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Road trip 8/10: formation

L’apprentissage made in Switzerland

La dette d’université des étudiants américains atteint 1300 milliards de dollars. Mais une entreprise suisse offre une solution.

Aux Etats-Unis, 0,2% seulement de la force de travail est issue de l’apprentissage. Xavier Filliez
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Xavier Filliez

Huntersville

Charlotte est connue pour ses courses de Nascar, son équipe de NFL (les Carolina Panthers) et pour abriter le siège social de la Bank of America. Mais cette charmante ville de Caroline du Nord à l’ambiance quasi méditerranéenne, offre à l’Amérique un autre atout insoupçonné: une filière d’apprentissage à la mode helvétique.

Sous les feuillus fournis de Reese Boulevard, en banlieue (Huntersville), l’enseigne Daetwyler Plaza en grosses lettres orange indique le chemin vers un vaste bâtiment vitré où nous attend Caleb. Ce jeune Américain de 20 ans est en troisième année d’apprentissage au sein du groupe d’ingénierie de précision, fondé à Langenthal (BE). Il explique son choix ainsi: «Je ne me sentais pas l’envie de partir à l’université. J’aimais l’idée d’être payé. Et je voulais faire quelque chose de mes mains.»

Etalé sur quatre ans, le programme prévoit des demi-journées de formation en entreprise et des demi-journées de cours en collège technique la première année. Puis, quatre jours de travail par semaine et un jour de cours les trois années suivantes. La routine, pour qui est familier de la formation duale helvétique.

Mais une exception aux Etats-Unis, comme le rappelle Walter Siegenthaler, directeur des activités américaines de Daetwyler: «En Suisse, 65% des jeunes qui entreprennent une formation de degré secondaire II se tournent vers l’apprentissage. Aux Etats-Unis, 0,2% de la force de travail seulement est issue de l’apprentissage.»

Obama investit 90 millions
Le programme a démarré modestement voilà vingt-cinq ans lorsque Daetwyler et Blum, une autre société d’ingénierie, se retrouvèrent, en même temps, confrontées à des problèmes de recrutement de main-d’œuvre pour leurs activités de service et de maintenance et décidèrent de former leurs ouvriers elles-mêmes. Baptisé «Apprenticeship 2000», le programme regroupe désormais six partenaires industriels et offre aux apprentis un cursus technique aboutissant à un diplôme de mécatronicien associé reconnu sur le plan national.

Aux Etats-Unis, la filière d’apprentissage commence à connaître un certain soutien de la classe politique. Le vice-président Joe Biden et son épouse Jill, enseignante dans une école professionnelle de Washington, se sont plusieurs fois, publiquement, dits impressionnés par le modèle suisse. Barack Obama annonçait l’an dernier un investissement de 90 millions de dollars dans des partenariats public-privé pour créer 34 000 nouvelles places d’apprentissage.

L’an dernier, Johann Schneider-Ammann était reçu à la Maison-Blanche pour exposer les mérites de l’apprentissage aux secrétaires au Commerce et au Travail avec qui il signa un accord de coopération. Et le lendemain de notre rencontre, Walter Siegenthaler s’en allait pour Washington rencontrer des membres du Congrès, responsables des ressources humaines de grandes entreprises et des groupes d’investisseurs. «L’ambassade de Suisse à Washington nous aide beaucoup dans ces contacts.»

Clinton y croit aussi
Dans son «Agenda pour l’innovation et la technologie», Hillary Clinton assure pouvoir augmenter le PIB américain de 1,6% (500 millions de dollars) grâce à une diversification de la main-d’œuvre technologique, en offrant de meilleures chances, notamment aux minorités et aux femmes, d’y accéder entre autres par le biais de la filière d’apprentissage. Elle promet des rabattements d’impôts aux entreprises engageant des apprentis.

Cette solution de remplacement de l’université est d’autant mieux accueillie aux Etats-Unis que la dette des étudiants fait régulièrement polémique. La dette universitaire se monte aujourd’hui à 1300 milliards de dollars (l’équivalent de deux tiers des dettes cumulées des cartes de crédit et des emprunts contractés par les Américains pour leur véhicule).

Contrairement à la dette ménagère, qui s’est réduite depuis la crise, la dette universitaire a doublé, de 548 milliards à 966 milliards entre 2007 et 2012, soit 21000 dollars par personne, en raison de frais d’écolage énormes et de taux d’intérêt très élevés.

Un fléau dont Hillary Clinton promet également de faire son affaire à travers un programme de refinancement des dettes à taux plus favorables, une aide au remboursement pour les jeunes entrepreneurs, et en promettant des universités gratuites pour les familles modestes (moins de 125 000 dollars de revenu par an).

Coûteux mais prometteur
«Injecter de l’argent ne suffira pas», prévient Walter Siegenthaler. «Il existe différents programmes de qualité différente à travers les Etats-Unis, malheureusement pas tous très structurés. Après des années de mise au point, le nôtre permet d’accéder à un diplôme reconnu à travers les Etats-Unis. Grâce à notre programme, un jeune peut commencer dans la technique et finir dans la vente. Ou même continuer sa formation jusqu’au diplôme d’ingénieur. Il faut informer les parents, les jeunes et surtout, les entreprises, de ce potentiel.»

En acceptant de former un jeune tout au long de la filière d’apprentissage, entre le salaire (38 000 dollars par an), les frais de scolarité et le matériel d’étude, une entreprise comme Daetwyler investit en effet pas loin de 160000 dollars par apprenti.

«Nous attendons un retour sur investissement, commente Bob Romanelli, chef de la filière apprentissage chez Daetwyler US, auprès de Caleb occupé à façonner une pièce métallique sur un tour alors que flotte dans la grande halle de Daetwyler un drapeau suisse sous une photo du Cervin. «Ici, nous voyons nos apprentis grandir et changer énormément. Entre nos mains, ils passent de l’enfant à l’adulte. C’est magnifique.»

Walter Siegenthaler, directeur de Daetwyler USA, Bob Romanelli, responsable de la filière apprentissage et un de leurs apprentis, Caleb. Xavier Filliez

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