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No Billag

Un oui? Un tsunami!

Pour les participants au débat d’hier soir à Tramelan, la suppression de la redevance qu’exige l’initiative serait une catastrophe pour la SSR, mais aussi pour les télévisions et les radios régionales.

Les participants ont prêché devant un parterre de convaincus (de g. à dr.): Patrick Linder, Sophie Hostettler, Joël Pauli, Manon Pierrehumbert, Marc-Henri Jobin, Pierre Steulet, Muriel Waeger et Patrick Tanner. Photo: Stéphane Gerber
  • Dossier

par Michael Bassin et Philippe Oudot

L’avenir des médias électroniques était au cœur du débat public organisé hier soir à Tramelan par le comité régional non à No Billag. Un débat qui s’est déroulé en présence d’une bonne trentaine de personnes. Le comité aurait souhaité y inviter un partisan de l’initiative, «mais nous n’avons trouvé personne», a déploré son coprésident Pierre-Yves Moeschler, en guise d’introduction.

Pour débattre, ledit comité avait convié sept personnalités de la région: Sophie Hostettler, directrice des programmes de TeleBielingue, Manon Pierrehumbert, musicienne et membre du Forum Culture, Patrick Linder, directeur de la CEP, Joël Pauli, président du Forum TeleBielingue, Pierre Steulet, directeur de BNJ (RJB, RFJ, RTN, et Griff), Muriel Waeger, vice-présidente de la jeunesse socialiste suisse, et Patrick Tanner, maire de Saint-Imier. Les débats étaient animés par Marc-Henri Jobin – enfant de Valbirse – directeur du Centre de formation au journalisme et aux médias.

Une manne de 1,37 milliard
Avant de lancer le débat, Marc-Henri Jobin a rappelé qu’en cas de oui, la suppression de la redevance prendrait effet au 1er janvier 2019. Or, celle-ci s’élève à 1,37milliard de francs, dont la part du lion – 1,24 milliard – revient à la SSR. Une somme qui représente 75% de son budget. «Pouvoir compenser trois-quarts de son budget en neuf mois, c’est tout simplement impossible», a-t-il observé. Quant aux radios et télévisions locales et régionales, elles touchent 67,5mios de francs, soit 4,9% du montant total de la redevance.

Une part qui est certes modeste, mais déterminante, a assuré Sophie Hostettler, puisqu’elle couvre 60%du budget de TeleBielingue dont les coûts de production en deux langues sont forcément plus élevés qu’ils ne le seraient dans une seule. Du côté de BNJ, Pierre Steulet a estimé la part de la redevance à 30% du budget de ses radios. «Mais c’est une moyenne. En fait, ce serait plutôt 60%pour RJB, 25% pour RTN, et 30%pour RFJ.»

Mais sans redevance, TeleBielingue ne pourrait-elle pas trouver son bonheur auprès des entreprises de la région? «Non, car notre bassin de diffusion est trop petit, et les grandes sociétés ne font pas de pub sur les canaux régionaux. Il nous faudrait au moins 500nouveaux clients pour compenser la perte de la redevance. C’est impensable!»

S’il ne prévoit pas de mettre la clé sous le paillasson en cas de oui le 4mars, Pierre Steulet a toutefois assuré que «ce serait un véritable tsunami et qu’il est impossible de dire ce qu’il adviendrait.» Tout au plus imagine-t-il une seule radio au lieu de trois pour l’Arc jurassien, avec des auditeurs forcément insatisfaits. Et, comme corollaire le cas échéant, la suppression de nombreux postes de journalistes.

Une catastrophe
Par ailleurs, a-t-il ajouté, No Billag prévoit la mise aux enchères des concessions. Le risque, c’est qu’une grosse radio comme NRJachète ces concessions et ne passe que de la musique, négligeant totalement l’info. «Ce serait une catastrophe!», a asséné Pierre Steulet.

S’adressant à Patrick Linder, Marc-Henri Jobin a demandé si l’économie régionale pourrait se passer des médias électroniques régionaux. Certainement pas, a noté le directeur de la CEP, pour qui ce regard régional est très important pour les PME et le tissu économique.

Mais les entreprises ne pourraient-elles pas pallier la perte de la redevance en cas de oui? Certainement pas, a constaté Joël Pauli, car elles n’achètent des espaces pub que si elles y trouvent un intérêt. Or, sans redevance, les programmes seraient moins bons, donc moins suivis, donc moins intéressants pour les entreprises. «Ce seraient plutôt les chaînes étrangères qui en profiteraient, elles qui absorbent déjà la moitié de la publicité télévisée du pays.» De surcroît, a ajouté Sophie Hostettler, «c’est l’info qui coûte le plus cher. Or, la loi nous interdit de faire sponsoriser l’information!»

Une aide fédérale?
Et les pouvoirs publics, seraient-ils prêts à mettre la main au porte-monnaie en cas de oui? Patrick Tanner imagine tout au plus une aide ponctuelle, mais «impensable pour des communes de mettre sous perfusion des médias dans la durée. Il y aurait aussi risque de distorsion de concurrence. Le cas échéant, il faudrait une aide fédérale.» Abondant dans le même sens, Joël Pauli a constaté qu’au sein du Forum TeleBielingue, les communes membres faisaient partie des mauvais payeurs...

S’agissant des acteurs culturels, Manon Pierrehumbert a mis en évidence le rôle essentiel du service public en citant quelques chiffres:la SSR coproduit 100 films par an, diffuse 500concerts et a versé 56mios de droits d’auteurs en 2016 – 15,3mios pour les diffuseurs régionaux. «C’est grâce à cette caisse de résonance que les artistes peuvent se faire connaître du public.»

PHO

 

Pierre Alain Schnegg: «La diversité de la presse est un bien capital»
Rejet: Le conseiller d’Etat Pierre Alain Schnegg (UDC) a été convié à s’exprimer en préambule de la table ronde. A l’image de ses collègues du Gouvernement, l’élu de Champoz a invité les électeurs à rejeter l’initiative. «Pour le Conseil exécutif, la diversité de la presse est un bien capital», a-t-il dit, estimant qu’un oui le 4mars obligerait moult médias à mettre la clé sous la porte.

Pouvoir: Pierre Alain Schnegg a insisté sur le rôle fondamental des médias, quand bien même chaque individu entretient une relation ambivalente avec eux. «Tantôt les médias nous inspirent, tantôt ils nous énervent. Mais c’est un pouvoir essentiel, car il est aussi garant de la démocratie», a-t-il souligné. Et d’ajouter que, paradoxalement, ce quatrième pouvoir «traverse la plus grande crise de son existence».

Cohésion: Pierre Alain Schnegg a mis en évidence le fait que la SSR diffuse dans les quatre langues nationales. «La SSR est capitale pour la cohésion, elle constitue une courroie entre les régions.»

Région: Si la redevance est indispensable pour la SSR, elle l’est également pour les télévisions et radios régionales, «qui jouent un rôle tout aussi crucial dans la vie sociale, politique, culturelle et sportive». Et le conseiller d’Etat de relever que notre coin de pays ne dispose pas d’un bassin publicitaire suffisant pour que les médias audiovisuels régionaux puissent se passer de cette manne publique. En conclusion, Pierre Alain Schnegg a affirmé que le prix de la redevance est aussi le prix de la qualité du débat démocratique et de la cohésion nationale. «Sans information, une région s’éteint!»

MBA

 

Et si on partageait le gâteau avec la presse écrite?
Pour Patrick Tanner, le public consomme de manière très différente les médias par rapport à ces dernières années. On ne s’arrête plus un long moment pour consulter son journal ou sa télévision: quand on a cinq ou dix minutes, on jette un coup d’œil à son smartphone pour s’informer en ligne. Par ailleurs, a poursuivi le maire de Saint-Imier, l’initiative No Billag ne constitue qu’une première vague. Aujourd’hui en effet, on assiste déjà à une cannibalisation du monde médiatique, avec toujours moins d’acteurs, qui sont toujours plus gros. Dans ce contexte, «il faut se demander dans quelle mesure la presse écrite régionale pourrait, elle aussi, toucher une petite part du gâteau de la redevance», sous peine de disparaître.

Ainsi, les discussions ont porté durant quelques minutes sur la nécessité et/ou la pertinence d’un soutien à la presse écrite. Marc-Henri Jobin a notamment demandé à Pierre Steulet, le boss des radios régionales, si les bénéficiaires actuels de la redevance seraient prêts à partager la manne avec la presse écrite. «Partager avec tous les quotidiens serait impossible et invraisemblable. Que de grands groupes tels que Tamedia aient les contraintes imposées aux médias touchant la redevance est impossible à imaginer», a-t-il répondu. «En revanche, qu’il y ait des discussions avec les plus petits quotidiens comme Le Journal du Jura ou le Quotidien jurassien, pourquoi pas. Mais c’est aux politiciens de répondre à cette question», a-t-il ajouté. Cela dit, Pierre Steulet juge qu’une redistribution d’une partie de la redevance aux quotidiens régionaux changerait aussi la donne pour ces derniers, qui auraient un mandat de prestation à remplir. «Ce seraient des contraintes auxquelles ils ne sont pas habitués. Il ne serait par ailleurs plus possible d’être un journal d’opinion.»

MBA

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