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En route vers l’Europe (1)

Un Tavannois au four et au moulin

Les réfugiés syriens, irakiens et afghans sont accueillis au poste frontière entre la Grèce et la République de Macédoine dans un camp où Médecins du Monde Suisse joue un rôle déterminant

Thierry Dutoit explique la marche à suivre à un groupe de réfugiés qui vient d’arriver au camp d’Idomeni pour passer en Macédoine. Blaise Droz

Blaise Droz de retour de Grèce

Le contexte actuel: Depuis mars 2011, la Syrie vit au rythme d’un conflit atroce qui jette des millions de civils sur les routes. La majorité d’entre eux se concentre dans des camps de fortune en Turquie, au Liban et en Jordanie. D’autres espèrent refaire leur vie en Europe ou tout au moins y trouver un refuge provisoire. La route migratoire la plus courue passe par la Turquie, puis la Grèce, la République de Macédoine, la Serbie, la Croatie et l’Autriche avant l’eldorado allemand. Médecins du Monde Suisse est active dans un camp de transit entre la Grèce et la République de Macédoine. Nous y avons suivi leur travail du 9 au 11 octobre alors que le nombre de passages par jour se situait entre 6000 et 8000 réfugiés.

«Soyez les bienvenus! Vous êtes toujours en Grèce mais le prochain pays ne se trouve qu’à 100 mètres devant vous. La frontière est ouverte et vous serez autorisés à la traverser dès que la police vous y invitera...» Une fois encore, le Genevois Lucas Guanziroli, envoyé par le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, (UNHCR) répète son discours d’accueil face aux 50 occupants d’un bus qui vient d’arriver en provenance d’Athènes.

La scène se passe à Idomeni, dans le camp de réfugiés installé depuis quelques jours à la frontière entre la Grèce et la République de Macédoine, près d’une gare de triage partiellement désaffectée. Les voies et les quais à l’abandon étaient précédemment utilisés pour accueillir et informer les migrants qui arrivent massivement, surtout depuis la Syrie mais aussi d’Irak, d’Afghanistan et plus rarement de pays divers. Cela fait à peine plus de deux semaines qu’un camp de tentes a été dressé au contact direct de la frontière.

Les Nations Unies et les ONG, dont Médecins du Monde, y travaillent dans des conditions qui ont été très précaires mais qui se sont largement améliorées au fil des jours.

La parfaite entente entre Lucas Guanziroli, coordinateur du HCR, et un autre Suisse y est pour beaucoup. Ce dernier n’est autre que le Tavannois Thierry Dutoit. Ancien fondateur d’entreprises âgé de 35 ans et désormais à l’abri du besoin, il consacre une partie de son temps à des missions humanitaires. Ses précédents engagements, il les a accomplis au nom de Médecins sans Frontières (MSF) mais à Idomeni, c’est par Médecins du Monde Suisse qu’il a été chargé de coordonner les activités médicales de cette ONG dont le siège est à Neuchâtel.

Charismatique et volontaire, le représentant de Médecins du Monde est rapidement devenu l’une des personnalités les plus en vue du camp. Il est souvent celui que l’on consulte lorsqu’il y a un problème à résoudre. En outre, il n’hésite pas à demander à chacun, fut-il un policier grec, de faire correctement son travail.

A Idomeni, les réfugiés sont susceptibles d’arriver à toute heure mais le plus grand nombre se concentre durant la nuit parce que les trajets en car sont organisés à Athènes durant la journée et ils durent à peu près cinq heures.

Lorsque Thierry Dutoit est arrivé à Idomeni, il a rapidement fait un premier constat: «Bien que les réfugiés arrivent massivement de nuit, les soins médicaux n’étaient dispensés que de jour par l’ensemble des prestataires présents sur place. Du coup, j’ai souhaité que le personnel médical et psychosocial de Médecins du Monde travaille de nuit.»

Un travail colossal

C’est ainsi que MDM a été pendant quelques jours l’unique prestataire de soins médicaux pendant les plus grosses vagues d’arrivées de réfugiés.

Avant que le camp ne prenne forme, Médecins du Monde était d’ailleurs pendant plusieurs mois la seule organisation à fournir des prestations médicales et psychosociales en abattant un travail colossal.

Rapidement, Thierry Dutoit a pris langue avec les autres organisations afin de mettre sur pied un tournus permettant un changement de staff médical toutes les huit heures. Un nouveau succès et petit à petit, les équipes ont renoncé à se concurrencer afin de tirer efficacement à la même corde. Dans le même temps et grâce au travail de toutes les organisations actives dans le camp, le relatif confort des réfugiés s’est bien amélioré durant leur courte période de repos sur place.

D’autres raisons ont permis de faire du camp d’Idomeni un modèle du genre, en tout premier lieu l’excellente collaboration des autorités grecques et macédoniennes, malgré le différend qui oppose ces deux nations au sujet du nom Macédoine.

A peine arrivés en République de Macédoine, les réfugiés traversent rapidement le pays en train de la frontière grecque jusqu’à celle de la Serbie. Cela permet d’absorber le flux au point que l’on n’a encore jamais compté plus de 3000 migrants stationnés simultanément à Idomeni. Ce nombre, déjà excessif, n’a d’ailleurs été atteint qu’une seule fois. Thierry Dutoit relève encore que «les réfugiés sont très disciplinés. La plupart ont un excellent bagage intellectuel et surtout ils sont infiniment reconnaissants d’être accueillis en Europe.»

Ce constat, on le fait inévitablement en déambulant dans le camp, car dès qu’ils reconnaissent un faciès occidental, ceux qui ont fui la guerre sourient, font signe de la main et répètent inlassablement «thank you, thank you!»

Un Syrien au visage fatigué est venu nous dire spontanément combien il était soulagé d’être ici. Le périlleux voyage qu’il a entrepris avec sa famille dure depuis plus de deux semaines et comportera encore des tensions et des dangers dans les Balkans. Mais il en est sûr: rien d’aussi terrible que sa traversée maritime entre la Turquie et l’île de Kos ne pourra plus lui arriver: «C’était affolant. Le bateau était fragile, surchargé, beaucoup trop petit... Et les vagues trop grosses.»

Quant à la guerre qu’il a fui, il ne veut pas en parler. A son évocation, il baisse la tête et ses yeux s’embuent, alors il dit «thank you» et retourne vers les siens dans le groupe de 50 personnes qui attend avec calme un signal des policiers.

Un dernier «thank you»

Bientôt, le commandant macédonien fait un geste de la main relayé par son collègue grec, le groupe est autorisé à se mettre en route. Beaucoup adressent un dernier «thank you» aux policiers grecs avant de passer entre les deux petits arbres qui forment une sorte de portique entre des rouleaux de barbelés. La police macédonienne est à son tour saluée avec respect et reconnaissance avant que le groupe ne disparaisse derrière un repli de terrain. Thierry Dutoit l’a dit et répété: «Ce sont des gens comme nous!»

Suite de ce reportage dans la prochaine édition du JdJ. Pour en savoir plus: www.medecinsdumonde.ch

Les réfugiés sont nombreux à venir consulter Médecins du Monde. L’accueil est très professionnel.  Blaise Droz

Réunir les familles séparées

Cartes sim Dans leur constante quête d’amélioration, les organisations présentes à Idomeni cherchent le meilleur moyen de réunir les familles séparées accidentellement au cours du voyage. Une représentante de la Croix Rouge norvégienne évoque les raisons pour lesquelles des enfants se trouvent séparés de leur famille.

En premier lieu, elle dénonce l’attitude des passeurs turcs qui forment des groupes à la va-vite sans se préoccuper de savoir qui voyage avec qui. «Soudainement, un passeur interrompt le flot des réfugiés et oblige ceux qui se trouvent derrière la ligne de s’immobiliser. Je suis convaincue que c’est la principale cause de séparation des familles avant même leur arrivée en Grèce», s’indigne-t-elle.

Toujours est-il que le HCR, qui travaille en étroite collaboration avec une ONG d’interprètes (anglais, arabe, farsi) s’efforce de toujours identifier les mineurs voyageant seuls ou accompagnés d’autres adultes que leur famille.

«Ils sont systématiquement contactés à chaque point de passage pour vérifier que tout va bien et au moindre doute, on les sépare des adultes qui s’en occuperaient mal», explique Luca Guanziroli, qui redoute de les confier aux autorités par crainte qu’ils aillent croupir dans des camps où leur prise en charge laisserait à désirer.

C’est avec beaucoup de soulagement que les planificateurs du camp d’Idomeni ont accueilli Kamel Deriche, un représentant du HCR basé à Genève et dont la tâche est d’améliorer les systèmes de communication dont disposent les réfugiés.

«Ils utilisent massivement des téléphones portables pour communiquer avec leurs familles déjà arrivées, des proches restés au pays ou également sur les routes. Ils sont totalement dépendants de leurs portables mais beaucoup doivent changer de carte SIM à chaque frontière. Aussi, nous souhaiterions obtenir le soutien d’un opérateur de télécommunications qui les équiperait de cartes 3G permettant de communiquer aisément d’un pays à l’autre et de retrouver facilement les proches dont ils sont séparés.»

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