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VTT

La dure vie hors des sentiers olympiques

Pas inscrite au programme des Jeux, la descente vit dans l’ombre du cross-country et de nouvelles disciplines émergentes. Camille Balanche et Emilie Siegenthaler s’inquiètent pour l’avenir de leur sport.

Emilie Siegenthaler et Camille Balanche font les beaux jours du VTT de descente suisse. Mais jusqu'à quand? (photo Boris Beyer)

Christian Kobi

Trois drapeaux rouges à croix blanche qui s’élèvent dans le ciel olympique japonais, ce mardi 27 juillet 2021, pour fêter le triplé de Jolanda Neff, Sina Frei et Linda Indergand lors de l’épreuve de cross-country. Le moment est historique. A quelques milliers de kilomètres de là, à Evilard, trois figures du VTT suisse, Nicolas Siegenthaler, sa fille Emilie et Camille Balanche, vibrent devant leur poste de télévision. «J’étais très émue de voir Jolanda effectuer la course parfaite. Elle mérite ce titre plus que quiconque», lâche Emilie Siegenthaler.

Spécialiste de descente, discipline qu’elle pratique au plus haut niveau mondial depuis 2008, la Biennoise de 34 ans n’a jamais eu l’honneur de disputer une course olympique. Et pour cause: en VTT, seul le cross-country figure au programme des JO, et ce depuis son introduction en 1996. Un crève-cœur pour celle qui a abandonné le cross-country pour la descente il y a 15 ans. «Enfant, mon rêve a toujours été d’aller aux Jeux. Quand je suis partie sur le downhill, j’ai dû faire le deuil de ce rêve. Ça m’a pris du temps...»

Le boom du BMX freestyle
Aujourd’hui, Emilie Siegenthaler a tourné la page. La multiple championne de Suisse a appris à vivre avec les spécificités de son sport. «C’est très compliqué de rentrer dans le programme olympique. Il faut remplir un certain nombre de critères et chaque fédération internationale a droit à un quota de disciplines», relance-t-elle. Il est bien sûr atteint en cyclisme, où chaque ajout d’une discipline conduit à la suppression d’une autre. Pour la descente, la rareté des pistes déjà existantes est l’un des facteurs pénalisants.

Mais dans le fond, être ou ne pas être sport olympique, ça change quoi? «Ça change tout», répond du tac au tac Camille Balanche, la championne d’Europe et du monde en titre de descente, qui avait vécu les Jeux d’hiver en 2010 à Vancouver en tant que membre de l’équipe de Suisse de hockey sur glace. La Biennoise d’adoption cite notamment l’exemple du BMX freestyle, sport additionnel des JO 2020, qui a vu le nombre de ses pratiquants grimper en flèche depuis qu’il a été ajouté au programme olympique.

Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Derrière, il y a tout le travail de formation et de soutien aux athlètes. «Dans leur budget, les fédérations mettent la priorité sur les sports olympiques, ceux qui sont susceptibles de leur ramener des médailles», appuie Camille Balanche. La descente, elle, doit se contenter des quelques rares miettes restantes. Faute de moyens, mais surtout de volonté, elle fonctionne sans entraîneur national et le soutien aux athlètes est réduit à son strict minimum.

Le grand vide derrière elles
Face à ce tableau, les deux descendeuses s’inquiètent pour l’avenir de leur discipline. «Le triplé des Suissesses aux JO va sûrement générer des vocations chez les plus jeunes, filles comme garçons, ce qui est une excellente chose. Mais parmi tous ceux qui commenceront le VTT demain, combien seront-ils à se tourner vers la descente si on ne leur offre pas la moindre perspective?», s’interroge Emilie Siegenthaler, 14 saisons de Coupe du monde au compteur et qui a longtemps conduit seule les destinées du downhill suisse.

La Biennoise se dit «attristée» du manque de considération de Swiss Cycling. Pas pour elle, mais pour la génération à venir. Enfin, celle qui est supposée venir. «Derrière Camille et moi, il n’y a pas grand monde», regrette-t-elle. «Faute de soutien, les filles dans la vingtaine qui pratiquent la descente sont toutes obligées de travailler à 100%. Et dans les championnats de Suisse juniors, on compte les participants sur les doigts d’une main.»

Impossible dans ces conditions de rivaliser avec des nations comme la France, qui ont pris le pari d’investir dans le VTT, toutes disciplines confondues. Inéluctablement, quand Camille Balanche (31 ans) et Emilie Siegenthaler (34 ans) tourneront la page, les lumières s’éteindront sur la descente helvétique. Loin, très loin, des projecteurs olympiques.
 

Camille Balanche remet ses deux titres en jeu en l’espace d’un mois
Championne d’Europe au printemps 2019 au Portugal, championne du monde en automne 2020 en Autriche, Camille Balanche remet ses deux titres en jeu ces prochaines semaines. Le premier en cette fin de semaine à Maribor, en Slovénie, le second à la fin du mois d’août à Val di Sole, en Italie. «Mon objectif est bien sûr d’essayer de conserver ces deux maillots, mais je n’en fais pas une fixation et je ne serai pas déçue si je n’y arrive pas», déclare la Locloise, qui vit à Bienne depuis de nombreuses années.

Pour tenter d’y parvenir, elle devra dans un premier temps dompter une piste de Maribor qu’elle n’apprécie guère. «Je ne sais pas pourquoi, mais elle ne me réussit pas trop. J’ai l’impression d’aller vite, mais cela ne se concrétise pas sur le chronomètre», grommelle celle qui a pu emmagasiner une bonne dose de confiance lors des deux premières épreuves de Coupe du monde, à Leogang (1re), mi-juin, et aux Gets (3e), début juillet. «Ma victoire à Leogang, là où j’étais devenue championne du monde dans des conditions dantesques, a une valeur particulière à mes yeux. Elle prouve que mon titre n’était pas sorti de nulle part. Et aux Gets, sans ma chute, j’aurais aussi pu lutter pour la victoire. C’est de bon augure pour la suite.»

Pour prendre ses marques
Fait rarissime, Emilie Siegenthaler sera également de la partie ce week-end lors des championnats d’Europe. En 14 ans de carrière, ce n’est que la deuxième fois après 2009 qu’elle participe aux joutes continentales. «Normalement, cette compétition est toujours placée soit en tout début de saison, soit tout à la fin. De plus, ce n’est pas vraiment un championnat important en VTT, la plupart des équipes n’y vont pas et les sponsors ne sont pas non plus présents.»

Le calendrier est plus favorable cette année, puisque la prochaine manche de Coupe du monde aura lieu à Maribor, précisément, dans une semaine. «Pour moi, ce premier week-end sera surtout l’occasion de prendre mes marques en vue du suivant», admet la Biennoise, qui s’est rassurée avec ses 7e et 11e places lors des deux premiers rendez-vous de la saison. «Après mon année blanche en 2020, j’étais dans le flou. Mais je remarque que plus je roule, mieux ça va. C’est aussi pour ça que je vais aux Européens.»

Après le double week-end slovène, les deux Biennoises disposeront d’une semaine de repos avant les Mondiaux de Val di Sole. Elles enchaîneront avec la manche de Coupe du monde de Lenzerheide, début septembre, avant de filer à Snowshoe, aux Etats-Unis, pour l’ultime étape de la saison 2020. De riches semaines en perspective.

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