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Second tube

Ce Gothard qui divise les Suisses

Reportage au Tessin et à Uri, où les débats se font vifs. Sécurité, finances, protection de l’environnement et liaison entre le nord et le sud occupent tous les esprits

Côté tessinois, Airolo semble miser beaucoup sur le second tube en matière d’emplois. Keystone

Laura Drompt

Le jour se lève sur la gare de Brigue, sur une file de voitures, dont les passagers attendent de pouvoir traverser le Simplon en amenant leur voiture sur le «train-autos». Un automobiliste confirme que le ferroutage est «bien plus rapide que le col».

Un conducteur impatient klaxonne: les voitures s’avancent sur les wagons. Durant un quart d’heure, des cahots dignes d’un vol bien turbulent secouent le convoi. Tout est plongé dans le noir, seules deux frises lumineuses éclairent le bas du tunnel. Les claustrophobes doivent attendre avec impatience l’arrivée à Iselle di Trasquera.

La scène se déroule en Valais, mais elle pourrait devenir une réalité aux abords du Gothard, en cas de non le 28 février prochain. Car avec ce scénario, le tunnel routier actuel serait fermé durant trois ans – sauf durant les vacances estivales –, un temps nécessaire à sa rénovation. Pour compenser cette fermeture, des centres de transbordement de la voiture au rail seraient construits dans les cantons du Tessin et d’Uri.

«Ce serait intenable»

Les partisans du oui, quant à eux, préfèrent le percement d’un nouveau tunnel, qui permettrait la rénovation de l’ancienne galerie sans fermeture du passage.

Le Tessin et Uri ont systématiquement refusé le doublement du tunnel en votation. Comme en 2004, avec le projet Avanti, refusé par 74% des votants uranais et 56% de leurs pairs tessinois.

Jeudi dernier, Jean François Dominé, syndic de Biasca, n’en espérait pas moins voir la situation se retourner en février. Il rappelle entre autres que cet axe «est l’un des plus importants pour l’Europe». «Imaginez si on devait mettre toutes les voitures de l’autoroute entre Coppet et Genève sur des trains durant trois ans?

Ce serait intenable.» Sauf qu’il passe en moyenne 17000 véhicules par jour dans le tunnel routier du Gothard. Contre près de dix fois plus sur l’autoroute lémanique. «En moyenne annuelle, ce nombre est faible, c’est vrai. Mais nous avons des pics, lors des vacances ou en week-end, avec des bouchons incroyables.»

Ovations à Doris Leuthard

Dans un petit bar d’Airolo, dernier village avant le tunnel, les clients militent pour le oui au second tube. «On a absolument besoin de ce tunnel, sinon, on n’aura plus aucun emploi ici.» Il faut dire que Renato a une entreprise de transport par camions. Les nouvelles montrent des images du percement de la dernière paroi du nouveau tunnel ferroviaire du Ceneri. Doris Leuthard apparaît dans le petit écran sous les applaudissements.

La petite assemblée reconnaît toutefois que ses emplois, Airolo les devait surtout à la construction de barrages, aux CFF ou à l’armée. Mais depuis des années, les entreprises se sont détachées de la Léventine. Alors le village doit-il faire porter tous ses espoirs sur un tunnel? «Nous, c’est tout ce qu’on nous propose», remarque un client accoudé au bar.

Une vallée en crise

Sergio Mariotta, de l’association Leventina vivibile («Léventine habitable»), qui a aidé l’Initiative des Alpes à combattre le second tunnel du Gothard), espère pour sa vallée que d’autres choix soient possibles. «Nous ne voulons pas devenir le couloir de l’Europe. La vallée est en crise, mais cela vient d’un problème plus profond que le tunnel du Gothard.»

Sur la question de l’isolement du Tessin, il s’emporte: «Isolés? Nous avons des liaisons avec les trains: nous sommes à deux heures de Lucerne et trois de Fribourg. Aujourd’hui même, on perce un nouveau tunnel.» Son espoir? Que les trois milliards de la construction du second tube décourageront les Suisses. «Mais vu les montants normalement injectés dans les projets routiers, ce n’est peut-être même pas assez...»

Le soir tombe. Il est temps de reprendre la route et de traverser ce fameux tunnel du Gothard. Ses presque 17 kilomètres défilent, rythmés par les niches et les avertissements à maintenir les distances de sécurité. Au milieu apparaît l’écusson uranais. Ne restent plus que huit kilomètres avant la sortie. Et un mois avant que les habitants des vallées avoisinantes ne soient fixés sur le sort de cette voie.

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