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Lecteur-reporter

De Fos-sur-Mer à New York en cargo

Voyage en mer dans un univers plutôt méconnu des terrestres

Notre lecteur-reporter Antoine Rubin a embarqué sur un cargo long de 280 mètres qui l’emmène à New York. Tel un intrus, il rejoint la routine de la vingtaine de marins qui travaillent sur le bateau. Photo: Antoine Rubin

Contexte:
Antoine Rubin, écrivain biennois et aussi diplômé d’anthropologie culturelle et sociale, a reçu une bourse de séjour pour artistes du canton de Berne. Il a rejoint New York à bord d’un cargo et nous livre ses observations sur cet univers méconnu des terrestres.  Premier épisode: la préparation du voyage.

Antoine Rubin

«Vous ne sentez pas? Il pique l’air ici»: c’est la conductrice du taxi qui parle. Au-dessus des marais salants que nous longeons, un horizon de cuves, de torchères et de pipe-lines de raffineries se dresse face à nous. Nous sommes à Fos-sur-Mer au Sud de la France. C’est le beau milieu de l’été. Il fait grand beau. La Méditerranée est là, mais Fos n’est pas vraiment une destination prisée, alors qu’à quelques encablures se trouve Marseille, et plus proche encore, la Côte bleue avec ses villages pittoresques remplis de touristes et de célébrités. J’étais le seul à descendre du train dans la petite gare éloignée, seul encore au petit-déjeuner de l’hôtel un peu décrépit que j’ai trouvé dans le centre historique, mangeant les tartines du gérant qui m’avait oublié, trop surpris de me voir ici alors que «c’est plutôt calme d’habitude pendant les grandes vacances à part quelques ouvriers qui logent à la semaine».

Destination New York
Tout avait été pourtant construit pour accueillir l’industrie du tourisme balnéaire, mais il fallait comprendre que les habitants du coin désertaient leurs maisons, l’été venu, quand je me retrouvai à nouveau seul, le soir sur la plage, en regardant le paysage industriel qui compose le plus grand complexe portuaire de France. Je n’ai pas eu envie de me baigner. C’est vrai, il y a quelque chose qui pique dans l’air ici.

Le taxi m’emmène au terminal des porte-containers. J’embarque sur un cargo à destination de New York. Nous roulons un certain temps au travers d’un dédale d’entrepôts, de murs de containers aux couleurs délavées et de grillages. Des camions chargés à mort nous dépassent, d’autres délestés de leurs marchandises nous croisent en sens inverse. Mon bateau est arrivé il y a quelques heures. Le ballet du déchargement a commencé. Au loin, des chapelets de grues.

Après un temps, nous arrivons devant une casemate de sécurité. Il faut que je m’annonce, passeport à la main. L’homme derrière l’ordinateur pianote mon nom et me dit, sans autre forme de contrôle, que je peux y aller. La barrière fait place nette et alors c’est un gros monde qui s’ouvre. Un monde méconnu des terrestres, mais gargantuesque et ravageur. Voici les artères du commerce mondial. Il y a de bonnes chances pour que la majeure partie des objets autour de vous aient été transportés dans les containers que mon bateau transporte à son tour.

Enfin, je vois les bateaux qui apparaissent. Nous bordons le quai et passons plusieurs navires en nous faufilant sous les grues énormes. Les cargos ressemblent à des barres d’immeubles couchés. Le mien est là. Il s’appelle le «CMA CGM Coral» tracé en lettres blanches. Il fait 280 mètres de long. L’échelle humaine est insignifiante ici.

Un intrus à bord
A ce stade du récit, on se demandera peut-être comment j’ai pu accéder à cet univers. Le temps où l’on s’embarquait sur un cargo pour travailler en échange de la traversée est révolu et relève aujourd’hui du mythe. Pour celles et ceux qui désirent voyager de la sorte, il existe désormais des agences de voyage spécialisées. Je suis passé par l’une d’entre elles: «Globoship», basée à Berne. Cela ne veut pas dire pour autant que j’ai signé pour un circuit organisé où tout est fait pour accommoder le chaland. Il faut comprendre qu’en tant que passager, vous êtes une sorte d’intrus qui s’en va rejoindre un univers marchand essentiellement tourné vers le travail et le profit. Les dates de départ et d’arrivée sont approximatives. Vous pouvez vous retrouver à attendre plusieurs jours un bateau qui a subi une avarie. Parfois même, votre port d’embarquement peut «sauter» pour des raisons économiques et alors il vous faudra vous débrouiller par vos propres moyens pour rejoindre la prochaine escale. Et si vous n’êtes pas à l’heure, le bateau ne vous attendra pas.

J’ai également dû signer plusieurs décharges de responsabilité et présenter un certificat attestant de ma bonne santé. Il n’y a pas de médecin à bord. Une fois en mer, vous êtes en quelque sorte livré à vous-même. Enfin, il est nécessaire de s’adapter au rythme quotidien sans prendre trop de place. Et surtout, de strictement respecter les règles. Telles sont les mises en garde énoncées par la compagnie avant le départ.

La contrepartie de ces «désagréments» se retrouve dans la sensation de participer à une aventure hors norme. A titre personnel, je pense même que le voyage se doit d’être quelque chose qui n’est pas trop facile. Pour avoir déjà pris plusieurs cargos par le passé, je sais qu’en retour je ferai partie de la routine de la vingtaine de marins qui y travaillent. On ne sait jamais sur quel type d’équipage on va tomber, mais avec un peu de chance, une camaraderie pourra se dessiner, avec cette sensation d’avoir été admis dans un cercle fermé. Une bière le soir suivie d’une ribambelle de questions, curiosité franche pour ce qui viendra divertir de la monotonie des jours, ou alors de longues histoires racontées par l’officier de quart, après avoir été admis au poste de commandement, pendant que la mer se déroule sous les yeux, interminablement.

L’air du large
Me voilà au pied du bateau. Je hisse mon sac de montagne, et soulève ma valise-bibliothèque, pleine des livres que j’emporte pour ces six prochains mois. Je grimpe la coupée toute bringuebalante. A bord, c’est l’agitation des opérations portuaires. Très rapidement, je passe de main en main: du marin qui surveille l’entrée au premier officier qui se présente brièvement. «Nous nous parlerons plus tard».

Puis c’est le «messman» qui me prend en charge, l’homme à tout faire question service et nettoyage, tout en bas de la hiérarchie sociale. Je sais d’expérience que ce sera mon informateur privilégié, celui qui sait tout ce qui se trame à bord. Pour l’instant, il me laisse à ma cabine, le temps d’atterrir. Je fais connaissance: un simple hublot avec vue sur les containers, un lit une place, une banquette et un bureau. Ensuite, c’est le grand calme, entrecoupé quand même des fracas métalliques des containers que l’on charge au plus rapide.  Quelques heures plus tard le moteur du cargo se met en marche. Tout commence à trembler dans un bourdonnement continu qui ne me quittera plus jusqu’à mon arrivée. New York dans 13 jours. Mais voici que l’on quitte le port.

Et bientôt l’air piquant de Fos-sur-Mer se fait balayer par celui du large.

 

L’espoir d’un nouveau rivage:
New York Je pars vivre à New York pour six mois. J’ai la chance et l’honneur d’être lauréat de la bourse de séjour pour artistes du canton de Berne. Six mois pour travailler, sans devoir jongler entre les petits boulots et repousser à plus tard les projets d’écriture.

Pour ce périple qui s’annonce, il me paraît opportun de suivre la voie empruntée par les émigrants européens qui s’étaient embarqués pour l’Amérique au cours des siècles précédents. De rejouer la traversée. Lors de mes recherches préparatoires, j’ai trouvé des registres entiers consignant les noms et les origines de ces personnes qui quittaient la vieille, pauvre et sale Europe pour l’espoir d’un nouveau rivage. Parmi d’autres, des noms et des lieux qui sont familiers  les Chatelain de Tramelan, les Droz de Renan, les Guinan de La Chaux-de-Fonds, les Liengme de Cormoret, les Stramm de Sonvilier, … Et peut-être un Rubin de Saint-Imier. C’est qu’il y a aussi l’histoire de cet arrière grand-oncle, presque une légende, qui au début du XXème siècle, dérobe la caisse de l’entreprise familiale avant de plier bagage pour les Etats-Unis. Avec dans sa valise, probablement quelques rêves de grandeur. J’attends d’ailleurs impatiemment la visite d’Ellis Island, la porte d’entrée de l’immigration aux Etats-Unis entre 1892 et 1954, pour espérer retrouver sa trace. C’est donc décidé: je traverserai par les mers et m’embarquerai à mon tour sur un bateau.

Prendre le temps Si aujourd’hui la comparaison entre ces deux voyages n’a pas lieu d’être, j’ai au moins envie de prendre le temps. Esquiver l’immédiateté d’un avion, retrouver de la lenteur dans le déplacement, est une idée qui fait son chemin. Preuve en est la motivation des deux autres passagers que je découvrirai sur mon navire, et par là même, l’augmentation considérable de la présence de voyageurs sur les cargos de commerce. Pour ma part, il me paraît surtout important de mesurer la distance entre ce que l’on quitte pour ce que l’on va rencontrer. Avec au milieu, l’immensité d’un océan.

Commentaires

melanie_rubin-bluewin.ch

Très bel article, même si cet univers n'est pas des plus séduisants.


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