Vous êtes ici

Abo

Tramlabulle

Vae victis, prochain arrêt Sud Vietnam

En guise d’ouverture, le dessinateur-scénariste Marcelino Truong s’est fait l’auteur d’une poignante conférence sur sa jeunesse passée dans un pays coupé en deux par la guerre, puis dans l’Angleterre du Swinging London.

Né aux Philippines, Marcelino Truong a passé sa jeunesse à courir le modne, des USA, à La Grande-Bretagne en passant par le Vietnam. Dessinateur et scénariste, il vit actuellement en France. Jeudi soir, il a tenu en haleine l’auditoire du CIP. David Kessi

Pierre-Alain Brenzikofer

Malheur aux vaincus!Défait, le Sud Vietnam l’a même été deux fois.Par le Nord, bien sûr, mais aussi par l’opinion occidentale, lobotomisée par un antiaméricanisme très bobo et une approche romantico-simpliste des dictatures communistes, où Mao, Castro, le Che et l’oncle Ho faisaient figure de bienfaiteurs de l’Humanité.

De père sud-vietnamien et de mère française,Marcelino Truong a vécu ces années de guerre dans sa prime enfance, puis celles du Swinging London. Où les groupes anglais de rock n’étaient évidemment pas les plus fervents thuriféraires des Sud-Vienamiens Pensez: ces ânes n’aspiraient nullement à rallier le «paradis communiste»!

C’est cette période que le scénariste et dessinateur narre avec un talent rare dans «Une si jolie petite guerre» et «Give peace a chance». Invité de Tramlabulle cette année, il a longuement évoqué ces années de braise jeudi soir, lors d’une rencontre publique destinée à mettre le festival sur orbite. Pendant deux heures, l’orateur a su captiver son public qui, pour la première fois peut-être, a pu prendre connaissance de la version des vaincus.

Le facho et le froid
Présent à Saigon à l’âge de quatre ans jusqu’à six, il lui a toutefois fallu du temps pour écrire cette histoire. Déjà qu’il n’a appris à dessiner qu’à 25 ans. Mais la rédaction des deux livres qui nous intéressent n’a commencé qu’en 2010. Une histoire forte, on s’en doute: «J’aspirais à être le porte-parole de ces Vienamiens qui n’étaient pas du côté communiste et qui, au départ, n’avaient pas vocation à devenir farouchement anticommunistes. Tous ces gens ne souhaitaient pas un régime militaire fasciste, mais simplement que leurs autorités prennent pour modèle les démocraties occidentales.»

Oui, une société pluraliste où l’alternance serait possible, avec une presse libre en prime: «Ceux qui aspiraient à un régime facho étaient rarissimes au Sud.»

Corollaire, Marcelino Truong se veut aujourd’hui le héraut de ces efforts maladroits, motivés par de bons sentiments: «De la maladresse, il y en a aussi  eu beaucoup de la part de nos chefs. Sonez qu’il faut des décennies pour apprendre la démocratie. Au Vietnam, il nous a même fallu plusieurs siècles. Mais on a du mal à vivre cette démocratie quand les armes se mettent à parler.»

Pas de prose combat
Avant d’en arriver à ces deux livres, Marcelino Truong a tour à tour été peintre et illustrateur. A l’origine, pourtant, il n’était absolument pas destiné à embrasser une carrière artistique. Son père, diplomate fort instruit, le rêvait en énarque. Il faut dire que dans ce Vietnam héritier de l’ancienne culture chinoise, devenir haut fonctionnaire faisait figure de consécration ultime. Bon, le fils s’est contenté de faire Sciences Po avant de dériver vers la Fac d’anglais.

«A 25 ans, après une année d’enseignement, j’ai subitement décidé de devenir artiste. Mais je n’y connaissais rien.» Alors, il s’est fait illustrateur sur le tas. Pour vivre, il a mangé à tous les râteliers, comme il dit, avant de revenir à la BD en 2010: «J’ai renoncé à la prose, où l’on risque de trop se prendre au sérieux.

Ici, j’ai authentiquement la possibilité de rendre plus légers des sujets graves.» Comme ceux abordés dans «Une si jolie petite guerre» et «Give peace a chance» Où ce père, haut fonctionnaire et diplomate en poste à Washington, sait qu’il va être rappelé à Saigon. Nous sommes en 1961 et Kennedy proclame que les USA sont les défenseurs du monde libre. Qu’ils vont aider les pays à sortir du colonialisme et de «la marée rouge».

Plumitifs leucotomisés
Au fait, l’enfant de quatre ans aurait-il une mémoire d’éléphant pour dessiner le Vietnam de jadis avec autant de précision. «Par chance, rappelle-t-il, cette guerre fut un sujet hautement photographié. Au Sud, forcément, car le Nord n’accueillait que des journalistes acquis à sa cause. Dès lors, les horreurs n’étaient filmées que de notre côté. En face, on ne tolérait que les photos de propagande.»

Foi d’orateur, les journalistes qui couvraient le conflit avaient une opinion bien formatée. Ils se montraient très critiques avec le Sud et très tolérants envers le Nord. Y décèlera-t-on une analogie avec une situation très régionale? «Il s’agissait généralement de jeunes intellectuels, pas forcément séduits par la politique de Johnson. Tout cela partait d’un bon sentiment. Mais l’indulgence avec l’adversaire était bien réelle.»

Cela dit, le dessinateur a aussi pu reconstituer sa vie quotidienne à Saigon grâce aux nombreuses lettres que sa mère écrivait chaque semaine à sa famille. Elle y évoquait sa lassitude, ses craintes et son ras-le-bol.

Propagande et terreur
«Au début, la guerre était encore supportable. Il n’y avait que 1000 morts par mois au Sud. Il ne s’agissait que de guérilla, sans aucun accrochage frontal. Mais comment distinguer le paysan du guérillero, lequel était peut-être les deux à la fois? Pour déstabiliser le Sud, l’adversaire recourait à la propagande et à la terreur. La terreur ne coûte pas cher, mais elle rapporte gros. On tuait l’instit du village à l’arme blanche, mais on laissait en place le flic corrompu qui faisait du tort au gouvernement.»

L’hommage aux géniteurs
Face à cela, Truong admet que la riposte ne fut pas angélique. Un travail de police, des règlements de comptes. 1000 morts par mois. Jusque-là, la vie des 16 millions de Vietnamiens étaient supportable. La suite, on la connaît.
«Ces deux livres sont aussi un hommage à mes parents qui n’ont pas eu une vie facile. Surtout, on est plus indulgent avec eux à 50 ans qu’à 30...»

Ceux-là n’étaient évidemment pas en faveur du Sud... DR

Articles correspondant: Région »