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Littérature

"Ce roman, je l'ai écrit 20 fois"

Elisa Shua Dusapin vient de publier «Les billes du pachinko», un deuxième roman qui évoque les relations familiales et les hiatus de communication.

Photo Keystone

Marjorie Spart

Elisa Shua Dusapin est en proie à des sentiments contradictoires au moment de la sortie de son deuxième roman. Elle navigue entre exaltation, inquiétude et soulagement. Un carrousel émotionnel induit en partie par son livre qui, dit-elle, lui a échappé. «Au début, j’avais une idée claire de ce que je voulais raconter. Mais mon inconscient a pris le dessus. A tel point que la narratrice est partie dans une errance dont j’ignorais la destination», avoue la jeune femme de 26ans.

Elisa Shua Dusapin est catégorique: «Ce roman ne correspond pas du tout à ce que j’avais imaginé.» A l’origine, l’auteure jurassienne désirait évoquer le pachinko, un jeu de hasard japonais, situé entre le flipper et la machine à sous, souvent en mains mafieuses, et une femme sandwich dont le rôle est d’attirer les clients. «Je tenais à relater certaines scènes et des impressions très fortes. Mais je ne me sentais aucune légitimité à me pencher sur le Japon.» Un pays qu’elle connaît pourtant bien puisqu’elle se rend chaque année à Tokyo.

Décalage du lien
Pour prendre de la distance et coller davantage à sa propre histoire, Elisa Shua Dusapin a conféré la nationalité suisse à sa narratrice, Claire. Celle-ci se rend au Japon, où vivent ses grands-parents, pour retourner avec eux en Corée, le pays qu’ils ont dû fuir 50 ans auparavant et dans lequel ils ne sont jamais retournés.

Dans ce roman épuré où chaque mot est soupesé, les relations entre les protagonistes sont décalées. «Ce sentiment est provoqué par le malaise insufflé par l’inadéquation entre la langue parlée et le lieu», souffle l’auteure. Peu de personnages s’expriment effectivement dans leur langue maternelle. «Cela crée un décalage du lien entre les gens et un blocage dans la communication», poursuit Elisa Shua Dusapin. Ce qui complique encore les relations familiale entre Claire et ses aïeux. Les personnages peinent à se rejoidre complètement, dans la parole et dans les gestes.

Travail exigeant
Evoquant son processus d’écriture, Elisa Shua Dusapin avoue ne pas compter son temps. «Je passe des milliers d’heures sur mes textes. Ce roman, je l’ai écrit 20 fois! Cela me coûte d’écrire mais me permet de me confronter à moi-même.» La jeune femme est habitée par la hantise d’en dire trop et de tomber dans le bavardage gratuit. Elle ne garde donc que des textes courts – 140 pages pour ce deuxième roman. «Aller à l’essentiel m’oblige à la rigueur et me permet d’assumer l’entier de ce que je publie.»

Exigeante avec elle-même et rigoureuse dans son travail, l’écrivaine a besoin de se plonger entièrement dans ses textes pour avancer. «L’écriture me rend totalement indisponible. A tel point que je ne consulte même pas mes emails!» Cette immersion est épuisante mais nécessaire pour toucher au but. Elisa Shua Dusapin a terminé «Les billes du pachinko» lors d’une résidence de six mois à New York. Un cadre solitaire qui lui a permis de se focaliser sur son récit.

Pour l’heure, l’auteure se concentre sur la promotion de son roman. Mais l’idée d’un troisième livre a déjà fait son nid au fond d’elle. Le sujet? Trop tôt pour en dévoiler les contours. Mais comme ses précédents écrits, il l’accompagnera durant de longs mois avant d’éclore et de nous bousculer par sa densité.

faits et gestes

Parcours Elisa Shua Dusapin est née en 1992, d’un père français et d’une mère coréenne. Elle a grandi dans le Jura. En 2014, elle obtient un bachelor en écriture de l’Institut littéraire de Bienne.
Bibliographie Elle publie «Hiver à Sokcho» (Ed. Zoé) en 2016. Un premier roman pour lequel elle reçoit de nombreux prix littéraires, notamment le Prix Robert Walser.
«Les billes du Pachinko» (Ed. Zoé) est disponible depuis hier en librairie.

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