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Road trip 9/10: analyse

L’isolationniste et la va-t-en-guerre

«America First», proclame Donald face à l’interventionnisme d’Hillary. Quelle stratégie militaire pour les Américains?

Keystone/Montage NF
  • Dossier

Xavier Filliez

Politique

Des rues moites de Miami aux déserts de l’Arizona, des prairies du Missouri aux bourrasques du Colorado, j’ai vu un pays qui change de visage. Conflit racial, contrôle des armes, légalisation de la marijuana, influence de la communauté latino, mariage gay: des faits de société saillants qui sont en fait de purs enjeux de politique intérieure.

La politique étrangère pèse généralement peu dans les élections américaines. Or, la crise migratoire, additionnée aux récents attentats, revendiqués ou non par l’Etat islamique (EI) ces derniers mois, alarme également les Américains que j’ai rencontrés, ravive les plaies du 11 Septembre et rappelle l’imminence d’une menace extérieure.

Comment le ou la futur(e) résident(e) des Etats-Unis gèrera-t-il (elle) le risque terroriste? Quel est, selon lui (elle), la légitimité d’un nouvel engagement militaire au Moyen-Orient, considérant la force de frappe américaine et son héritage guerrier toujours controversé, après notamment le saccage de l’Irak en 2003 par Georges W. Bush? C’est aussi à ces questions que les électeurs devront répondre pour faire leur choix.

Le legs de l’administration Obama, d’abord. Le fiasco en Irak a influencé la politique étrangère ces huit dernières années. Qu’on soit stratège ou néophyte, les manœuvres de Barack Obama apparaissent chancelantes, souvent contradictoires. Il n’utilise pas facilement la force militaire. Il a par exemple fait preuve d’une extrême réserve à l’aube du printemps arabe.

Plus récemment, il a refusé de frapper la Syrie malgré la preuve de l’utilisation d’armes chimiques ayant tué 1300 civils dans la banlieue de Damas en 2013 – probablement à la faveur de relations cordiales avec l’Iran et d’un deal sur le nucléaire signé plus tard avec Téhéran, mais alors qu’il avait mis en garde Assad contre cette «ligne rouge» à ne pas franchir.

Les casseroles d’Hillary
Pour Obama, le mot d’ordre c’est: «No boots on the ground» (pas d’intervention militaire sur le terrain). Les voix les plus critiques, surtout dans le camp républicain, lui reprochent, du coup, sa frilosité, son laxisme, et même sa peur des mots face à l’Etat islamique, dont il refuse de qualifier les ignominies de «terrorisme islamique radical».

Mais Obama frappe quand même. Il frappe avec des drones aussi bien pour des opérations de combat que de contre-terrorisme. Partout. En Somalie. En Libye. En Afghanistan. Au Pakistan. Au Yémen.

Supposément plus propre, parce que plus ciblée, l'utilisation de drones par l'administration Obama s’est souvent révélée approximative et continue de faire de nombreuses victimes collatérales. DR

 

Les deux candidats en lice ont promis, chacun à leur façon, des interventions militaires après les élections. Démocrate et ex-secrétaire d’Etat d’Obama de 2009 à 2013, Hillary Clinton peut, de prime abord, paraître plutôt pacifiste. N’a-t-elle pas embrassé et popularisé la philosophie du «smart power» dès le début de son mandat, c’est-à-dire l’utilisation bien calculée d’une combinaison d’outils diplomatiques, économiques, politiques, militaires et légaux dans la tradition des grands démocrates d’après-guerre et visant avant tout la reconstruction des démocraties?

Mais Hillary Clinton traîne aussi de sérieuses casseroles. Elle a voté pour la guerre en Irak en 2002 alors qu’elle était sénatrice. Elle a joué un rôle majeur dans la décision d’Obama de combattre en Libye en 2011 et d’armer secrètement les milices rebelles. Cette guerre-là a fait tomber Kadhafi et, sans doute, évité une catastrophe humanitaire majeure. Mais n’en a-t-elle pas créé une autre?

L’affaire Benghazi
Elle a également défendu une position interventionniste sur la Syrie, lorsqu’elle a plaidé, dès 2012, pour l’armement des forces de l’opposition. Idem en 2015, lorsqu’elle souhaitait des zones d’exclusion aérienne en Syrie, qui auraient exigé l’utilisation de forces terrestres.

Si elle ne se déclare, pour le moment, pas favorable à la présence de troupes au sol en Syrie et en Irak et tient un discours modéré sur l’islam, Hillary Clinton reste néanmoins une belliciste dans l’âme, une «war-monger», rappelait un récent portrait du «New York Times» assurant que «personne n’a démontré le même appétit que Hillary Clinton pour un engagement militaire à l’étranger», citant une source proche: «Elle préfère l’action à l’inaction quitte à prendre un immense risque.»

Ce bilan divise évidemment de nombreux Américains qui lui mettent aussi sur le dos l’attaque du complexe des Etats-Unis à Benghazi, le 11 septembre 2012, qui a fait des victimes américaines.

Moqué pour son manque d’expérience en politique étrangère (il a déclaré qu’il en avait puisqu’il avait «organisé la parade de Miss Univers» en Russie), Donald Trump s’est peu confié ou de façon plus floue sur ses ambitions mais a une vision étonnamment assez proche de celle de Barack Obama.

«Il faut abandonner l’idée dangereuse que nous pouvons construire des démocraties dans des pays qui n’ont ni expérience ni intérêt pour les démocraties occidentales», a-t-il déclaré. Il reconnaît qu’être allés en Irak a déstabilisé le Moyen-Orient, et menace de quitter l’Otan qu’il juge «trop bureaucratique, obsolète et trop chère pour ce que les Etats-Unis ont à gagner dans cette alliance».

30 000 soldats en Irak et en Syrie
Sa philosophie militaire, s’il en a une, est inspirée du mouvement America First, un concept né à la fin des années trente, prônant l’isolationnisme en politique extérieure et ne défendant une intervention militaire à l’étranger que si une menace réelle sur la nation se fait sentir.

Il s’oppose donc à la vision du messianisme américain, qui voit les Etats-Unis se mêler des affaires de tous au nom de valeurs universelles. George Washington n’en demanderait pas plus. Evidemment, la réserve et la sérénité de Trump se heurtent à la menace du terrorisme islamiste, qu’il veut combattre avec la plus grande véhémence en envoyant 20 000 à 30 000 soldats au sol en Irak et en Syrie.

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