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Aide aux médias: les calculs des opposants sont faux

Selon les référendaires, suivis par l’UDC, les «gros éditeurs» toucheraient 70% du nouveau paquet d’aides aux médias. Sauf qu’ils ont parfois pris le mauvais chiffre. Et qu’ils rangent des titres fantaisistes parmi ces «gros éditeurs». En corrigeant une importante erreur et en se limitant aux trois grands groupes du pays, ce chiffre de 70% retombe à moins de 28%.

Président du comité du non, l’ancien conseiller national Peter Weigelt (PLR/SG) présentait ses arguments à Berne le 5 janvier 2022. (Keystone)

Christophe Roulet (avec Daniel Droz)

Entre ceux qui soutiennent la loi fédérale sur un train de mesure en faveur des médias et ceux qui s’y opposent, c’est le grand écart en matière de répartition des subventions. A parler chiffres, autant être précis. Aux 136 millions annuels d’aides actuelles devraient ainsi s’ajouter 151 millions en cas de «oui» le 13 février.

Une aide qui se répartit entre un supplément prévu pour la distribution postale (20 millions), une aide à la distribution matinale et dominicale des journaux par porteur (40 millions), un soutien accru à la presse associative (10 millions) et une contribution à la transition numérique (30 millions). Les 51 millions restants seraient dévolus aux radios et TV locales (28 millions) ainsi qu’aux mesures touchant l’ensemble de la profession (23 millions).

Du côté du comité «Non aux médias contrôlés», on assiste à une levée de boucliers face à cette manne jugée inutile. Avec un argument massue: «Plus de 70% des subventions versées aux médias profiteraient directement aux grands groupes de presse et à leurs actionnaires qui n’en ont pas vraiment besoin».

Un «groupe des 10» fantaisiste
D’où vient ce 70%? Comme l’explique le président du comité du non, l’ancien conseiller national Peter Weigelt (PLR/SG), cette estimation se base sur les déclarations des trois principaux groupes de médias suisses glanées dans la presse et dans une lettre d’information de la Banque cantonale de Zurich. Des données qui auraient ensuite été extrapolées à un groupe formé par les dix principaux acteurs de la branche.

«Ces calculs ont été réalisés au sein de notre comité», nous précise-t-il. «En additionnant les montants donnés par TX Group, Ringier et CH Media, nous arrivons à un total de 56 millions de francs en subventions potentiellement perçues. Il nous a ensuite semblé juste d’inclure les autres éditeurs importants du pays, comme Somedia à Coire, le groupe Gassmann à Bienne ou celui des Schaffhauser Nachrichten. Sur la base de nos estimations et des annonces faites par ces entreprises, nous arrivons à des montants qui représentent plus de 70% de ce paquet d’aide aux médias.»

Reste que ces bases de calcul prêtent à caution. A commencer par ce «groupe des 10» né de l’imagination des opposants pour ratisser large, alors que l’on parle communément de trois éditeurs majeurs dans le pays, TX Group, Ringier et CH Media.

Peter Weigelt n’a pas été en mesure de nous communiquer une liste complète de ces dix «gros éditeurs» avec les aides estimées pour chacun. Directeur général du Groupe Gassmann, Eric Meizoz se dit «extrêmement surpris» de figurer parmi les premiers éditeurs du pays: «Ce n’est pas du tout le cas». Gassmann n’est actif que dans la région de Bienne, dans le Jura bernois et le Seeland.

28 millions, vraiment?
Le camp du non retient aussi 28 millions de nouvelles aides pour le groupe CH Media, dont 14 millions pour ses télés locales. Or, la loi prévoit que le montant maximal annuel pour toutes les télés et radios locales du pays se montera à 28 millions annuels. A lui seul, CH Media toucherait la moitié? C’est manifestement une erreur.

Nous avons relu l’interview sur laquelle se base Peter Weigelt. Le patron de CH Media, Peter Wanner, y déclare: «CH Media recevra environ 14 millions de francs en plus des 14 millions pour les quatre chaînes de télévision locales.»

Contacté, Peter Wanner nous confirme que, dans cet entretien au «Handelszeitung», «en plus» signifie «en plus de maintenant». Il espère 14 millions pour son groupe avec la nouvelle loi («dont 2 millions de la redevance supplémentaire»), en plus des 14 millions de redevance touchés actuellement.

Le comité du non a donc interprété à sa manière cette déclaration, sans aucune vérification: CH Media ne devrait pas recevoir quelque 28 millions avec les nouvelles mesures, mais seulement la moitié. En corrigeant ce chiffre, le trio des «grands éditeurs» toucherait en fait 27,8% du total. Ce qui va tout à fait dans le sens de la loi.

La proportion s’inverse
Le Conseil fédéral et le parlement ont en effet clairement exprimé leur volonté de mettre en place un train de mesures où les journaux à petit et moyen tirage seraient proportionnellement «bien plus soutenus que les grands». Raison pour laquelle, un système d’aide dégressive a été retenu par le législateur.

Pour Stéphane Estival, président de Médias Suisses, cela se traduit par des subventions destinées à près de 80% aux petits et moyens éditeurs indépendants actifs dans les régions et indispensables à leur tissu social.

Une estimation qui rejoint celle de l’Office fédéral de la communication (Ofcom). «Il y a quelques éléments dont nous sommes certains», relève Francis Meier, son porte-parole. «Pour ce qui est des rabais sur la distribution, 80% des aides sont actuellement alloués à des petits ou moyens éditeurs. Malgré un élargissement du rabais sur la distribution à des titres à plus fort tirage, la répartition des fonds ne changera que peu à l’avenir. Ainsi, des médias comme Le Journal du Jura, ‹ArcInfo›,‹La Gruyère›, le ‹Corriere del Ticino› ou le ‹Willisauer Bote› profiteront d’un soutien proportionnellement plus élevé que des journaux à grand tirage.»


 

 

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