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Le passé aux trousses (7)

En verre et contre tous à Chaluet

Bien avant que Court ne devienne un haut lieu du décolletage, on y fabriquait du verre

Reconstitution représentant la vallée du Chaluet à l’époque des verreries, avec le hameau vitrier au centre. Max Stöckli

Dan Steiner

Quand on évoque «la Vallée» dans le Jura bernois, on pense automatiquement à celle de Tavannes et non du Chaluet. Quand on évoque les hauts faits de l’industrie de la commune de Court, on pense à ses entreprises de décolletage, voire de mécanique, et non à ses anciennes verreries. A raison, il faut bien l’avouer, la «grande majorité» de nos contemporains n’ayant pas vécu ces grandes années de la production verrière forestière. Logique, celle-ci a en effet rendu son dernier souffle autour de l’an de grâce 1739.
Et qui de mieux pour conter les pérégrinations des verriers de ce passé plus ou moins proche que Christophe Gerber? Personne. Archéologue, le résident de Pontenet a été appelé il y a une quinzaine d’années à diriger les fouilles d’une des quatre verreries courtisanes, entreprise entamée partiellement il y a une soixantaine d’années par un certain André Rais. Car il y avait urgence, camions et chenilles des pelles mécaniques de la Transjurane étaient sur le point d’utiliser la zone pour y déverser les matériaux d’excavation excédentaires de la future autoroute.


Publication de référence

Entre 2000 et 2004, son équipe a alors fouillé le Pâturage de l’Envers, à Chaluet. Dans un premier ouvrage, paru en 2010, puis un second en 2012, Christophe Gerber relate l’activité verrière d’un site à l’est de Court. Deux derniers tomes suivront, probablement dans une douzaine de mois. «Réalisée d’après cinq campagnes de fouilles étalées sur 35 mois, cette publication sur le verre est une œuvre de référence. J’espère qu’elle pourra constituer un outil de travail précieux pour les spécialistes», estime l’archéologue travaillant actuellement à Berne. Si la technique de production de verre est connue depuis bien des lustres, les investigations et parutions restent rares sur le sujet en général, en Suisse a fortiori.
Celle de Christophe Gerber en fait donc partie et elle offre une description détaillée du site à l’époque, de son organisation, des gens qui y travaillaient, de l’habitat et des techniques de mise en œuvre et de production du verre (voir notamment ci-dessous).


Corps de métier replié sur lui-même, en apparence

«A l’époque, les métiers du feu étaient souvent secrets et les familles verrières plutôt endogames», révèle-t-il. Les groupes sociaux ou religieux ne se mélangeaient pas facilement. Mais les exceptions qui confirment la règle existaient cependant. «Ces pratiques n’empêchaient pas certaines femmes protestantes de se convertir afin d’épouser des verriers catholiques. Des écrits font aussi état de prêts et de dettes contractés par ces familles auprès de notables de la région.»
Même si les habitants ne voyaient pas d’un très bon œil le défrichement quasi complet de leurs forêts, la cohabitation de ces artisans, venus des cantons limitrophes, de France, mais en majorité de Forêt-Noire, restait toutefois paisible avec les villageois de la région et des alentours des quatre verreries de Chaluet. La plus ancienne, nommée de manière perspicace la Vieille Verrerie, démarra en 1657 et produira verres à vin, gobelets, vitrages ou bouteilles durant une quinzaine d’années. La seconde, de Sous les Roches (ou de la Belle Côte, voire Coste), fut exploitée selon un bail de 25 ans signé en 1673. La troisième, du Pâturage de l’Envers, subsistera une quinzaine d’années. Enfin, la quatrième et dernière, dite de la Vieille Couperie, conclut 65 ans ininterrompus de production verrière dans l’extrême est de la Vallée de Tavannes. En deux tiers de siècle, ces différents hameaux verriers ont laissé aux archéologues un trésor encore mystérieux car en grande partie enfoui: fondations des bâtiments, fours, divers outils et objets métalliques, parures, peignes en os, canifs stéphanois ou artefacts en pierre, comme des meules à aiguiser. Tout ceci est à découvrir dans le dernier tome. Patience donc.

Sable et cendres, deux composants indispensables à la production du verre

Fabrication Pour obtenir du verre, plusieurs matériaux furent nécessaires à ces artisans du 17e et 18e siècle, que ce soit pour les produits finis ou pour les fours dans lesquels on les façonnait. «La matière première est le sable quartzeux. Etant donné que celui-ci ne fondait qu’à parir de 1700 degrés Celsius, on y ajoutait de la cendre potassique pour en abaisser le point de fusion de près de 600 degrés», explique Christophe Gerber. D’où le déboisement intensif des forêts , dont le bois était donc réduit en cendres et qu’on désignait alors par le terme de «fondant». Le sable argileux ainsi que la terre réfractaire, utiles à la construction des fours et des arches à recuire, venaient très probablement de la région. Le premier de la vallée de Tavannes et des environs de Saules, la seconde de Sornetan.

Edifices démontables A l’image des bâtiments érigés en éléments préfabriqués, les rendant ainsi démontables et remontables, les édifices des verriers ont probablement été en partie emportés par ces derniers à leur départ. Sur place, on ne trouve en effet que quelques fondations, celles des fours notamment.«Ils gisent désormais sous une couche de remblai déplacé pour la construction de la Transjurane», fait remarquer l’archéologue. Dans les grandes lignes, on produisait des fioles, des bouteilles ou des gobelets dans un four de fusion central de forme ovale et composé de matériaux réverbérant la chaleur. De chaqu0e côté on trouvait d’épaisses fondations qui délimitaient l’accès au brasier et qui supportaient par une voûte des arches à recuire surélevées.

Quelques dates

1370 Dans une lettre, on trouve la première référence à la production verrière en terres jurassiennes.
1562 On aurait commencé à produire du verre à Saint-Joseph, à 6 ou 7 km de Court.
1657 En novembre, des verriers obtiennent un bail de 15 ans pour exploiter du bois, à Chaluet.
1739 Fin présumée de la production verrière du dernier des quatre sites courtisans, dit de la Vieille Couperie.
1952 Début des premières fouilles réalisées par une équipe de passionnés, sous la direction d’André Rais notamment.
2000 Jusqu’à 2004, le Service archéologique bernois s’applique à «faire parler» les sites.
2010 Publication du premier des quatre volumes retraçant l’histoire des verreries courtisanes.

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