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Hockey sur glace

L’éternel problème de l’offensive

Championnats du monde: l’heure du bilan pour l’équipe de Suisse, qui se cherche des snipers

Pas assez gros, les attaquants suisses (ici Kevin Romy), estime le coach Glen Hanlon! Archives

Prague Laurent Kleisl

«La façon dont nous nous sommes qualifiés pour les quarts de finale n’est pas très jolie.» Le sélectionneur Glen Hanlon a le mérite de la franchise. Avec deux victoires et six défaites, l’équipe de Suisse a quitté Prague et ses Mondiaux hier sur un bilan global mitigé. Seules la participation aux quarts de finale – défaite 1-3 face aux Etats-Unis – et la qualification pour les JO 2018 répondent à certains critères de qualité. Pour le reste, rendez-vous en Russie en 2016.

Marque de fabrique helvétique, la frilosité offensive n’est pas un mythe, mais un handicap de plus en plus sérieux. «Comment marquer des buts? C’est la principale préoccupation de presque tous les coaches», avoue Hanlon. «Malgré notre travail dans le domaine, cet instinct ne se met pas en place en quelques mois. Je n’ai pas d’attaquants qui inscrivent 20 ou 30 buts par saison. Nous manquons de ce matériel-là.»

Cadres en méforme

Ce matériel existe, mais il est resté à la maison. Virtuose de Zoug, le supersonique et minuscule (1m68) Lino Martschini a passé 24 filets cet hiver. Et le robuste sniper davosien Marc Wieser? Le joyau créatif d’Ambri Inti Pestoni? «Il y a une énorme différence entre la LNA et le niveau des Mondiaux», précise Hanlon. «Je n’ai aucun regret, je n’ai retenu aucun joueur qui n’ait pas tout donné. Cela m’aurait été douloureux de constater ce genre d’erreur.»

Parmi les caïds de LNA censés mener l’assaut, Kevin Romy n’a par exemple jamais amené l’inventivité qui le rend si beau en club. Avec Genève-Servette, le Neuchâtelois porte le label de No 1 des centres suisses évoluant au pays. Au fil du tournoi, sa position s’est même méchamment détériorée. De meneur de revue du premier bloc, entre Denis Hollenstein et Damien Brunner, il est devenu gratteur dans le quatrième trio. «Je m’adapte, je remplis avec fierté le rôle qui m’est attribué, mais je fais peut-être partie des joueurs qui auraient pu amener davantage offensivement», admet Romy, qu’une rumeur disait blessé. «Non, je me suis présenté à 100%.»

La méforme de Romy, Reto Suri, Simon Bodenmann et quelques autres, le forfait annoncé de Julien Sprunger, ainsi que les retraits de Roman Wick et Martin Plüss sont autant d’éléments qui ont desservi le sélectionneur. Et il y a Nino Niederreiter, prototype même du buteur moderne. Eliminé au deuxième tour des play-off de NHL avec le Wild du Minnesota, l’attaquant grison a retourné son carton d’invitation. Des affaires à régler en Amérique du Nord, la fatigue, le stress... Hier à 11h, Alexander Ovechkin a atterri à Prague, soit deux jours à peine après la sortie de ses Washington Capitals en séries de NHL. La superstar russe jouera ce soir en demi-finales face aux Etats-Unis. Une simple question de volonté. «Pour marquer, un joueur ne suffit pas, il en faut cinq qui bossent ensemble», rétorque Hanlon. Et une pensée, émue, pour le misérable jeu de puissance suisse.

Physique et profondeur

Deux facteurs péjorent sensiblement la vista offensive helvétique. Le premier se trouve derrière. «La Suisse n’a pas la capacité de remporter des matches en inscrivant cinq ou six goals, elle doit trouver d’autres chemins pour gagner», souligne le Canadien. Cet autre chemin, c’est une arrière-garde en béton. «On ne peut pas se ruer à l’attaque face à des joueurs de classe mondiale», glisse Romy. «La Suisse a montré qu’elle savait très bien défendre. On se doit d’être solide derrière avant de penser à l’offensive.» Ce travail de sape, ce don de soi pour la patrie, puise directement dans le carburant nécessaire à la concrétisation. Eh oui, défendre, c’est usant! «Peut-être...», souffle le Chaux-de-Fonnier. «C’est sûr, ça coûte beaucoup d’énergie. Mais c’est notre devoir et non une excuse.»

Deuxième facteur, le plus embêtant, la Suisse ne sait pas produire des attaquants de format mondial. Brunner revenu au bercail après seulement deux saisons et demie en NHL, il ne reste que Niederreiter parmi les stars de là-bas. Sven Bärtschi, Sven Andrighetto, tous deux en formation en AHL, et Timo Meier, qui éblouit la Ligue de hockey juniors majeur du Québec, portent les espoirs offensifs d’une nation. «La Suisse possède de bons gardiens et de bons défenseurs en NHL, c’est mieux que rien!», observe Hanlon. «Elle doit désormais produire des attaquants capables d’évoluer à ce niveau, et c’est un long processus. Les Suisses sont rapides mais pas assez gros. Pour se positionner devant le gardien et être assez solides pour résister aux défenseurs, il faut des gros!»

La cuisine tchèque tenant particulièrement bien au ventre, sûr que certains ont pris quelques kilos durant leur séjour pragois.

Deux grands favoris

Canada - République tchèque (15h15) et Russie - Etats-Unis (19h15), les demi-finales des Mondiaux prévues aujourd’hui s’annoncent passionnantes. Canadiens et Russes se posent en favoris.

Equipe de tous les superlatifs, le Canada va-t-il enfin trouver un adversaire à sa portée? Huit matches, huit victoires et un sentiment de toute puissance à chaque fois que les Canadiens entrent avec le puck dans la zone de défense adverse. Parmi les 20 meilleurs compteurs du tournoi, huit sont canadiens. Jason Spezza trône au sommet de la hiérarchie avec 13 points, juste devant Taylor Hall avec 11. Tyler Seguin ne fait peut-être pas partie des 20 meilleurs compteurs du tournoi, mais ses huit réussites le placent en haut du classement des buteurs à égalité avec Filip Forsberg.

Ce qui impressionne avec le Canada, c’est que les quatre lignes offensives sont capables de marquer plusieurs buts dans une partie. Cela signifie que le coach adverse se retrouve souvent devant un casse-tête au moment d’échafauder sa tactique.

Dans l’autre demi-finale, c’est la Russie qui se profile en épouvantail. Surtout qu’elle peut compter sur l’apport d’Alex Ovechkin, soldat presque éternel quand il s’agit de mener son pays au titre mondial (un bon exemple pour certains récalcitrants suisses). Sous sa houlette et celle de Malkin, les Russes avaient remporté le titre l’an passé à Minsk.

Si l’on ajoute encore Kovalchuk, on voit que les Russes de Znarok disposent de leurs meilleures armes. Et la perspective de rencontrer les Canadiens en finale doit en titiller plus d’un. Mais avant de penser à la partie de dimanche, les Russes vont devoir se frotter aux Etats-Unis une deuxième fois. Et lors du tour préliminaire, ce sont les Américains qui étaient sortis vainqueurs de leur duel (4-2)...

La Suisse organisera les Mondiaux 2020

Zurich et Lausanne  Comme sur la glace, la Suisse n’a pas eu besoin de jouer l’offensive devant le Congrès de la Fédération internationale (IIHF). Seule candidate en lice, elle s’est vu attribuer hier l’organisation des championnats du monde 2020. Le feutré Hallenstadion de Zurich (11200 places) et le nouveau Malley de Lausanne (10000 places, ouverture prévue en 2018) accueilleront le tournoi. En 2009, lors du dernier arrêt de la caravane de l’IIHF en Helvétie, c’est Berne et Kloten qui avaient officié comme villes hôtes. «Avec Zurich et Lausanne, on touche nos deux publics cibles, car les Romands sont fous de hockey», se réjouit Marc Furrer, président de la Swiss Ice Hockey Federation (SIHF). «Et à Lausanne, on peut également intéresser les Français.»

Marc Furrer le reconnaît: les Romands sont fous de hockey! Archives Keystone

Prévu pour les Jeux olympiques de la jeunesse 2020, le nouveau Malley ne sortira pas de terre avant au minimum trois ans. En cas de problèmes, la Fédération se rabattra sur la Bossard Arena de Zoug et ses 7000 sièges. Une alternative d’urgence, uniquement. Et la géante PostFinance Arena de Berne? L’IIHF exècre les places debout. «A Zoug ou avec la nouvelle patinoire de Bienne, les infrastructures sont idéales pour des clubs, mais pas pour l’organisation de ce genre d’événements», remarque Florien Kohler, CEO de SIHF «Pour arriver dans les chiffes noirs, on doit compter sur deux enceintes de 10000 places. D’ailleurs, on espère tout juste équilibrer les comptes des Mondiaux M18, qui se sont tenus en avril à Zoug et Lucerne. Mais je l’admets, ça s’annonce difficile...»

Stade national  Autres soucis, le Hallenstadion de Zurich est une salle multifonctions recevant aussi bien les ZSC Lions que Britney Spears et l’assemblée générale d’une grande banque. D’où un possible engorgement. «Je suis optimiste», coupe Marc Furrer. Puis, tout remonté: «En Suisse, il manque un grand stade national, comme à Minsk ou à Prague, avec cette impressionnante O2 Arena. On croit qu’on a les meilleures infrastructures, mais chez nous, on préfère investir dans les chemins de fer plutôt que dans le sport!» C’est dit. £ lk
Les prochains Mondiaux. 2016: Russie (Moscou et Saint-Pétersbourg). 2017: Allemagne (Cologne) et France (Paris). 2018: Danemark (Copenhague et Herning). 2019: Slovaquie (Bratislava et Kosice). 2020: Suisse (Zurich et Lausanne).

Billet Laurent Kleisl: «Notre Jaromir... il est merveilleux!»

La réceptionniste m’interpelle. «La Suisse est éliminée, dommage.» Elle pousse une moue commerciale. «Votre voyage à Ostrava s’est-il bien passé?» Un consortium très sélect de journalistes romands en goguette dans un mini-bus loué pour la circonstance, 700 km avalés pour découvrir une austère bourgade à deux pas de la Pologne et de la Slovaquie, retour au cœur de la nuit: fatigué, mais c’était sympa. «Je vous avais dit de prendre le train», sourit la petite dame, une blonde d’environ 35 ans respirant le charme tchèque.
D’un coup, elle se lève et tressaille, comme prise d’une convulsion incontrôlée. Je viens d’articuler un nom qui, en République tchèque, provoque toujours des réactions singulières. «Jaromir Jagr... Ce qu’il a fait jeudi contre les Finlandais... Ces deux buts... Il est merveilleux, c’est notre Jaromir...»  Emoustillée, elle s’emballe: «Et Jaromir est toujours célibataire! J’ai dit à mes copines qu’on devait sortir en ville. On ne sait jamais, tout à coup qu’on le croise... Après tout, il a 43 ans et je suis un peu plus jeune que lui...» Elle marque une pause. «Bon, depuis qu’il a résolu ses problèmes, je pense qu’il ne sort plus tellement.»

La deuxième réceptionniste, même âge, même style, mais en version noiraude, lui lance un regard aussi sombre que ses cheveux. «Tais-toi, c’est un journaliste!» La blonde rougit. Des problèmes? Elle chuchote, comme si l’information, connue de l’ensemble de la planète depuis des lustres, était un secret d’Etat. «Oui, Jaromir allait beaucoup au casino, il flambait, il avait des dettes de jeu.» La noiraude intervient. Fermement, elle redore le blason de l’icône d’un peuple: «C’est de l’histoire ancienne!» La blonde acquiesce d’un signe de la tête. Puis, dans un râle de plaisir: «Ah, Jaromir...»
 

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