ou en studio, j’ai l’impression de m’évader dans un autre monde. Cela dit, même si cela peut paraître étrange, mon ambition demeure intacte et, avec chaque nouvel album, je conserve l'espoir d’augmenter le nombre de mes fans et de pouvoir me produire dans des salles toujours plus grandes.

Allez! je suis assez sage pour prendre acte que tout ça n’est guère réaliste à mon âge, surtout après 35 albums. Pour mémoire, j’ai réalisé le premier en 1973. Mais, comme le disait F. Scott Fitzgerald: «Nous luttons contre un courant nous ramenant vers le passé».

Visiblement, vous ne souffrez pas de ce manque d’inspiration qui frappe tant de vétérans du rock...
C’est que je suis plutôt en bonne forme pour mon âge (67 ans, ndlr). Et c’est très important, tant il est vrai qu’être musicien professionnel sur la route exige une grande discipline au sens physique. Je ne fume ni ne bois et je prends grand soin de ma voix. Car si elle perd de sa puissance, il en ira de même de votre inspiration. De toute façon, l’ingrédient le plus important est l’énergie. Et elle provient du public. C’est là le secret du succès que j’obtiens lors de chacun de mes shows.

Vous êtes un parolier remarquable et vous vous produisez avant tout dans des pays dont la langue n’est pas l’anglais. Eprouvez-vous parfois un sentiment de frustration?
On peut effectivement ressentir un certain inassouvissement, bien que certains pays non anglophones parlent l’anglais mieux que d’autres. Quand je me produis en Suède ou en Norvège, c’est comme si je me trouvais en Amérique, car chacun comprend mes paroles. Mais mes plus grandes audiences, je les obtiens en Espagne et en Italie et, bien sûr, en France, où on ne comprend pas toujours le sens de mes mots.

Au surplus, est-ce vraiment nécessaire? Personnellement, je pense que la musique donne des ailes aux mots. Ce n’est pas comme lire un livre dans une autre langue. Les gens parviennent sûrement à capter les émotions que j’essaye d’exprimer, car il s’agit de sentiments universels. Alors, ce n’est pas grave s’ils ne perçoivent pas la signification exacte de mes phrases.

Mais la vraie ironie, dans cette histoire, c’est que la plupart des autres auteurs-compositeurs américains, comme Bruce Springsteen, Tom Waits ou Bob Dylan, sont davantage appréciés en Europe qu’aux USA. Qui sait, peut-être ce manque de compréhension crée-t-il un halo de mystère fort séduisant...

Suivez-vous de près les élections américaines depuis Paris?
Bien sûr. Je regarde tout ça sur CNN. Et je pense que le monde entier a le regard tourné vers cette échéance. Quiconque devient président des Etats-Unis a une influence énorme, réelle et symbolique, sur l’état du monde.Personnellement, j'étais un grand fan du président Obama et j’espère que sa politique sera poursuivie. La chose la plus importante, durant son mandat, relève de ce qui ne s’est pas produit.

Il n’y a pas eu de nouvelles guerres ou de récession économique. Par ailleurs, j’admire l’intelligence d’Obama. Et, savez-vous, c’est un grand fan de rock and roll, de soul et de blues. Que pourrait-on demander de plus à un président?

Précisément, que pensez-vous du fond de la campagne en cours? Cela vous inspirera-t-il une chanson?
A de rares exceptions près, j’essaye d’éviter la politique dans ma musique. J’ai composé un morceau sur la guerre du Vietnam intitulé «The fall of Saigon» et un autre sur le danger de flirter avec le fascisme, «Eva Braun». Par contre, la plupart de mes textes font état de la guerre émotionnelle que nous livrons chaque jour à nous-mêmes.

C’est triste à dire, mais les politiciens sont les rock stars de notre ère. Ils sont en permanence à la TV, à tel point que je sais pas quand ils trouvent le temps de faire leur job. Keith Richards président, telle est ma devise!

Pour ceux qui ne vous connaissent pas, si on vous situe entre Bob Dylan et Tom Petty, cela vous convient-il?
Il s’agit effectivement de deux grands artistes et je les admire tous deux. On trouve une saveur du Sud dans la musique de Tom Petty, ce que j’apprécie énormément, surtout que mon grand-père venait du Mississippi. Quant à Dylan, il s’agit véritablement du Picasso du rock and roll.

Mais, franchement, je ne crois pas sonner trop comme l’un et l’autre, ne trouvez-vous pas? Cela dit, tous les gens de mon âge que j’admire ont été inspirés par Dylan, les Beatles et les Stones. Pour nous tous, ils représentaient la sainte trinité quand nous avions douze ans et que nous plaquions nos premiers accords sur une guitare.

Personnellement, j’ai une nette préférence pour les rockers qui écrivent leur propres hymnes. Je ne suis donc pas objectif, notamment par rapport à Elvis qui n’a jamais rien composé. Reste qu’être situé entre Bob et Tom, c’est un grand honneur.

Quelles sont vos sources d’inspirations actuelles?
Regarder mon fils Gaspard, âgé de 26 ans, devenir un homme et un musicien. Et poser un regard rétrospectif sur mon histoire personnelle et publique. Quand vous écrivez des chansons à 20 ans, elles débordent d’espoir et de rêves.Mais à 60, vous avez tendance à regarder les choses sous un angle différent et même avec une once de regret.

C’est un point de vue plus doux-amer, mais c’est bien. Moi, j’ai toujours espéré que le rock and roll pourrait croître avec ceux qui l’aiment. Il n’est pas nécessaire qu’il demeure perpétuellement une musique d’adolescents. Qu’il grandisse!

Elliott Murphy en concert au Royal à Tavannes le samedi 15 octobre à 21h. Réservations: 032 481 26 27 ou reservations@leroyal.ch

 

En janvier, le retour du fils prodigue

Vous écrivez également des livres. Ont-ils été traduits en français?
La plupart, oui. Deux ont ainsi été édités par Hachette. L’un, «Cafe Notes», est un recueil de nouvelles. J’ai aussi écrit un roman néo-western, «Poetic justice», également traduit. Mon dernier bouquin, «Marty May», qui raconte l’histoire d’une rock star déchue dans les années 80, a été publié par Gallimard et traduit juste après.

Cet été, je viens de terminer un nouveau roman, «Tramps», qui évoque mes expériences vécues comme musicien dans de petits bars blues de New York. J’espère qu’il sera publié l’année prochaine. Et évidemment traduit en français.

Votre prochain disque, c’est pour quand?
Je l’ai baptisé ‹Prodigal son› et il sortira en janvier prochain. Mon fils Gaspard en est le producteur et nous venons de terminer le mixage. J’ai travaillé avec un ensemble de gospel et ce fut véritablement excitant. Je pense avoir réalisé ici l’album le plus spirituel de toute ma carrière.

A quoi le public du Royal à Tavannes doit-il s’attendre?
Olivier Durand, mon fidèle guitariste depuis plus de 20 ans, et moi ne remplissons la set list que cinq minutes avant le début du concert. Nous nous efforçons toujours de réserver quelques surprises au public, mais également de jouer les classiques que nos fans attendent. Et si quelqu’un, parmi la foule, réclame une chanson particulière et que je me souviens des paroles, j’essaye d’en fournir une version spontanée.

Mais tous ceux qui viendront au Royal peuvent être sûrs d’une chose: je donnerai 100% de ma passion et de mon énergie sur scène. Quand cela ne sera plus possible, j’abandonnerai.

Mais ça ne sera jamais le cas!

Intimiste et survolté à la fois: on est promis à un grand show folk-rock! DR

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