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festival du film français d’helvétie

Les sombres visions du joueur de Lego

Vendredi soir, le réalisateur biennois Laurent Wyss présente son premier long-métrage, «Manche Hunde müssen sterben – Laissez mourir les chiens».

Pour son premier long-métrage, Laurent Wyss s’est intéressé à deux personnages que tout oppose: un chirurgien et un tueur à gages. (©Carole Lauener/JdJ)

Didier Nieto

Laurent Wyss l’avoue avec le sourire: il aime toujours jouer aux Lego. «Quand j’étais petit, je créais un monde dans lequel je pouvais raconter des histoires. Je m’inspirais des gens qui faisaient partie de ma vie pour inventer des personnages», explique le Biennois de 37 ans. Aujourd’hui, c’est avec ses deux filles de 2 et 5 ans qu’il continue d’empiler les briques, bien que ses «personnages» aient été remplacés par des princesses. Mais Laurent Wyss est cependant bien obligé de l’admettre. «En vieillissant, l’imagination perd de son pouvoir et ça devient plus difficile de créer des histoires dans sa tête. C’est sûrement pour ça que j’ai voulu faire du cinéma, pour partager mes idées dans un monde d’adultes.»

Médecin vs. tueur à gage

Laurent Wyss est toujours un rêveur fantasque. Mais ses idées de cinéaste sont plus sombres que celles du petit joueur de Lego. «Manche Hunde müssen sterben – Laissez mourir les chiens», son premier long-métrage, est un polar néo-noir bilingue tourné en noir et blanc. Le film sera projeté vendredi soir à 23h au cinéma Rex dans le cadre du FFFH.  C’est l’histoire d’un chirurgien  (Olivier Tilleux) qui découvre un homme blessé en train d’agoniser sur le trottoir (Thomas Loosli). Comme ce dernier refuse d’être emmené à l’hôpital, le médecin se résout – bien que sa femme (Isabelle Freymond) s’y oppose – à le soigner chez lui. Sans se douter que son nouveau patient vient d’exécuter quatre personnes dans un immeuble de Bienne. «C’est le père de ma compagne qui m’a raconté cette histoire. Apparemment, les faits se seraient vraiment produits dans un pays de l’Est», indique le réalisateur, qui a aussi écrit le scénario.

Ce qui intéressait Laurent Wyss dans ce fait divers, c’était de sortir un homme bien sous tout rapport de son contexte habituel et de le confronter à son opposé. «Tout sépare ce médecin et ce tueur. Pourtant, dans chaque homme se cache le même animal, qui peut se transformer en monstre prêt à tout pour empêcher que son monde s’écroule», détaille-t-il. Faisant oublier quelques instants l’enfant rêveur qui semble toujours l’habiter, le cinéaste dresse ainsi un constat sans appel – et un peu flippant – de la nature humaine. «Tous les hommes sont des criminels passionnels potentiels. Mais pas les femmes, qui ont une douceur que les hommes n’ont pas», estime-t-il.

Tournage à Bienne

Biennois pur souche, Laurent Wyss n’a pas imaginé un seul instant tourner son film ailleurs que dans la cité seelandaise. «Cette ville est parfaite pour le cinéma, avec ses côtés moches et ses jolis coins, comme le bord du lac.» Très présent dans le film, le lac a d’ailleurs une signification métaphorique: «La surface représente le visage que l’on montre à ceux qui nous entourent. Ce qu’il y a en dessous, la profondeur, c’est tout ce que l’on cache.»

Durant les trois semaines de tournage, qui s’est déroulé au printemps 2013, le cinéaste a pu compter sur une équipe de bénévoles. «C’est un film sans budget. Mais les techniciens sont tous des professionnels et les acteurs principaux ont tous une formation», précise-t-il. Laurent Wyss n’est lui-même pas un débutant. Formé à TeleBielingue, où il travaille encore aujourd’hui, il a d’abord réalisé des reportages pour les émissions d’actualité avant de tourner des publicités. «Mais ça ne me donnait pas la possibilité de raconter des histoires», reconnaît-il. Parallèlement à son travail, il signe trois courts-métrages avant de se lancer dans la production de son premier long. «J’ai appris sur le tas. Mais j’ai aussi lu beaucoup de livres et vu beaucoup de films.»

Sur les traces de Melville?

Doté d’une solide culture cinématographique, Laurent Wyss parle avec admiration des films des années 60, «la meilleure décennie de l’histoire du cinéma, avec François Truffaut, Jean-Pierre Melville ou Michelangelo Antonioni. Alfred Hitchcock est aussi une référence, même si certains de ses films ont mal vieilli.» Pour «Laissez mourir les chiens», il s’est davantage inspiré des films de Jim Jarmusch, de «Mullolhand Drive» de David Lynch ou encore de «La Soif du mal» d’Orson Welles. «J’ai pris dans tous les coins. Comme disait Pedro Almodovar, pourquoi emprunter alors qu’on peut voler!»

Laurent Wyss attend maintenant avec impatience, mais aussi une certaine appréhension, la première projection publique de son film vendredi. «J’ai couvert la première édition du FFFH en 2005. Alors avoir mon propre film projeté cette année, c’est vraiment cool!», se réjouit-il. Juste récompense pour un long-métrage maîtrisé, plusieurs salles de la région ont déjà manifesté leur intérêt pour le projeter après son passage à Bienne. La suite? Un autre scénario en préparation, dont les contours restent encore à définir. Mais Laurent Wyss n’est pas pressé. «Jean-Pierre Melville disait qu’il faut 25 ans pour devenir cinéaste. J’ai commencé il y a 11ans. J’ai de la marge!»

 

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