Vous êtes ici

Panama Papers

La place financière suisse ébranlée

Dans ce qui semble être la plus importante fuite de documents de l’histoire, dévoilée dimanche par le Consortium international des journalistes d’investigation et impliquant des personnalités de haut rang, la Suisse est encore éclaboussée. Reste à définir les responsabilités.

Photo: Keystone

Rachel Richterich

Détournement de fonds, blanchiment d’argent, corruption, évasion fiscale. Mais aussi financement du terrorisme et trafic de drogue. Les mots sont forts, au lendemain de ce qui semble être la plus importante fuite de documents de l’histoire, dévoilée dimanche par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Baptisés Panama Papers – en référence à la société Mossack Fonseca d’où ils proviennent et qui est basée dans ce petit état d’Amérique centrale (voir ci-dessous) – ces fichiers ont révélé que 140 personnalités politiques, des célébrités du monde des sports et de la musique et milliardaires ont eu recours à des sociétés offshore, sises dans des paradis fiscaux.

Et ce par le biais d’intermédiaires – avocats et banques –, dont une bonne partie se trouve sur sol helvétique: 1200 sur les 14 000 listées, hissant le pays dans le trio de tête derrière Hong Kong et la Grande-Bretagne. Parmi les établissements cités, figurent les deux grandes banques UBS et Credit Suisse (via sa filiale Channel Islands Limited), ainsi que HSBC Private Bank, filiale helvétique de l’établissement britannique.

Pas toujours illégal

Après les OffshoreLeaks, les LuxLeaks et les SwissLeaks, la Suisse se retrouve encore éclaboussée. Et sa place financière une nouvelle fois au cœur du scandale. «Reste à qualifier le comportement de ces intermédiaires et des bénéficiaires de ces sociétés», explique l’avocat fiscaliste Philippe Kenel. Car le recours à des sociétés offshore n’est, en soi, pas illégal.

«Ces entités peuvent être fiscalement licites et conformes aux lois antiblanchiment et de lutte contre le terrorisme», note l’avocat. Mais néanmoins permettre de réduire l’assiette fiscale en toute légalité en contournant la retenue à la source.

«En vertu de l’accord sur la fiscalité de l’épargne entre la Suisse et l’Union européenne, entré en vigueur en juillet 2005, la retenue à la source – de 15% à l’origine et aujourd’hui de 35% –, ne frappe plus que les comptes détenus par les particuliers. Et non pas ceux ouverts au nom d’une société», explique Philippe Kenel. Optimisation, donc, et non évasion.

C’est d’ailleurs selon lui ce qui explique l’explosion du nombre de sociétés offshore au début des années 2000.

Reste que, de facto, ces entités, appelées aussi sociétés écran, masquent le nom du bénéficiaire du compte derrière celui d’un ou plusieurs de ces trusts. Un anonymat qui peut éveiller des soupçons.

Peur des soupçons de complicité

Raison pour laquelle les banques ont inversé la tendance, lorsque le secret bancaire s’est effondré, suite à la crise financière de 2008. Elles limitent ce type de prestation et renoncent à recourir à des tiers, des cabinets fiduciaires du type de Mossack Fonseca. Car elles, elles connaissent toujours le nom du bénéficiaire et sont tenues d’identifier la provenance des avoirs qu’elles abritent. Trop risqué. Trop peur des soupçons de complicité, dans des affaires douteuses.

Selon un banquier luxembourgeois, qui a pratiqué l’offshore des années durant, «ces révélations, ne donnent pas une photo actuelle de la situation». HSBC Suisse qui, selon l’ICIJ, aurait fondé 733 sociétés via le cabinet panaméen, évoque aussi des pratiques révolues. Déjà empêtrée dans les SwissLeaks liées aux listes Falciani (du nom de son ex-informaticien qui a transmis des données volées au fisc français), la banque dit «travailler avec les autorités pour combattre la criminalité financière».

Credit Suisse, qui aurait via sa filiale fondé 918 de ces entités, a depuis 2013 conclu et introduit des programmes de conformité fiscale dans de nombreux pays. Même son de cloche chez UBS (579 sociétés répertoriées): «Nous n’avons aucun intérêt pour des fonds non déclarés et à la provenance illégale.»

Autorités critiquées

Ces révélations placent aussi les autorités helvétiques sous le feu des critiques. Notamment le gendarme financier, accusé de «voir passer les fourmis mais pas les éléphants», selon les termes de l’ex-procureur général du Tessin, Dick Marty.

Contactée, la Finma «prend acte de ces révélations, mais ne fait pas de commentaire quant à leur contenu», indique son porte-parole Vinzenz Mathys. «Dans le cadre de notre mandat de surveillance, nous allons clarifier si des banques suisses ont recouru aux services de ce cabinet d’avocat panaméen. Et, le cas échéant, si elles ont lésé le droit de surveillance suisse», explique-t-il.

«Les banques doivent disposer des processus de contrôle adéquats en matière de prévention de blanchiment d’argent», poursuit Vinzenz Mathys. «Si nous venions à déceler des faiblesses, la Finma prendrait des mesures pour rétablir l’ordre légal.»

Les regards se tournent aussi vers les autorités judiciaires. Interrogé par l’ats, le Ministère public de la Confédération (MPC) dit avoir pris connaissance des révélations dans les médias. Pour entamer des procédures judiciaires, il faut des «indices suffisants d’actes illégaux».

En attendant, en France, le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment de fraudes fiscales aggravées.

 

Un nouvel hold-up fiscal dénoncé

Tanguy Verhoosel,

Bruxelles

Un an et demi après celle des LuxLeaks, l’affaire des Panama Papers a elle aussi fait l’effet d’une bombe, hier à Bruxelles, où les plus ardents contempteurs de l’opacité fiscale ont appelé l’UE à réagir «immédiatement» contre les paradis fiscaux établis en-dehors du territoire européen.

Dénonçant «un nouvel hold-up fiscal d’une ampleur ahurissante», l’ancienne juge d’instruction franco-norvégienne Eva Joly, devenue députée européenne écologiste (et vice-présidente de la commission spéciale que le Parlement européen a constituée afin d’enquêter sur les agissements fiscaux des multinationales), a reproché aux «administrations et législateurs en Europe» de ne toujours pas avoir réussi à «prendre la mesure» du problème.

Co-président du groupe des Verts à l’Assemblée des Vingt-Huit, son coreligionnaire belge Philippe Lamberts, réclame notamment un nouveau renforcement de la législation européenne contre le blanchiment d’argent, qui permettrait d’imposer «de fortes sanctions» à l’encontre des banques non coopératives en matière d’identification des bénéficiaires effectifs de sociétés écrans.

L’ONG Transparency International insiste pour sa part sur la nécessité de rendre tous leurs noms publics. Elle insiste par ailleurs afin que soit faite toute la transparence sur les propriétaires des entreprises concourant pour des marchés publics, dans l’Union.
Philippe Lamberts estime, en outre, qu’il est «urgent» que soit imposée, au sein de l’UE, une retenue à la source sur tous les fonds transférés vers des paradis fiscaux non européens.

Le chef de files des eurodéputés socialistes, Gianni Pittella, a quant à lui demandé à l’avance à la Commission de muscler une proposition législative qu’elle fera en mai sur la divulgation par les grandes entreprises de certaines informations financières concernant leurs activités, pays par pays.

Bruxelles cèdera probablement à la pression. C’est que le nom de l’épouse d’un commissaire, l’Espagnol Miguel Arias Canete, apparaît dans les Panama Papers…

 

Une histoire sulfureuse

(ATS) Mossack Fonseca, au cœur du scandale des Panama Papers, est un discret cabinet d’avocats panaméen spécialisé dans l’évasion fiscale. Il a été fondé par Jürgen Mossack, fils d’un ancien nazi allemand émigré au Panama, et par l’avocat panaméen Ramon Fonseca Mora.

Jürgen Mossack, le cofondateur du cabinet créé il y a une trentaine d’années, est né en Allemagne en 1948, avant d’émigrer au Panama avec sa famille où il a fait ses études de droit. Son père était un nazi qui avait servi dans les SS (unités d’élite de l’armée allemande) pendant la Seconde guerre mondiale, selon l’ICIJ qui cite des documents de l’armée américaine.

Quant à l’autre fondateur, Ramon Fonseca Mora, né en 1952, il a également obtenu un diplôme de droit à Panama, mais a poursuivi ses études à la prestigieuse London School of Economics. Ramon Fonseca dirigeait une petite société avant la fusion avec Jürgen Mossack.

Les deux avocats ont d’abord ouvert un bureau aux Iles Vierges britanniques, avant de s’installer au Panama. Selon l’ICIJ, la moitié des sociétés que le cabinet a créées – plus de 113 000 – étaient basées dans ce paradis fiscal.

La révélation de tous ces documents est un «crime» et une «attaque» contre le Panama, a affirmé dimanche Ramon Fonseca. «C’est une attaque contre Panama, car plusieurs pays n’apprécient pas que nous soyons très compétitifs pour attirer les entreprises.»

 

Poutine, Messi et les autres

(ATS) Des dirigeants politiques et d’autres personnalités figurent parmi les noms mentionnés dans les documents qui ont fuité du cabinet panaméen d’avocat Mossack Fonseca.

Ces fichiers passés au crible par le consortium de journaliste (ICIJ) citent des proches du président russe Vladimir Poutine, impliqués dans un détournement de quelque 2 milliards de dollars en utilisant des sociétés écran.

Le président argentin Mauricio Macri a, lui, été membre du directoire d’une société offshore enregistrée au Bahamas, mais il n’a «jamais eu de participation au capital de cette société», selon son gouvernement.

Le premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson et sa femme ont aussi utilisé une société offshore pour occulter des millions de dollars d’investissements. Face à un vote de confiance cette semaine, il nie.

Sans oublier le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre britannique David Cameron, dont des membres de leurs familles ont été cités.

Le monde du sport n’est pas épargné. Dont le président suspendu de l’UEFA Michel Platini, qui a eu recours à ce cabinet pour administrer une société offshore. Le meilleur joueur mondial de football, Lionel Messi, et son père sont accusés de posséder une société offshore.
Et des membres du comité d’éthique de la FIFA sont mentionnés dans des affaires de corruption.

Articles correspondant: Economie »