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Industrie

Se passer du plomb, trop toxique, un vrai défi

Les décolleteurs sont préoccupés par la restriction de certains additifs dans les alliages qu’ils utilisent. Hier, quatre spécialistes ont détaillé les problèmes et les solutions lors de la Journée des décolleteurs et tailleurs de Suisse

Président de l’AFDT, Dominique Lauener (debout) a plaidé auprès de ses troupes pour la formation, «seule façon de contrecarrer les effets du franc fort suite à l’abandon du taux plancher par la BNS». Stéphane Gerber

Philippe Oudot

Il y avait foule, hier après-midi à Tramelan, pour suivre les conférences organisées à l’occasion de la traditionnelle Journée des décolleteurs et des tailleurs de Suisse. Pas moins de 130 personnes! «Faute de place, nous avons dû refuser les dernières inscriptions – preuve que le thème est d’actualité», a souligné Laurent Baumgartner, responsable du centre de formation du CIP-CTDT, en accueillant ses hôtes. Thème des exposés:«Les matières du futur:vers une restriction des additifs».

Premier orateur à s’exprimer, Hubert Droz, directeur de l’institut de transfert de technologie TT-Novatech, à Saint-Imier, et professeur à la Haute Ecole Arc, a rappelé que de nombreux additifs qui entraient dans la composition des alliages utilisés par l’industrie posaient problème. En particulier les métaux lourds – il en existe une quarantaine – ainsi que certains métalloïdes.

En raison de leur toxicité pour la santé et l’environnement, les pouvoirs publics en ont réglementé l’utilisation en fixant des teneurs limites. Certains sont, comme le plomb, le cadmium ou l’antimoine, non seulement très toxiques, mais ils s’accumulent également dans le corps sans pouvoir être éliminés. Qui plus est, certains sont cancérigènes.

Nouvelles normes

Les enjeux de santé publique, de protection de l’environnement et une perspective de développement durable ont donc conduit l’Union européenne à édicter des directives beaucoup plus restrictives dans l’utilisation des substances dangereuses. Acommencer par le plomb, le mercure, le cadmium et le chrome. Ce sont les directives RoHS et ROHS2.

A cela s’ajoute le règlement Reach sur les substances chimiques. Comme l’a relevé Hubert Droz, la Suisse n’est pas en reste et a intégré ces nouvelles normes afin d’harmoniser sa législation avec le droit européen. Mais le défi, a-t-il ajouté, c’est que ces prescriptions sont en constante évolution et la tendance est à limiter toujours davantage les produits considérés comme préoccupants.

Aciers de décolletage

Consultant en métallurgie de la maison biennoise L. Klein SA, spécialisée dans la vente d’aciers fins et de métaux, Pierre Maréchal a axé son exposé sur les aciers de décolletage utilisés surtout dans l’horlogerie. Ainsi, afin de prendre en compte les nouvelles normes, L. Klein a développé, en collaboration avec une aciérie américaine, tout un processus de fabrication de fils et de barre de précision exempt de plomb.

En raison des faibles quantités à produire, les partenaires ont eu recours à la technologie de la métallurgie des poudres. La production se fait sous vide, les poudres métalliques extrêmement fines étant pulvérisées à chaud par jets d’azote. Un processus complexe qui permet d’éliminer les nombreuses imperfections au niveau de la matière qui résultent d’une production en lingots ou à coulée continue.

«On peut donc garantir ainsi des lots qui ont exactement les mêmes caractéristiques, ce qui évite nombre de réglages. De plus, la fusion sous vide donne un acier propre, sans bavures. C’est très important quand on sait que pour un réacteur d’avion, l’ébavurage représente un tiers du coût de production», a expliqué Pierre Maréchal. Et d’ajouter que l’usinage est également facilité, parce que cette technologie permet de réduire la zone de déformation là où les couteaux attaquent la matière. «Tout cela a bien sûr un coût, mais avec ce qu’on reçoit, on en a pour son argent!»

Le plomb, brise-copeaux par excellence

Chez Baoshida Swissmetal SA, on cherche également des alternatives à l’utilisation du plomb dans les alliages cuivreux destinés à l’industrie du décolletage. Mais comme l’a rappelé son directeur Jean-Pierre Tardent, historiquement, le plomb ajouté au cuivre et à ses alliages a toujours été l’élément idéal pour favoriser la formation du copeau dans le décolletage.

«C’est le brise-copeaux par excellence!» En effet, il en réduit la longueur et facilite donc son élimination, car il est directement entraîné par le flux d’huile. En outre, le plomb a un effet lubrifiant, ce qui réduit l’usure des outils de coupe.

Et pour bien montrer l’effet de ce métal dans les alliages, il a indiqué qu’avec une teneur de 3%, on obtenait un index d’usinage maximal de 100%. Un taux qui diminue drastiquement lorsque le taux de plomb diminue. Difficile donc de s’en passer. «Cela fait plus de 20 ans que nous cherchons des alternatives qui aient les mêmes effets bénéfiques sur l’usinage des pièces sans en avoir la dangerosité. Mais à ce jour, aucune solution équivalente n’a encore pu être commercialisée», a indiqué Jean-Pierre Tardent.

Aujourd’hui, on a certes développé d’autres brise-copeaux, a-t-il poursuivi. En particulier en recourant au bismuth. Il est l’élément le plus proche du plomb, mais il a aussi des inconvénients: il est lui aussi toxique et a un effet fragilisant pour les alliages de cuivre. Pas idéal. Le tellure serait aussi un bon brise-copeaux, mais du fait de sa réactivité avec des métaux comme le zinc, il n’est utilisable qu’avec un petit nombre d’alliages.

Il a cité encore d’autres éléments déjà testés ou en cours d’évaluation, comme le silicium, le calcium ou le graphite, mais pour l’heure, les résultats ne sont guère probants.

Pour l’avenir, Jean-Pierre Tardent a évoqué deux scénarios:une réduction du taux de plomb, «ce qui ne serait pas catastrophique», ou une interdiction pure et simple, auquel cas on pourrait voir émerger des techniques alternatives au décolletage…

Bismuth et étain

Spécialiste du marché de l’aluminium, la maison zurichoise Allega veille elle aussi à réduire l’utilisation du plomb comme brise-copeaux, a indiqué son représentant Thomas Streiff. Aujourd’hui, une dérogation à la réglementation RoHS permet certes d’avoir une teneur en plomb supérieure à la norme, mais personne ne sait combien de temps cette exception sera maintenue. Voilà pourquoi des alliages sans plomb ont été élaborés ou sont en cours de développement.

Il a évoqué notamment deux alliages qui, en lieu et place du plomb, utilisent le bismuth et l’étain. Le résultat est intéressant au niveau de l’usinage, mais le recyclage reste problématique en raison de leur toxicité.

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