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La Chaux-de-Fonds

Des lieux de vie devenus décharges

Les employés du secteur salubrité traitent plusieurs cas lourds chaque mois

Malgré les montagnes de déchets, ces appartements, qui ont été pris en photo par le secteur de salubrité, sont bel et bien habités... LDD

Sylvie Balmer

Les métiers les plus précieux sont souvent ceux parmi les moins ragoûtants. Employés du secteur salubrité au sein du Service de l’urbanisme et de l’environnement, à La Chaux-de-Fonds, Raymond Porret et Pierre-Yves Grandjean ont toujours gants, combinaisons et masques à portée de main. Leur mission les conduit en effet régulièrement dans des logements devenus totalement insalubres.

Les photos donnent le vertige. On découvre des logements où les déchets s’entassent jusqu’à la moitié des fenêtres, des cuisines devenues inutilisables sous l’amas d’objets hétéroclites, habits, jouets, ordures… Il ne s’agit pas d’appartements abandonnés par des locataires indélicats, mais bien de lieux de vie de personnes en souffrance, incapables de gérer leur quotidien.

Prévenus par l’entourage, famille, proches ou voisins, la police ou le service vétérinaire si des animaux maltraités ont été signalés, Raymond Porret et Pierre-Yves Grandjean se rendent sur place afin de proposer leur aide au locataire, par le biais d’un réseau de compétences: Nomad, l’action sociale, le Centre neuchâtelois de psychiatrie, le service d’aide familiale, Pro Senectute, etc.

Agir avant la résiliation

«Nous ne faisons pas le ménage!, insistent-ils. Le but de notre intervention est de permettre au locataire de rectifier le tir, avec l’aide des services précités, avant qu’il ne soit trop tard et qu’il perde son logement. Ce n’est pas un assistanat, plutôt un filet. Le nettoyage lui sera facturé, l’idéal est qu’il participe.»

Ces cas d’appartements-décharges sont de plus en plus courants. «Il y a 20 ans, on comptait quatre interventions de ce type par an. Aujourd’hui, c’est environ trois par mois.» En 2014, le secteur salubrité a traité 34 cas dits lourds. Le syndrome de Diogène (lire encadré) est souvent évoqué. Mais la sénilité n’est pas seule en cause. «On constate ce phénomène d’insalubrité dans toutes les tranches d’âge, chez des personnes seules, mais aussi en couple, voire des familles. Dans 75% des cas, il s’agit de gens très précarisés, émargeant à l’assurance invalidité ou à l’aide sociale.»

Le duo a multiples anecdotes. Ainsi, ce couple, bien intégré socialement, qui avait déféqué dans sa baignoire jusqu’à ce qu’elle soit pleine, avant d’appeler la gérance pour la déboucher… Ou ce monsieur qui avait «creusé» un trou dans la montagne de déchets de son salon pour voir la télévision depuis son canapé… «Dans tous les cas, les déchets évacués se comptent par tonnes.»

Syndrome de Diogène

On distingue deux types de personnes atteintes par le syndrome de Diogène: l’actif qui entasse des choses récupérées dans la rue, et le passif qui se laisse envahir par ses déchets voire même ses déjections.

Le syndrome touche essentiellement les personnes de plus de 60 ans, quel que soit leur milieu social. Mais également des personnes de tout âge fragilisées après un deuil: le décès d’un proche, la perte d’un travail, un divorce, ou encore le départ à la retraite. Elles sombrent peu à peu dans la dépression et comblent le vide par l’accumulation d’objets ou de déchets.

On peut mettre en parallèle la hausse du nombre de cas avec la détresse sociale induite par notre société, où le chômage et les divorces ont explosé. £ syb

A signaler au plus vite

La tâche des deux hommes est délicate. S’ils ne s’acquittent pas du ménage, ils doivent néanmoins, dans les cas de décès, parer au plus pressé pour épargner les familles ou les entreprises de nettoyage mandatées, soit désodoriser les appartements après la levée du corps pour permettre aux proches de s’occuper des affaires. Il leur arrive aussi de nettoyer les «jus» d’un corps en décomposition.

Un métier difficile, même lorsqu’il ne s’agit pas de cadavre. «Ce n’est jamais agréable de recevoir une visite comme la nôtre.

Nous devons être attentifs à ne pas braquer les personnes. Moitié gendarmes, moitié assistants sociaux, nous sommes habilités à entrer chez les gens en cas de suspicion de danger pour la santé, la sécurité ou la salubrité publique. Mais passé le choc de la première visite, ces personnes apprécient notre soutien.»

La démarche est assortie de visites de contrôle. «Pour remettre quelqu’un sur les rails, ça peut prendre des années. Nous suivons certains dossiers depuis près de 20 ans! La meilleure chose qu’on puisse faire pour ces personnes, c’est de signaler le cas au plus vite, sans attendre que cela se détériore. Tout le monde peut le faire: un livreur, un voisin… Nous travaillons dans la totale confidentialité.»

Une autre image d'appartements bel et bien habités... LDD

Service de médiation

Conflits Depuis début 2015, une médiatrice est à la disposition de toutes les gérances de la ville, ainsi que des propriétaires privés, pour désamorcer les conflits et éviter ainsi les résiliations de bail.

Avocate spécialisée en droit du bail, formée à la médiation, Isabelle Perruccio Sandoz a pour mission de faire le lien, d’une part, entre les gens, locataires ou propriétaires, et d’autre part d’être la courroie de transmission entre les gérances et les services sociaux.

Cela n’existe nulle part ailleurs dans le canton. Sollicitée pour des conflits liés au bruit ou à l’insalubrité, la médiatrice ne se déplace pas à domicile, pour vérifier si les accusations sont fondées. «De même, je n’arbitre pas les conflits. La chose primordiale est la neutralité. L’idée est de créer un pont entre les gens. C’est à eux de trouver une solution à leur problème.»

Une rencontre est donc proposée aux deux parties, séparément ou, idéalement, ensemble.

«Dès le moment où il y a rencontre, la partie est quasi gagnée.» Mais ce n’est pas si simple. «Dans un tiers des cas, cela n’aboutit pas. La situation est déjà trop envenimée.» En cas d’échec, ne reste plus que la voie légale.

 

 

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