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Donald Trump

«Encore trop tôt pour évaluer les conséquences»

Surprise, étonnement, craintes pour la place économique de notre région: l’élection du nouveau président des Etats-Unis ne laisse personne indifférent.

Le discours grossier et populiste de Donald Trump aura fait mouche. Mais l’élection du nouveau président des Etats-Unis ouvre une période d’incertitudes, y compris pour les milieux économiques de notre région. Keystone

Philippe Oudot

Au terme d’une interminable nuit de suspense, c’est finalement Donald Trump qui a emporté la mise, battant finalement largement la favorite des sondages Hillary Clinton. Il lui fallait 270 grands électeurs pour gagner, et il en a obtenu 290. Une élection surprise qui a affolé les marchés hier matin, avant qu’ils ne se ressaisissent partiellement durant la journée.

PATRICK LINDER
Dans notre région, l’élection de Donald Trump constitue aussi une grosse surprise pour plusieurs des interlocuteurs que nous avons interrogés. Directeur de la Chambre d’économie publique du Jura bernois, Patrick Linder estime qu’un cap a été franchi. «Au-delà de la surprise, cette élection pose de nombreuses questions et ouvre une période d’incertitudes. Mais il est bien sûr encore trop tôt pour évaluer les conséquences sur l’économie – la nôtre notamment.»

D’abord, parce que Trump est resté très vague sur son programme économique. Il a certes dit vouloir en revenir à une forme de protectionnisme, «mais cela ne se met pas en place d’un simple claquement de doigt».

Ce qui compte avant tout, c’est que la transition se fasse sans trop d’à-coups. Reste que la victoire de l’imprévisible républicain s’est traduite par une très grande fébrilité des marchés. «Le risque pour nous, c’est que le franc s’apprécie fortement, parce que considéré une nouvelle fois comme une valeur refuge ultime. Cela aurait alors un impact négatif sur le tissu industriel de notre région.»

Patrick Linder note aussi qu’il ne faut pas forcément prendre pour argent comptant ses propos de campagne outranciers. «Il sera bien obligé de s’entourer d’une équipe qui, j’espère, va le recadrer.» Mais ce qui a beaucoup frappé notre interlocuteur dans cette course à la Maison Blanche, c’est l’extrême polarisation de la société américaine, et notamment les revendications des suprémacistes blancs ultraconservateurs.

JEAN-DANIEL PASCHE
Le président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse se dit aussi surpris de l’élection du milliardaire, «même si on savait que c’était du domaine du possible». Comme Patrick Linder, Jean-Daniel Pasche constate qu’il est beaucoup trop tôt pour évaluer les conséquences de cette élection pour sa branche, alors que les Etats-Unis sont le 2emarché d’exportation pour les horlogers suisses.

Il constate certes que le nouveau président n’a pas de programme économique concret, et que «c’est bien sûr une insécurité de plus pour nos milieux, mais il n’y a pas de raison que tout s’effondre.» D’abord, parce que Trump n’a rien contre les produits de luxe, bien au contraire. En revanche, il observe que son élection pourrait avoir des effets collatéraux sur d’autres marchés.

«J’étais la semaine dernière au Mexique, dans la délégation qui accompagnait le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann, en visite officielle. Avoir la chute du peso mexicain, l’élection de Trump pourrait affecter l’économie du pays, et donc indirectement la vente de nos produits horlogers sur ce marché.»

Si cette élection aura immanquablement un effet d’insécurité à court terme, en raison de tous les propos qu’il a tenus durant la campagne, «il ne pourra pas forcément les réaliser. Je pense notamment à sa promesse d’introduire une taxe de 30 à 40% sur les produits importés d’Asie. Pas sûr qu’il ait l’aval du Congrès et des milieux d’affaires américains…» Jean-Daniel Pasche relève en outre que le nouvel élu devra bien s’entourer d’une équipe pour diriger le pays, et celle-ci aura forcément un effet de lissage.

GILBERT HÜRSCH
Lui aussi surpris de l’élection du républicain, le directeur de la Chambre économique Bienne-Seeland constate que celle-ci a déjà eu un effet sur les marchés financiers, qui ont réagi au quart de tour. Ases yeux, la Banque nationale devra sans doute intervenir pour éviter une nouvelle flambée du franc, que ce soit en intervenant sur les taux négatifs ou en achetant massivement des devises.

Il constate que les velléités de Donald Trump d’en revenir à une politique protectionniste en imposant de fortes hausses des tarifs douaniers pourrait créer de sérieux problèmes. «Imaginez un peu les conséquences pour notre région, sachant que la Suisse exporte pour plus de 30milliards de francs de produits aux Etats-Unis», souligne-t-il. Cela dit, Gilbert Hürsch estime qu’il ne faut pas paniquer, car il faut distinguer les propos de campagne de la politique qui sera effectivement mise en œuvre.

ANNE-CAROLINE GRABER
De son côté, la députée UDC de La Neuveville ne se dit qu’à demi-surprise du résultat des urnes, l’avance de la démocrate ayant fondu comme neige au soleil ces derniers jours. «Donald Trump est très bon dans le sprint final. Il l’avait déjà démontré lors des primaires républicaines», rappelle-t-elle. C’est aussi un terrible désaveu pour les instituts de sondage qui, comme lors du vote du Brexit, au Royaume-Uni, n’ont rien vu venir.

Rien d’étonnant à ses yeux:le showman Trump étant quelqu’un de politiquement incorrect, avec ses propos grossiers, sexistes et racistes, nombre de ses partisans ont sans doute hésité à faire part de leur soutien, ce qui n’est pas le cas dans le camp démocrate. Acela s’ajoute le fait que les démocrates, peu enthousiasmés par leur candidate, se sont sans doute un peu démobilisés à la veille du scrutin en raison de l’avance d’Hillary Clinton dans les sondages.

«Tout le contraire des républicains qui ont lutté jusqu’au bout pour renverser la tendance.»

Quant à l’attitude de Trump à l’égard des femmes, et notamment ses velléités de remettre en question le droit à l’avortement, Anne-Caroline Graber estime que ce sont des propos de campagne, sans doute profitables pour mobiliser les ultraconservateurs, «mais je ne pense pas qu’il pourra ainsi revenir en arrière. On ne peut pas aller contre le courant de l’Histoire», estime-t-elle.

Tout en dénonçant son discours sexiste et raciste, son manque de respect à l’égard de la personne humaine, elle se dit persuadée que le nouveau président devra mettre de l’eau dans son vin. «L’équipe dont il devra s’entourer va sans doute contribuer à modérer ses idées.»

Cela dit, elle constate que l’élection de Donald Trump s’inscrit dans un contexte politique en plein changement, dans la foulée du Brexit et de la montée des populismes. «On constate un rejet de la pensée unique, un rejet de la politique classique, de l’immigration incontrôlée. C’est un vote anti-establishment, un vote de défiance d’une population qui en a marre de voir le décalage toujours plus grand entre le niveau de vie potentiel et son revenu disponible.»

HANS STÖCKLI
Sur les ondes de Canal3, le conseiller aux Etats et ancien maire de Bienne s’est dit déçu d’un tel résultat «qu’on n’avait pas vu venir, un peu comme cela s’est passé avec le Brexit». A ses yeux, cette élection aura des conséquences à moyen terme jusqu’en Europe «où les forces populistes de droite sont toujours plus marquées» et qui peuvent désormais s’appuyer sur une figure emblématique importante, en la personne du président des Etats-Unis.

Pour Hans Stöckli, les politiques doivent mieux prendre en compte les besoins de tous ceux qui se sentent lésés par la globalisation. D’où «l’importance que chacun ait une place de travail sûre et dispose d’un revenu garanti». Sur le plan économique, il constate que face aux risques de la politique protectionniste promise par Trump, les entreprises devront se montrer encore plus performantes pour s’imposer face à la concurrence.

Plus généralement, il considère que l’élection de Trump est un véritable tremblement de terre politique, à l’image de l’élection de Ronald Reagan, dans les années 80. C’est la raison pour laquelle les milieux qui s’opposent à ce populisme simpliste doivent davantage travailler ensemble pour y faire front.

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