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Evénement musical

«Transmettre un message émotionnel fort»

Le groupe britannique Muse est ce soir en concert à l’Expoparc de Nidau dans le cadre du festival Sonisphere. Il a sorti son sixième album hier et en présentera plusieurs titres au public biennois. Les confidences du chanteur Matt Bellamy

Le bassiste Christopher Wolstenholme et le batteur Dominic Howard (de g. à dr.) entourent Matt Bellamy, le chanteur, guitariste et pianiste. Le public biennois découvrira ce soir quelques-uns des titres du nouvel album de Muse «Drones», sorti vendredi.LDD

Propos recueillis par Reinhold Hönle, traduction Marcel Gasser

Le groupe pop britannique Muse donnera aujourd’hui son unique concert en Suisse. Matt Bellamy, chanteur, guitariste, pianiste et compositeur du groupe, évoque son sixième album et sa venue en Suisse.

Matt Bellamy, «Drones» est votre premier concept album. Vous y traitez de thèmes graves, comme le pouvoir et l’armée. Qu’est-ce qui a donné lieu à cet album?
Il y a deux ans, j’ai lu un article sur les drones et sur leur usage par la CIA en Afghanistan et au Pakistan. J’ai pris conscience que les drones étaient la manière moderne de faire la guerre, et j’ai été choqué que les progrès de la technologie servent à détruire et à tuer avec une telle efficacité. Les humains n’ont même plus besoin de s’affronter face à face, les victimes sont juste rayées de la carte, à distance. Fini la compassion. C’est horrible.

Avez-vous fait du service militaire ?
Mon oncle était soldat, mon père était dans la marine marchande et mes deux grands-pères ont fait la Deuxième Guerre mondiale. J’ai donc vécu dans un milieu où le militaire n’était jamais bien loin. Mais personnellement, j’ai eu la chance de ne pas devoir aller à l’armée.

Vous considérez-vous comme un antimilitariste?
Beaucoup de soldats sont des héros. Aucun de nous ne serait là aujourd’hui, s’il ne s’était pas trouvé des soldats pour défendre notre liberté. J’ai beaucoup d’admiration pour eux. Le problème, c’est que l’armée est structurée de telle sorte que ceux qui accomplissent leur service militaire doivent obéir sans discussion. C’est particulièrement fâcheux lorsque ces ordres émanent de chefs corrompus, militaires ou politiques, qui abusent de leur pouvoir.

Le principal protagoniste de l’album est dans une phase existentielle assez dépressive. Son sentiment d’isolement et d’impuissance vous est-il familier?
Dans la biographie de chaque individu, il y a des moments dans lesquels il se sent abandonné et perdu. Moi, ça m’est arrivé quand j’avais 13ans, au moment où mes parents se sont séparés. Je ne comprenais pas ce qui se passait et j’avais le sentiment de perdre tout contrôle de ma vie et tout lien avec la réalité

Comment avez-vous surmonté cette situation difficile?
Je me suis rendu compte qu’on ne peut se fier à personne d’autre qu’à soi-même. C’est la raison pour laquelle le thème central de l’album, c’est qu’on a toujours le choix, même dans les moments où tout va mal. On peut affronter ses sentiments ou les refouler. Mon personnage décide d’abord de répondre par une sorte de mort intérieure. Puis au fil des morceaux, il surmonte ce vide. Il reprend le contrôle de sa vie et établit des relations avec d’autres personnes.

Le morceau «Revolt» est-il un appel à la révolte ?
Oui, un peu. A notre époque d’extrémisme religieux, de manipulation et d’abus de pouvoir – dans le monde politique et militaire – il importe d’encourager les gens à penser par eux-mêmes, à se fier à eux-mêmes et à s’immuniser contre les forces qui tentent de les contrôler.

N’avez-vous pas envie parfois de franchir le pas et, comme Bono de U2, de vous engager en politique?
Je pense que j’exerce une plus grande influence sur le public avec cet album, dans lequel j’essaie de transmettre un fort message émotionnel. Susciter une émotion est plus efficace qu’abreuver les gens d’informations qu’ils ne sont pas vraiment en mesure de retenir.

Il y a moins de technologie dans la transposition musicale de votre dernier opus. Est-ce intentionnel?
Mon concept consistait en une réflexion sur les drones et sur ce qu’ils représentent. Je défends l’idée que nous avons franchi un pas de trop dans le progrès technologique. Et cette idée a conditionné tous les aspects de l’album: le texte, la musique, le style et le contexte général.

Votre groupe vient de fêter ses 20 ans. N’est-ce pas le moment pour procéder à une introspection et pour effectuer un changement de cap?
Chacun de nos six derniers albums était plus expérimental que le précédent. Nous n’avons cessé de briser les règles du trio rock et de repousser les limites jusqu’au jour où nous sommes arrivés à un point tel que nous avons dû devenir nos propres producteurs et où nous avons passé plus de temps à produire qu’à faire de la musique! Alors nous nous sommes dit: quand on a le sentiment d’être allé partout où l’on pouvait aller, autant revenir au départ!

Et quel sentiment cela vous a-t-il procuré?
Lorsque nous sommes revenus au concept tout simple guitare/basse/batterie, c’était très rafraîchissant. Nous avons eu l’impression de jouer de nos instruments de manière totalement différente que par le passé. Les interactions entre nous n’étaient pas les mêmes: tout était plus clair, plus concentré.

Sur scène, vous faites le show dans des stades pleins. Mais en dehors, vous êtes peu démonstratif. Comment vivez-vous ce grand écart?
Dans ma jeunesse, j’étais calme et introverti. Je me suis en quelque sorte découvert moi-même dans et avec ce groupe, ce qui m’a transformé d’une façon positive. Là, j’ai découvert un moyen de communiquer et j’en ai tiré la confiance dont j’avais besoin.

Comment cela s’est-il répercuté sur vos chansons?
J’ai commencé à chanter quand j’avais 16 ans car nous venions d’une petite ville et que nous n’avions trouvé personne qui voulait être chanteur dans notre groupe. Je suis très heureux d’avoir eu le courage de me lancer. Mais à l’époque, je n’étais pas sûr de moi: dans le rock, le trend était aux voix enrouées, comme celle de Kurt Cobain. C’est un concert de Jeff Buckley qui m’a montré qu’une voix plus pure pouvait aussi convenir à un groupe de rock.

Avez-vous hérité du talent de chanteur de votre père, George Bellamy, même s’il n’a décroché qu’un hit planétaire grâce à un morceau instrumental?
Mon père était guitariste et choriste des Tornados, qui accompagnaient des stars comme Bill Fury et qui, en 1962, avant les Beatles, furent les premiers Anglais à terminer no 1 au hitparade américain, avec le morceau  «Telstar». Chaque fois qu’il passait à la radio, mon père me disait: «T’entends? Ben ça, c’est moi!» Il m’a enlevé la crainte de faire des choses inhabituelles.

Le premier album de Muse à terminer en tête des charts en dehors de Grande-Bretagne, c’était en Suisse. Avez-vous un lien particulier avec notre pays?
J’aime car j’ai habité dans le nord de l’Italie et que j’allais souvent à Lugano. Mais j’ai également fait de superbes concerts dans tout le pays. Pour moi, la démocratie directe et décentralisée de la Suisse est le meilleur système politique du monde. Vous pouvez en être fiers!

Pourriez-vous envisager de vivre en Suisse?
Oui, ça me plairait bien. Mais je crains fort que la maman de mon fils de 4 ans (la comédienne Kate Hudson) n’apprécierait guère de quitter Los Angeles pour venir vivre ici.

A quoi le public doit-il s’attendre ce soir?
Nous allons intégrer de nouvelles projections et, si possible, faire tournoyer des drones. Pour autant que les directives en matière de sécurité nous y autorisent! (Rires).

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