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Road trip 6/10: armes à feu

À la grand-messe des flingues

Au congrès annuel de la NRA, le lobby des armes, le Colt est roi, le Deuxième Amendement sacré et les morts vite oubliés.

Acheteurs compulsifs, militants trumpistes, figures du far west et jolies petites familles: plus de 70 000 personnes défilent dans le centre de congrès de Louisville durant le week-end. Xavier Filliez
  • Dossier

Xavier Filliez

Louisville

Stands de hot-dogs, musique country et débauche d’artillerie. Le centre de congrès de Louisville, Kentucky, qui accueille la Convention nationale de la NRA (National Rifle Association), est le carrefour de deux Amérique: grossière et splendide.

Septante mille personnes défileront dans ces allées au cours du week-end, supporters impénitents du Deuxième Amendement. Aux Etats-Unis, posséder une arme, pratiquement sans aucune restriction, du Colt discret au fusil à pompe en passant par le semi-automatique type AK-47, est un droit constitutionnel. Il y a 310 millions d’armes à feu en circulation dans le pays, une par habitant.

La convention de la NRA, c’est la célébration de ce privilège. Mais hors les murs, le coût est élevé. Les armes à feu tuent 30000 personnes par an (dont 20000 par suicide) en Amérique. Une déclaration qui offusque Ben et Eric, deux copains, bien nourris, dans la vingtaine, venus tout droit du Wisconsin, à neuf heures de route, pour cette grand-messe.

«Ce ne sont pas les armes qui tuent. Ce sont les gens malintentionnés. Comment ce fusil, là-bas, pourrait-il se lever et descendre quelqu’un?» Rire rustre, quasi-indigne quand on pense à quel rythme les Américains s’entretuent.

43 milliards de dollars
La fusillade d’Orlando, au début de l’été, qui a fait 49 morts dans une boîte gay, n’est que la plus récente d’une très longue série. Virginia Tech, 2007, 32 morts. New Town, 2012, 27 morts. San Bernardino, 2015, 14 morts. Columbine, 1999, 13 morts. Pour ne citer que les plus illustres.

A chaque fois, l’opinion publique se renverse. Selon un récent sondage, 92% des Américains veulent un meilleur contrôle de l’accès aux armes. Mais les tentatives politiques, majoritairement démocrates, échouent devant le Congrès, face au bloc républicain et au surpuissant lobby des armes, qui dépense sept fois plus que sa contrepartie (soit 30 millions en 2013 et 2014) pour la diffusion de son message, parfois en payant directement des élus. Quant à l’industrie des armes, elle représente 260 000 emplois directs et indirects et un impact global sur l’économie américaine de 43 milliards de dollars annuellement, selon les chiffres de la National Sport Shooting Foundation (NSSF).

Dans le grand hall où s’entrecroisent acheteurs compulsifs, représentants, militants trumpistes, figures du far west et jolies petites familles, il y a Sarah et Nick. Avec leur fille Eva, 8ans, qui participe à sa troisième foire aux armes («gun shows»). Le couple a gagné un fusil à 2000 dollars à la tombola ce matin. Nick est armé. Comme tous les jours. Un 380 et un 9mm.

Une question d’éducation
Sur les armes, leur discours est modéré, mais intransigeant: «Posséder une arme est une question d’éducation et de comportement approprié. C’est comme conduire une voiture. Nous apprenons aussi à notre fille à se comporter si elle tombe accidentellement sur une arme.» Politiquement, les deux voteront Trump, «qui est loin d’être parfait, qui a fait des déclarations qui nous ont fâchés mais qui, comme tous les chefs d’Etat, saura bien s’entourer une fois élu et dirigera le pays comme il l’a fait pour ses entreprises».

Nick est un père de famille manifestement très civilisé. Ce n’était évidemment pas le cas d’Omar Mateen (le tueur d’Orlando), d’Adam Lanza (Newtown), ou de Seung-Hui Cho (Virginia Tech), qui, en dépit de leur instabilité mentale ou de leurs antécédents, ont pu se procurer des armes semi-automatiques pour commettre leurs atrocités.

L’Amérique a, un temps, interdit la vente de fusils d’assaut (de 1994 a 2004) mais une mesure similaire n’a jamais repassé la rampe depuis. Le législateur essaie d’améliorer le système de «background checks» (le contrôle d’antécédents) défaillant, exécuté à chaque demande d’acquisition d’une arme.

Voie libre pour les criminels
Mais en dépit de leurs troubles mentaux, de leur passé criminel ou d’investigations en cours, les auteurs des seize plus récentes fusillades de masse aux Etats-Unis (au moins 4 blessés ou morts) ont tous pu se procurer au moins une arme, révélait le «New York Times» en juin. Parfois, à défaut d’une inculpation en cours. Parfois en échappant au contrôle grâce à des ventes privées ou lors d’achat dans les foires aux armes.

Parmi les 800 000 personnes figurant sur la «terror watchlist» du FBI (liste de personnes soupçonnées d’être en lien avec une organisation terroriste) selon un décompte de septembre 2014, la plupart non Américaines, dont 64 000 sont interdites de vols commerciaux vers ou au départ des Etats-Unis, 2230 individus ont fait une demande d’arme entre 2004 et 2014. Or, seulement 190 de ces demandes ont été déclinées, faute d’autres facteurs disqualifiants, convictions, trafic de drogue, problèmes mentaux avérés pour les autres cas.

Pour Ben et Eric, c’est clair: «Il n’y a aucun moyen d’empêcher les déséquilibrés d’avoir accès à une arme. Les criminels sont des criminels. Dès lors, la meilleure défense, c’est l’attaque. Laissez les Américains s’armer et se défendre.» Il semblerait que cet appel soit largement suivi. Après chaque tuerie de masse, les ventes d’armes à feu aux Etats-Unis prennent l’ascenseur.

Ben et Eric ont roulé neuf heures depuis le Wisconsin pour assister à la Convention de la NRA. Xavier Filliez

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