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Société

Instantané sur le «copwatching»

Photographier un policier en uniforme est permis. Mais risqué aussi

Si les policiers sont en tenue et qu’ils ne sont pas sur une intervention sensible et que l’ordre public n’est pas perturbé, ils n’ont aucun moyen légal pour s’opposer à ces prises de vue. archives Galley

Santi Terol

Kyril Gossweiler aime bien taquiner l’autorité. Adepte du «copwatching», ou l’observation de flics en français, il se reconnaît volontiers comme un aimable agitateur et trouve agréable de prendre en photo les policiers en uniforme, surtout s’ils ont étrangement garé leur véhicule de service.

L’an dernier, à Neuchâtel, cet ancien cadre a cadré avec son smartphone deux agents qui s’étaient arrêtés à la gare pour y faire des achats (de l’eau et, selon la version officielle, des médicaments pour un détenu).

Cela lui a valu de se faire embarquer au poste de police, les mains entravées. Le fichet de communication de la Police neuchâteloise précisait: il «prenait en photo les intervenants. Il lui a été demandé d’arrêter. Ce qu’il a refusé de faire». Et, après quelques échanges verbaux qui ont attiré la foule, «finalement, il a été conduit au BAP après avoir été menotté pour le transport».

Le prévenu, sûr de son bon droit, a dénoncé la Police neuchâteloise auprès du ministère public pour abus d’autorité. Les policiers «ont exigé que j’efface les photos, en me disant que je n’avais pas le droit de les photographier. Ils ont tout mis en œuvre dans le dessein de me nuire et de m’humilier», soutient ce Lausannois. Il précise encore que, pour obtenir ce fichet de police, il a été contraint d’actionner le préposé à la protection des données et à la transparence.

Dans un giratoire

Le souriant enquiquineur n’en est pas à son coup d’essai. «La police est nécessaire. Mais elle doit être exemplaire. Aussi, je dénonce régulièrement des flics qui traversent la chaussée hors des lignes jaunes, par exemple.»

Fin 2014, il a également photographié une patrouille vaudoise parquée dans un giratoire pour observer la circulation. Comme les Neuchâtelois, les policiers vaudois avaient exigé que les photos soient effacées. Il avait alors interpellé le commandant de la police vaudoise. Celui-ci lui avait répondu par écrit, dit-il, «que les policiers ne sauraient être photographiés ou filmés à leur insu dans le cadre de leur travail.»

Candide

Feignant l’innocente candeur, Kyril Gossweiler s’adressa alors à diverses polices cantonales pour savoir si, d’une part, il avait le droit de photographier des agents de police en uniforme et, d’autre part, s’il existait une note de service à ce propos.

Les réponses reçues des différents corps de police relèvent effectivement que «de manière générale les médias (et les particuliers) sont admis à filmer et/ou photographier la personne en uniforme et en intervention» sauf si la photo inclut «des éventuels lésés, victimes ou personnes concernées par les faits», écrivait la juriste de la Police neuchâteloise.

Son alter ego fribourgeoise abondait: «Toute personne est en droit de photographier les agents de police sur le domaine public (...) à moins qu’elle trouble l’ordre public, empêche ou gêne la police de faire son travail.»

Et toutes deux concluaient que leurs corps ne disposaient pas de directives écrites sur le sujet. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui (lire ci-dessous). En parallèle, le quinquagénaire déposait une pétition auprès du département vaudois des Institutions et de la sécurité. Dans sa réflexion, le Lausannois remarquait que «presque l’entier de la population a en permanence sur soi un moyen de prendre des photos et vidéos par téléphone mobile. Il me paraît donc incroyable que les fonctionnaires n’aient pas un document écrit.»

Compte tenu de son expérience sur sol neuchâtelois, Kyril Gossweiler a émis la même proposition au canton de Neuchâtel. Le secrétariat du conseiller d’Etat Alain Ribaux lui a répondu que cette nouvelle «pétition n’apporterait rien de plus».

Aux écoles d’aspirants

En avril dernier, le préposé à la protection des données et à la transparence Jura-Neuchâtel s’est prononcé sur le «copwatching», en se basant sur l’avis de son homologue valaisan.

Sans surprise, il concluait que, «en principe, la sphère publique n’est pas protégée» par l’article 28 du Code civil (droit au respect de sa propre image) et «qu’un policier en intervention ne peut pas être considéré comme un individu quelconque».

Mais le message n’a pas été reçu 5 sur 5 par tous. Pourtant, les écoles d’aspirant disent sensibiliser leurs futurs policiers. Responsable de l’académie de police de Savatan, Jean-Luc Piller indique que des cours consacrés aux réseaux sociaux, d’éthique, puis tout au long de la formation, la liberté de photographier est abordée.

Idem à Neuchâtel: «Les agents savent qu’ils sont filmés. C’est la nouvelle réalité», analyse Pierre-Louis Rochaix. Le porte-parole poursuit: «Dans les cours, les aspirants sont sensibilisés. La force publique porte son nom, même si ce n’est pas toujours agréable.»

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