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Recensement de faune

Le nombre de chats sauvages augmente à la (bonne) surprise des spécialistes

À l’aide de caméras automatiques, la présence d’un revenant qui se fait petit à petit une place de choix dans les forêts de l’Arc jurassien est mise en évidence. Il est plus abondant qu’on le penserait de prime abord

Un chat sauvage passe devant une caméra automatique et déclenche la prise de vue. Il fait voir son pelage très caractéristique, flancs peu marqués, dos sombre et trois gros anneaux noirs au bout de la queue. KORA

Blaise Droz

Quasiment éradiqué de Suisse au milieu du 20e siècle en raison de pertes d’habitats structurés mais aussi en raison d’une persécution aveugle, le chat forestier ou sauvage est en train de recoloniser le territoire jurassien. «C’est dans les années 1970 que le premier signe de retour du félin de nos forêts s’est manifesté avec la découverte d’un individu mort à Lucelle quasiment sur la frontière franco-suisse», révélait il y a quelques années le biologiste bâlois Darius Weber (Le JdJ du 27 mai 2011).

Depuis lors, le petit félin sauvage a lentement repris pied sur sol suisse par les régions bâloise et soleuroise, par l’Ajoie, la vallée de Delémont et toujours plus à fond dans les plis jurassiens. On en connaît maintenant aussi une petite population alpine dans la région du Simmental, dont l’origine est incertaine.

Certains biologistes estiment que le chat forestier n’apprécie guère les sols recouverts de neige qui entravent la recherche de ses proies, des micromammifères principalement. D’autres, comme Christine Breitenmoser, coordinatrice et directrice administrative du KORA (Projet de recherches coordonnées pour la conservation et la gestion des carnivores en Suisse) préfère renoncer à toute conclusion hâtive, à plus forte raison que les aléas climatiques propres à notre époque peuvent changer la donne.

La semaine dernière, Le JdJ a accompagné le biologiste Florin Kunz, du KORA, assistant au monitoring du lynx et du chat sauvage en Suisse pendant toute une journée consacrée au relevé de pièges photographiques.

Les populations des deux félins sont suivies périodiquement sur des territoires prédéfinis. Cette année, un vaste secteur de 10 km par dix, compris globalement entre Glovelier, Châtillon, Court et Saicourt a été divisé en 16 carrés de 2,5 km de côté et passé au crible. Chaque carré a été équipé de deux, parfois trois, caméras automatiques aux quatre meilleurs endroits choisis avec l’aide des gardes-faune en fonction des habitudes connues ou présumées du chat sauvage.

Un contrôle par semaine

Toutes les caméras installées sur le total de 64 sites (plus que 150 caméras) ont été ensuite contrôlées une fois par semaine. A chaque passage, le biologiste s’impose la corvée de changer les batteries, de vérifier le bon fonctionnement du matériel et de remettre à l’heure l’horloge intégrée qui renseignera sur les heures du jour ou de la nuit où les espèces sont le plus actives. Enfin et surtout, il a le plaisir de la découverte lorsqu’il place la carte mémoire de chaque caméra dans son ordinateur, afin de visualiser les fichiers.

Sans surprise, les renards sont nombreux à avoir déclenché pratiquement chaque appareil. Ils sont suivis en nombre par les blaireaux et les chevreuils, puis par les lièvres, martres ou fouines et bien sûr aussi par les chiens domestiques et... les jambes des promeneurs. Ces dernières photos (y compris celles des chiens) les chercheurs du KORA se font un devoir de les détruire immédiatement: la vie privée des gens n’intéresse pas les biologistes.

Mais bien entendu, les photos que Florin Kunz et ses collègues espèrent plus que tout découvrir, ce sont celles des deux félins sauvages de la faune helvétique.

Ce lynx piégé par une caméra automatique passe tranquillement son chemin.  Dans la plupart des cas, les flashs ne dérangent pas les animaux qui se font surprendre.  KORA

Youpee, on en a un!

A chaque fois qu’un individu se fait piéger, c’est une victoire d’étape pour les biologistes qui enfilent ces observations indirectes comme autant de perles à un collier.

Afin d’identifier au mieux chaque individu, les caméras sont placées de part et d’autre des sentiers forestiers qu’utilisent volontiers les animaux sauvages. Si tout fonctionne pour le mieux, l’animal est photographié des deux côtés et les détails uniques de sa robe permettent de l’identifier aussi sûrement que s’il s’agissait d’empreintes digitales.  «C’est facile avec le lynx dont la robe est mouchetée, mais tout de même plus compliqué avec le chat forestier, dont le pelage est presque uniforme», explique Florin Kunz.

L’étude des chats forestiers par les biologistes est intéressante à plus d’un titre, tant ces animaux discrets sont encore méconnus. Les territoires qu’ils occupent d’une saison à l’autre, la concurrence entre congénères et même les proies dont ils se nourrissent font encore la part belle aux suppositions, puisque tant de données sont encore manquantes. «Ce serait un bon sujet pour un travail de thèse», note Christine Breitenmoser, qui est par ailleurs co-présidente avec son mari Urs Breitenmoser du Cat specialist group de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Dans sa reconquête de nos forêts, le chat sauvage est susceptible de rencontrer des chats de ferme. Ces derniers, transformés par des millénaires de cohabitation avec l’homme, n’ont plus grand-chose à voir avec leur espèce parentale mais ils sont toujours susceptibles de se croiser avec leurs cousins sauvages.

S’agit-il d’un grave problème qui pourrait mener à la disparition des caractères propres au chat sauvage ou seulement de quelques croisements épars qui resteront anecdotiques? C’est ce que l’étude en cours tentera de démontrer à l’aide d’un produit plein de mystère: l’essence de valériane.

Le biologiste du KORA, Florin Kunz, procède à l’inspection d’une caméra automatique placée au bord d’un chemin. Blaise Droz

Le lynx B439, vu pour la première fois avec sa mère en 2014 à La Heutte, est retrouvé dans la vallée de Delémont deux ans plus tard! Blaise Droz

Valériane, le parfum qui rend les chats amoureux

Pris au piège  Parce que l’hybridation entre chats forestiers et domestiques est une possibilité à prendre en compte et qu’il est nécessaire de clarifier enfin la situation, le KORA complète son recensement des chats sauvages par une étude génétique. Pour cela, il faut leur prélever quelques poils, sans utiliser la manière forte évidemment.

Le principe utilisé consiste à enduire d’essence de valériane un piquet de bois fiché en terre. Cette substance utilisée par les adeptes des médecines naturelles pour détendre les nerfs ou mieux dormir, agit sur les chats domestiques ou sauvages comme un puissant stimulant qu’ils identifient à leurs propres odeurs de marquage ou à celles de leurs rivaux ou partenaires. Ils y ajoutent souvent leur propre odeur en urinant et en se frottant vigoureusement au piquet de bois brut dont les fentes et irrégularités piègent quelques poils.

On notera pour la petite histoire que certains parfums d’entrée de gamme d’une célèbre marque utilisant les lettres C et K fonctionnent également très bien. Leurs adeptes peuvent le vérifier avec leurs animaux domestiques! Les poils collectés sont récoltés et envoyés au laboratoire de l’Université de Zurich pour analyse génétique.

De la sorte, on saura enfin beaucoup mieux si des chats au phénotype (caractères visibles) sauvage sont très rarement, ou quelques fois ou souvent des hybrides.

Pour l’heure, les spécialistes du KORA sont formels sur un point. Les chats dont le phénotype prête à confusion sont beaucoup plus rares que ce l’on pensait. A voir si la génétique confirmera ou non cette vision des choses.

Quant à l’analyse des données photographiques de l’étude actuelle, elle ne fait que commencer, mais à vues humaines, ce sont une quinzaine de chats différents qui ont été piégés à ce jour. Un résultat jugé très positif.

L’odeur de valériane attire les chats et intrigue les autres animaux, comme ce blaireau!  KORA

Histoire de lynx En Suisse, grâce aux différentes campagnes de piégeage photographique, la population de lynx est estimée à environ 170individus, dont environ 60 dans l’Arc jurassien.

Dans notre région en tout cas, ses effectifs restent stables. On admet communément qu’un lynx adulte tue un ongulé (chevreuil ou chamois) par semaine, soit un chiffre de 52 par an. Ce calcul permet d’estimer un prélèvement théorique de 8840 chevreuils ou chamois par année en Suisse.

Par comparaison, les chevreuils tombés sur les routes suite à des collisions avec les voitures sont environ 8000 par année, chiffre auquel il faut ajouter 500 chevreuils tués par les trains et 1500 chevreuils et faons tués par des machines agricoles.  Quant aux chasseurs de tout le pays, ils prélèvent annuellement environ 40 000 chevreuils. Il y a donc une marge très confortable entre les chevreuils tués par les chasseurs et les activités humaines et les prélèvements effectués par les lynx dans les parties du pays qu’ils occupent.

Cat Specialist group

Basé à Muri, près de Berne, dans les mêmes locaux que le KORA, le Cat specialist group de l’UICN est actif dans la protection et l’étude des félins sauvages du monde entier. Présidé par les époux Breitenmoser, il est le quartier général mondial qui recense toutes les données de la littérature depuis 1984. Son site internet est formidablement bien conçu. Il représente un authentique puits de science pour tous les passionnés de félins, du tigre au chat forestier en passant par le guépard et les pumas. A découvrir sur www.catsg.org.

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