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En pleine cible (3)

La famille Gobet, un véritable tir groupé

Authentique institution à Plagne, la section de tir compte une vingtaine d’adeptes de la gâchette. Dont quatre vivent sous le même toit. Cette pratique est pour eux une occasion de passer de bons moments.

Patrick Gobet pose devant sa vitrine bien remplie. Et notamment de médailles de tous les cantons, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Photo Stefan Leimer

Dan Steiner

Patrick est tireur. Isabelle est tireuse. Cyril est tireur. Quentin est tireur. En 1986, le premier est touché en plein cœur par la seconde. En 1995 et 1998 naissent les deux derniers. Vingt ans plus tard, ou presque, la famille Gobet est en pleins préparatifs pour la Fête cantonale de tir, manifestation qui fera halte dans leur fief de Plagne, du 16 juin au 2 juillet, dans le cadre du 40e Tir cantonal bernois.

Une fois passé le pas de la porte, aucun doute n’est d’ailleurs permis. C’est chez eux que trône fièrement la bannière de la section du village, arborant bien entendu les trois chaudrons jaunes et rouges et flanquée d’une année: 1962. Oh, un millésime comme un autre, au milieu des 145ans d’histoire de la société dont c’était le week-end passé l’assemblée générale.

«Il va gentiment falloir la remplacer», concède Patrick Gobet, pointant du doigt quelques marques d’usure sur le drapeau. «Normal, on l’emporte à chaque sortie», reprend Cyril, l’aîné des tireurs en herbe. La bannière, une marque forte d’appartenance dans le monde du tir sportif. «Quand elle est fixée à une table, personne d’une autre section ne s’assoit au bout», sourient-ils.

Une grande famille
On défend ses couleurs, on se chambre, mais on célèbre ensemble la troisième mi-temps – oui, on l’appelle aussi comme cela. C’est ça, l’esprit du tir. Avec ses études de physio en Valais, Cyril, 21ans, a moins de temps pour s’adonner à cette passion familiale. «Plus que le côté sportif, c’est l’ambiance qui me manque. Les tireurs forment une grande famille. On apprécie de se retrouver. Ce sont ces contacts qui sont enrichissants.»

Et son père d’acquiescer: «Il est fini le temps où un entraînement se terminait avec un bout de pain, de fromage et un cervelas. Chaque mercredi, on partage un bon verre, un bon repas.» Dans les limites du raisonnable, précise-t-il. Même le «Zouzou», alias Edouard Grosjean, est encore actif dans la société, du haut de ses 91ans. «Il vient volontiers sentir la poudre et boire un verre avec les copains», rigole le paternel, acheteur pour une entreprise d’Orvin active dans la machine-outils.

Le côté sportif n’est de loin pas oublié. Une bonne partie de «l’après-tir» est d’ailleurs consacrée à la comparaison des résultats de chacun. «Mais on est content quand les jeunes passent devant le papa...», commence ce dernier. «...Ou la maman», s’empresse de faire remarquer Isabelle. La progéniture a beau être talentueuse, la vieille garde a toujours l’œil vif.

Le père n’est-il pas le seul tireur du Jura bernois, avec le Tramelot Jean Bögli, à posséder la médaille dorée du Prix Feller? Soit un score maximum de 72 lors d’un tir en campagne effectué auprès d’une société membre de l’Association bernoise sportive de tir. On pourrait également mentionner un «Tour de Suisse» des médailles, ce qui n’est pas donné à tout le monde (voir ci-dessous).

Nés dans un stand de tir
Mais sa fierté, c’est désormais son équipe: les jeunes tireurs. Membre du comité d’organisation de l’éphémère Tir cantonal de juin, Patrick Gobet est également responsable permanent de la relève régionale, auprès de l’AJBST, l’Association jurassienne bernoise sportive de tir.
Une jeune génération, toute aussi dorée que certaines médailles de maîtrise, dont fait justement partie son plus jeune fils Quentin. En 2014, lui et deux copains – Quentin Benoit et Valentin Villoz – se sont d’ailleurs emparés du titre national, catégorie 10 à 16 ans au fusil à 300m. Sans parler de leurs performances aux fêtes de Tir cantonal. «On a fait peur aux Oberlandais en pointant le bout de notre nez», rigole l’entraîneur.

S’il avoue pousser les jeunes à tirer très tôt, aucun de ses deux fils n’a toutefois été forcé de s’y mettre. «Ils sont quand même nés au stand», sourit la maman, architecte indépendante. «C’est vrai qu’on a toujours été ‹dedans›», admet Quentin, bientôt 19 ans. «Non, j’ai essayé vers les neuf ou dixans et cela m’a plu.»

Concentration, calme et précision, c’est donc ce qui l’a mené vers l’horlogerie? «Même pas», rétorque celui qui était plutôt destiné à un métier du bois. Et son frère?  «J’ai commencé à dixans à Orvin, l’âge légal pour le petit calibre. Je l’aurais fait plus tôt si j’avais pu», lâche-t-il, la fleur au fusil.

La médaille et les médailles
Quand vient le temps de mettre sur pieds un Tir cantonal, une foultitude de questions se posent aux organisateurs. Dont celles des distinctions: quel design choisira-t-on pour la médaille de maîtrise? La même que lors du précédent raout?  Histoire de défendre l’identité du Jura bernois, le comité a logiquement pris le parti du changement. Et c’est à Quentin Gobet qu’est revenu l’honneur d’en esquisser les contours.

Si le revers reste du ressort de l’Association cantonale bernoise et arbore son logo, sa face – après moult adaptations – fait la part belle aux emblèmes de nos contrées: l’antenne du Chasseral et la Tour de Moron trônent fièrement sur un arrière-fond représentant la silhouette du Jurabernois. «Naturellement, j’ai cherché quelque chose qui rappelle l’histoire de la région», explique son jeune designer. Trois tireurs, campés en positions couchée, agenouillée et debout, complètent son œuvre. Ne reste qu’à y apposer le nom de ses lauréats. Pourquoi pas... Gobet?

En parlant de médailles, le papa Patrick a également fait fort depuis le début de sa carrière. Comme quelques autres fins tireurs de ce coin de pays, il s’est mis un point d’honneur à compléter un «Tour de Suisse». Comprenez par là décrocher une maîtrise dans chaque fête cantonale. Lui a choisi deux positions, couché et à genoux, et a démarré son périple en Argovie, en 1980, pour l’achever en Thurgovie en 1998.

«J’avoue qu’il faut pas mal de chance pour en faire le tour en seulement 18 ans», juge la fine gâchette de 53ans. «En moyenne, il faut compter 25ans.» Un quart de siècle, c’est par exemple la période qui s’écoule entre deux fêtes dans le canton de Genève. Vous avez ainsi intérêt à ne pas manquer la médaille pour deux points. Patrick Gobet n’a pas tremblé.

Sa femme et ses fils s’y sont mis aussi, mais n’en font pas une obsession. Isabelle, fouillant dans une boîte à trophées, en compte une petite dizaine. Cyril, «quatre ou cinq, mais ce n’est pas un but en soi». Se mettre la pression, le meilleur moyen d’avoir le bras qui tremble.

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