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Tramelan

L’exploitation y a duré plus de 70 ans

Mercredi soir, dans le cadre de la série de conférences historiques «Nos industries», l’archéologue Christophe Gerber a emmené le public sur les traces de l’activité verrière dans le Jura bernois, plus précisément sur le site de Chaluet, à Court

Dix verriers pouvaient travailler autour du four de fusion central. Au travers des ouvertures, ils saisissaient la masse en fusion sur leur canne, puis la soufflaient à la forme voulue, avant de placer les objets dans les fours de recuit, sur les ailettes

Philippe Oudot

Nos industries

Pour la 5e année consécutive, le CIP, la commune de Tramelan et la section locale de la Société jurassienne d’émulation mettent sur pied un cycle de conférences sur l’histoire régionale. Cette année, cinq conférences sont au programme, avec comme fil conducteur la naissance de l’industrie. Mercredi, l’intitulé de la présentation de l’archéologue Christophe Gerber était «Le Jura, terre de verriers».

A Court, les automobilistes qui s’engagent aujourd’hui dans le tunnel de Graitery n’imaginent sans doute pas qu’au début du 18e siècle, une verrerie avait été construite non loin de là, à Chaluet. Plus précisément sur la zone de huit hectares où ont été déposées des milliers de tonnes de matériaux d’extraction marneux sortis lors du percement du tunnel de l’A16.

Mais avant que ce terrain ne soit remblayé d’une couche de 12m d’épaisseur, d’importantes fouilles y ont été menées sous la direction de Christophe Gerber, archéologue et responsable de projet au Service archéologique du canton de Berne. C’est le fruit de ces recherches qu’il a présenté mercredi soir au CIPà un public d’une bonne soixantaine de personnes venu assister à la 2e conférence de ce cycle.

Activité importante

La région jurassienne a connu une importante activité verrière au cours de son histoire. Celle-ci a connu un véritable boom aux 17e et 18e siècles. Certaines verreries ont perduré au 19e et jusqu’au 20e siècle, à l’instar de la Verrerie de Moutier dont les fours seront mis définitivement à l’arrêt en 1976.

Mais les premières traces de cette activité remontent à 1370, où il est fait mention dans un document de l’évêché de Bâle d’une verrerie «zur Huette», c’est-à-dire à La Heutte. «Avec Balstahl, La Heutte est le plus ancien site connu. C’est à partir de là que d’autres verreries ont ensuite essaimé dans plusieurs vallées», a indiqué le conférencier.En fait, les verreries étaient exploitées durant 15 ou 20ans, puis abandonnées: «La raison est bien simple:cette activité était en effet une grosse consommatrice de bois. Une fois les forêts alentours rasées, les verriers changeaient de versant ou allaient s’installer ailleurs», a expliqué Christophe Gerber.

ACourt, les verriers sont venus en partie de Balstahl, et en partie de La Heutte. Sur place, les archéologues ont retrouvé trace de quatre verreries, dans un rayon de quelques kilomètres, qui ont été exploitées sur une septantaine d’années. La première, de 1657 à 1674;la seconde, de 1674 à 1699;la troisième, de 1699 à 1714, et la dernière, jusqu’en 1728. C’est la troisième, celle du Pâturage de l’Envers, qui a fait l’objet de ces fouilles.

Four à ailettes

Sur place, les archéologues ont tout d’abord mis au jour un four à ailettes de tradition lorraine, composé du four de fusion au centre, et de quatre ailettes, le tout mesurant environ 8m de long. Le four de fusion était doté d’une coupole, ce qui permettait une réverbération de la chaleur, une température de 1200 à 1300°C étant nécessaire pour produire du verre.

«Le four de fusion comportait cinq ouvertures de chaque côté, ce qui permettait à une dizaine de souffleurs de verre de travailler en même temps. Quant aux quatre ailettes, elles abritaient des fours de recuit. Une fois terminées, les pièces étaient encore très chaudes, environ 950°C. Des manœuvres les disposaient dans des récipients de terre cuite dotés de couvercles et placés dans les fours de recuit installés dans les quatre ailettes», a expliqué Christophe Gerber. Une opération indispensable, car en laissant le verre se refroidir à l’air, il se briserait au moindre choc.

Matériaux du cru

Le four était fabriqué avec des pierres calcaires trouvées sur place, l’intérieur étant chemisé de briques réfractaires provenant de sables argileux du Mont- Girod. Quant à la matière première – du sable contenant beaucoup de silice –, elle venait aussi de la région notamment du Petit Val. «Pour fabriquer le verre, ils plaçaient le sable siliceux dans de petits creusets d’une douzaine de litres, y ajoutaient un fondant – de la soude de potasse – afin d’abaisser le point de fusion, ainsi qu’un stabilisateur, sous forme de chaux. Parfois, ils y ajoutaient des colorants, par exemple du cobalt pour la couleur bleue», a-t-il précisé. Il fallait compter environ huit heures de chauffe pour atteindre le point de fusion.

La production de verre nécessitait d’énormes quantités de bois. Pour fabriquer deux tonnes de verre, il fallait une tonne de sable et une tonne de cendres fraîches. Or, pour obtenir autant de cendres, 200 tonnes de bois frais étaient nécessaires. Acela s’ajoutaient encore quelque 600 stères de bois de chauffe par mois. Pas étonnant qu’après une quinzaine d’années, les verriers s’en allaient ailleurs pour construire de nouveaux fours.

Christophe Gerber a expliqué que 90% des restes de verre retrouvés ont une couleur verdâtre. «Cela provient des impuretés dans le sable. Pour avoir un verre blanc, le sable devait être abondamment lavé.»

Sur une estrade

Autour du four, les archéologues ont découvert de nombreux trous dans lesquels étaient plantés de poteaux de bois. «Les verriers construisaient en effet une estrade en bois sur laquelle ils se tenaient. Les souffleurs étaient ainsi plus à l’aise pour travailler.»

Sur le site, les archéologues ont aussi mis au jour de plus petits fours secondaires, ainsi que les restes maçonnés de trois maisons d’habitation de taille modeste, la plus grande étant sans doute celle du représentant de la communauté verrière. Comme l’a relevé Christophe Gerber, «celle-ci devait compter une centaine de personnes. Le village des verriers proprement dit devait se situer un peu à l’écart, dans des maisons entièrement construites en bois, raison pour laquelle nous n’avons retrouvé aucune trace.»

Production très diverse

Fenêtres à cives  S’agissant des produits fabriqués par les verriers de Court, il y a eu un peu de vitrage pour ce qu’on appelle des fenêtres à cives («cul de bouteille»). Mais avec des creusets de 12 litres, la production était forcément limitée. On peut encore en trouver trace dans quelques églises de la région, ainsi que dans d’anciens bâtiments patriciens à La Neuveville.

Vue générale des fouilles, sur le site du Pâturage de l’Envers, à proximité de Court. © Service archéologique du canton de Berne.

Mais comme en témoignent les nombreux tessons trouvés sur place, on a surtout produit des bouteilles, fioles, pots à onguents, et même quelques encriers. Longtemps produit de luxe, le verre commence aussi à se démocratiser au 18e siècle.

Sur le site du Pâturage de l’Envers, les archéologues ont ainsi retrouvé quantité de verres à boire, beaucoup assez simples, d’autres, en particulier des verres à pied pour le vin, qui étaient bien plus ouvragés. Al’époque, les verriers de Murano, près de Venise, étaient déjà très réputés. «On a retrouvé des verres filigranés, technique typique de Murano, ce qui montre bien que les verriers de Court cherchaient à imiter la prestigieuse production vénitienne.»

Au vu du petit nombre de beaux objets retrouvés, Christophe Gerber estime qu’il ne devait sans doute n’y avoir qu’un seul verrier à maîtriser cette technique. Pour imager la différence de qualité entre la production de Murano et celle de Court, il a parlé de Superleague pour les premiers et de 1re ligue pour les seconds.

Quelques-unes des bouteilles et autres fioles découvertes sur place. © Service archéologique du canton de Berne, Badri Redha

Objets quotidiens  Les archéologues ont également mis au jour de nombreux objets de la vie de tous les jours:  poteries, céramiques, vaisselle, «notamment avec des décors de tulipes, très en vogue à l’époque, ainsi que des couteaux et autres fourchettes.

Nous avons aussi découvert des outils, des éléments de cannes à souffler notamment, ainsi qu’une remarquable collection de canifs, dont beaucoup étaient estampillés Saint-Etienne, qui était un centre de fabrication très important»,a souligné l’orateu r. Autre découverte intéressante:près de 200 pipes ou fragments de pipes:«Ils n’en avaient visiblement pas assez de souffler toute la journée dans des canes!»

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