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Economie

«Les crises accentuent les trends»

A l’arrêt depuis le déclenchement de la pandémie de coronavirus, l’économie mondiale est en crise. CEO de TX Markets, branche online de l’ex-Tamedia, le Biennois Olivier Rihs évoque les répercussions de la récession dans le réel et dans le digital.

«Les huit ou neuf prochains mois, on va naviguer en eaux troubles», prédit le Biennois Olivier Rihs. (Keystone))

Laurent Kleisl

Ex-CEO de Scout24, directeur du Salon international de l’automobile de Genève jusqu’au 31 mars dernier, Olivier Rihs pose un regard panoramique sur la situation économique actuelle. Désormais CEO de TX Markets, le Biennois de 51 ans dirige toutes les plates-formes de marchés en ligne de l’agglomérat zurichois TX Group, parmi lesquels Ricardo, Tutti et Jobs.ch. Ce grand supporter du HC Bienne prône la pensée positive au cœur d’un libéralisme à taille humaine.

Olivier Rihs, un système économique qui explose après à peine plus d’un mois de perturbations est-il viable?
Non, je ne pense pas. A force de travailler en permanence en flux tendus, il a suffi qu’une partie de la chaîne saute pour que la machine déraille. Sur le long terme, de vraies questions devront se poser dans les plus hautes sphères, qui ont constaté qu’un virus peut mettre tout le système k.-o. Ces réflexions-là vont devoir se faire.

Quelles réflexions?        
On vit une faillite du capitalisme pur et dur. L’argent doit circuler, c’est la base même du capitalisme. Si la richesse est thésaurisée par quelques-uns, l’argent ne circule plus. Il faut trouver un procédé pour que le plus grand nombre se retrouve dans le système et puisse bien vivre de son travail. La classe moyenne doit être la plus large possible, comme en Suisse. Certains domaines méritent d’être régulés, d’autres ont besoin de laisser-aller, c’est un savant équilibre entre règles et liberté. En Suisse, grâce à des forces politiques qui s’annulent et qui nous évitent de tomber dans des extrêmes stériles, cet équilibre est bon.

Avec 60 milliards de francs injectés par la Confédération, n’est-ce pas le grand retour de l’Etat-Providence?
Je suis quelqu’un de libéral, qui prône l’innovation et la liberté d’entreprise, mais ces interventions sont nécessaires. Le pire aurait été d’agrandir encore plus les fractures qui existent déjà en temps normal. En injectant cet argent d’une façon ou d’une autre, l’Etat soutient les salariés, les indépendants, les entreprises et permet à la population de vivre. Mais ces milliards vont laisser davantage de traces qu’on ne le pense, car il va falloir les rembourser.

Que pensez-vous des décisions sociales et économiques prises par le Conseil fédéral?
Un peu plus, un peu moins, on peut toujours discuter, mais les critiques m’agacent. Le Conseil fédéral a pris ses responsabilités. Il a fait du bon boulot, point. Le gouvernement a tout mis dans la balance pour que l’économie puisse en bonne partie continuer à fonctionner, c’est ça le pragmatisme helvétique. Bien sûr, certains secteurs sont bien plus affectés. Comme je travaille pour un groupe de médias, je parle en connaissance de cause. Pour les trois premiers mois de 2020, les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes et les prévisions pour les mois à venir ne vont pas forcément vers une reprise rapide et immédiate.

Quelles sont ces prévisions?
Jusqu’à la fin de l’année, l’activité va reprendre en douceur. On pourrait retrouver un niveau plus ou moins normal durant la première partie de 2021; dès que les frontières vont rouvrir, le business pourra recommencer. Les huit ou neuf prochains mois, on va naviguer en eaux troubles. En Suisse, où le taux de chômage se situe d’habitude en dessous de 3%, on va sans doute atteindre les 5 à 6%. C’est un cercle vicieux, car tout est imbriqué. Pour prendre un exemple qui m’est proche, le Salon international de l’automobile, ce sont des agents de sécurité, des techniciens, des restaurants, des hôtels, des milliers de nuitées et j’en passe. Son annulation, c’est 250 millions de retombées perdues, sur deux mois, pour le canton de Genève.

Sur les marchés en ligne qui composent votre business, où avez-vous en premier constaté l’effondrement de l’économie?
Les plates-formes d’offres d’emploi permettent de sentir rapidement si l’économie reprend ou si elle se casse la figure. Mi-mars, on a brutalement perdu 70 à 80% des annonces sur ce marché. L’économie s’est bloquée instantanément. Jusque-là, elle se portait bien malgré un léger tassement, mais un tassement à un très haut niveau.

La vente en ligne, par contre, connaît un authentique boum...
Les crises accentuent les trends, et la tendance d’acheter en ligne, qui s’est accrue ces dernières semaines, va rester. Les consommateurs qui n’y étaient pas encore ont constaté que ce système fonctionne, qu’il est simple, pratique et qu’il permet de découvrir de nouvelles choses. Dans notre groupe, des plates-formes comme Tutti et Ricardo marchent particulièrement bien. Depuis son domicile, tout le monde commande, achète ou vend un maximum.

Ce comportement sonne-t-il le glas du commerce de proximité?
Pour les petits commerces locaux, il devient encore plus important d’être présent online. Prendre les commandes sur un site internet et, si possible, livrer à la maison, c’est leur planche de salut.

La période de semi-confinement a également conduit à un retour à certaines valeurs de simplicité. Ne craignez-vous pas une baisse de la consommation?
Les gens ont constaté qu’ils n’ont pas besoin d’absolument posséder la dernière nouveauté, cette attitude va peut-être rester. Mais l’être humain a la mémoire courte et retrouve rapidement ses vieux réflexes. Globalement, je ne crois pas à une baisse de la consommation. Une fois qu’on a fait le tour de son appartement ou de son jardin, on a envie de bouger! On ne peut pas empêcher les gens de vivre, d’être mobiles et de faire du commerce.

Vous dites que les crises accentuent les tendances. Qu’en sera-t-il du monde du travail?
Je suis quelqu’un de foncièrement positif, et il faut savoir prendre le meilleur en toutes circonstances. Les collaborateurs ne voudront plus entrer dans un moule rigide, ce modèle-là est arrivé à ses limites. Le télétravail, les vidéoconférences, nombreux sont celles et ceux qui ont découvert des technologies qui changent les relations de travail. A mon avis, les salariés ne seront plus prêts à courir autant qu’avant. Nous allons tous un peu descendre dans les tours!

 

Une libération venue du Conseil fédéral

Innocemment, Olivier Rihs est entré dans l’histoire du Salon international de l’automobile de Genève. Directeur de la manifestation entre février 2019 et fin mars 2020, le Biennois a réussi l’exploit de ne présenter aucune édition de GIMS – Geneva International Motor Show. «Pour ça, je vais passer à la postérité!», sourit l’éphémère successeur d’André Hefti.

Le 28 février, suite à l’annonce faite par le Conseil fédéral d’interdire les rassemblements de plus de 1000 personnes, le dernier acte d’Olivier Rihs a été d’officialiser l’annulation de la version 2020, prévue du 5 au 15 mars. «Dans l’attente d’une décision politique, la semaine qui a précédé a été très compliquée», confie-t-il. «Avec de multiples intérêts et des millions de francs en jeu, le manque de clarté politique a été stressant pour tout le monde. Et l’insécurité, dans le business comme dans la vie, c’est le pire de tout!» Plus de 600 000 visiteurs étaient attendus au bout du Léman.

Dédouanés par l’ordonnance promulguée par les Sept Sages, les organisateurs du Salon ont «pris la décision qui s’imposait», coupe Olivier Rihs. «Personnellement, c’était dur de voir tous ces professionnels, avec qui nous avions bossé d’arrache-pied, déçus de ne pas découvrir le résultat de leur travail et craindre pour leur emploi. Je parle d’indépendants dont le Salon représente parfois 50% du chiffre d’affaires annuel. C’est ce qui m’a le plus marqué durant cette période.» Pendant une année, Olivier Rihs et son équipe avaient façonné ce qui devait être la 90e édition de GIMS. «On avait un concept très sympa. On avait transformé une des halles de Palexpo en piste de test pour voitures électriques. On avait prévu entre 11 000 et 15 000 courses d’essai sur la durée du Salon.»

Pygmalion de la motorisation électrique, Tesla avait pourtant fait faux bond, tout comme de nombreux autres grands constructeurs – Citroën, Peugeot, Ford, Opel, Mitsubishi, Nissan, Mini, Volvo ou encore Jaguar, Lamborghini et Land Rover. «C’est une simple question de rapport coûts-efficacité», analyse Olivier Rihs. «Le stand de Daimler-Mercedes, c’est un investissement global de 20 millions de francs. Les marques réfléchissant à deux fois avant de mettre une telle somme dans une seule activité marketing, car aujourd’hui, il existe d’autres canaux de promotion. Dans le passé, une foire avait un sens parce que les produits étaient mis sur le marché une fois par année. Désormais, comme les marques adaptent continuellement leurs produits, cet ancrage annuel n’existe plus.» Tout se perd, non?

 

 

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