Vous êtes ici

Abo

Moutier

Au bout du pistolet, la réflexion

Le travail artistico-philosophique de Guillaume Legros, alias Saype, vu aux quatre coins du monde

Début août, Guillaume Legros, alias Saype, a sprayé les hauteurs de Leysin pour donner naissance à une oeuvre gigantesque et éphémère. Celle-ci sublime les lieux et pousse à la réflexion. LDD

Michael Bassin

«Honnêtement, je ne m’attendais pas à un tel impact...» Assis sur une terrasse à Moutier, pétillant de gentillesse, Guillaume Legros affiche une humilité assez déconcertante. Pourtant, celui-ci aurait de quoi se prendre la tête. L’œuvre monumentale (10000m²) qu’il a récemment réalisée sur l’herbe, à Leysin, a eu un écho retentissant. Des USA au Danemark en passant par la Thaïlande, son dessin a été recensé dans plus de cent publications à travers le monde! Le JdJ en avait d’ailleurs fait sa photo du jour le vendredi 5 août.

L’image de ce berger dessiné avec de la peinture biodégradable pulvérisée au pistolet a donc fait le buzz. Mais peu de gens savent que son auteur vit et travaille à Moutier. Originaire de France voisine, celui qui est infirmier à l’Hôpital du Jura bernois est venu s’installer en Prévôté il y a cinq ans et demi. Mais pour une raison que lui-même peine à expliquer, le volet artistique de sa vie n’avait guère été mis en valeur dans notre région jusqu’à aujourd’hui. Et pourtant, en France, le jeune homme âgé de 27ans a exposé ses premières œuvres en galerie à l’âge de seize ans.

Dans le sud, le déclic

Né à Belfort en 1989, Guillaume Legros confesse volontiers que ses tout premiers contacts avec la peinture avaient peu de rapport avec ce qu’il fait aujourd’hui... «A une époque où j’étais un peu rebelle, mu par un esprit de liberté, j’ai commencé à m’amuser avec des bombes de spray pour taguer et faire des graffitis un peu n’importe où.»

Puis, c’est le déclic. En goguette dans le sud de l’Hexagone, Guillaume Legros tombe sous le charme des spécialistes de space pating, ces artistes de rue donnant naissance à des tableaux grâce à leurs bombes de spray. «Ce fut le coup de cœur. De retour chez moi, j’ai appris tout seul. J’ai bossé comme un fou. Puis, avec des potes, on est retourné dans le sud. Moi je dessinais et cela faisait vivre tout le monde», se souvient celui qui, côté professionnel, est passé par le lycée et l’école d’infirmier.

Avec les années et l’expérience, son travail artistique a évolué, mûri. Aujourd’hui, celui qui a endossé le nom de Saype (abréviation de Say Peace, «dire la paix») maîtrise plusieurs techniques. Il affectionne particulièrement l’aérographe, cet outil proche de la bombe qui permet toutefois d’être beaucoup plus précis. Mais Saype ne fait pas que dessiner. Il s’exprime et pose des questions. Passionné par la philo et les interrogations existentielles, il aime utiliser son art pour explorer des problématiques liées à l’être humain.

Début août, Guillaume Legros, alias Saype, a sprayé les hauteurs de Leysin pour donner naissance à une oeuvre gigantesque et éphémère. Celle-ci sublime les lieux et pousse à la réflexion. LDD

Peinture bio et maison

En guise de supports, Saype a utilisé des toiles de grands formats. Il a aussi inventé la superposition de plaques de plexiglas, ce qui donne des œuvres dynamiques puisque celles-ci changent selon le point de vue du spectateur.

Enfin, il y a trois ans, Saype s’est mis au landart, à savoir de l’art dans la nature. «Je voulais faire quelque chose de nouveau pour moi, qui interpellait les gens et qui avait trait à l’écologie. C’était le début de la mode des drones, j’ai alors souhaité dessiner une œuvre qui ne se verrait que depuis les airs.» Une manière de dire qu’il faut parfois prendre du recul pour vraiment comprendre ce qu’il en est.

Un grand homme?

C’est alors que l’artiste a commencé à peindre de gigantesques visages éphémères sur l’herbe avec de la peinture 100% biodégradable qu’il fabrique lui-même à l’aide de farine, d’eau, d’huile de lin et de pigments naturels.

En 2015, en Haute-Savoie, il réalise un magnifique visage de femme, sur 1400 m², intitulé «L’amour». Le succès est au rendez-vous. Mais ce n’était encore rien par rapport au berger assoupi dans l’herbe qu’il a sprayé au début du mois d’août en dessous de la Berneuse, à Leysin. Cette œuvre gigantesque est née en cinq journées de travail de 12heures chacune. «La pente a rendu le travail extrêmement physique!», confie Saype, qui avait été invité par la station.

Et si le portrait de ce berger semblant fuir la ville pour se reposer dans une douce prairie est esthétiquement bluffant, le projet a aussi pour vocation de sensibiliser au respect de l’environnement.

Non seulement le dessinintitulé «Qu’est-ce qu’un grand homme?» sublime le paysage existant, mais en plus il fait réfléchir. «Car si cet humain couché sur la terre semble géant, il n’est finalement pas grand-chose dans l’immensité de la nature», relève l’artiste. En outre, le fait que l’herbe et la pluie auront raison de cet individu éphémère n’est pas anodin.

Des projets du genre, prompts à faire travailler les neurones, Guillaume Legros en a un wagon de réserve. L’infirmier a d’ailleurs décidé de ranger prochainement sa blouse blanche afin de se consacrer exclusivement à son travail artistique. «C’est le moment de tenter l’aventure!», conclut celui qui exposera du 3 au 9 octobre à la Galerie Art soon, à Zurich.

Articles correspondant: Région »