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Baoshida Swissmetal

«Des faits, pas des théories!»

André Rezzonico, président du conseil d’administration de Swiss Team, croit fermement au redémarrage de l’entreprise, en sursis concordataire. Il a expliqué sa stratégie et ses objectifs au JdJ.

André Rezzonico (à dr.), et Claudio Penna espèrent bien que la banque chinoise cède ses gages et permettent le sauvetage de l’entreprise.

Texte Philippe Oudot  / Photo Susanne Goldschmid

 

Rappel des faits

Mercredi, Swiss Team annonçait que son offre de rachat dépendait de la levée des gages que la China Development Bank (CDB) avait reçus de l’ancien administrateur Xingjun Shang. Le point avec André Rezzonico, président de Swiss Team, CEO et président du groupe industriel Lemco Précision SA (spécialiste du décolletage de précision et 1er client de Baoshida Swissmetal), et Claudio Penna, CEOde Baoshida Swissmetal.

 

André Rezzonico, depuis la publication de votre communiqué, mercredi soir, avez-vous des nouvelles de la CDB?
A. R.: Non, aucune.

Vous avez fait transmettre votre communiqué aux services du conseiller fédéral Ueli Maurer, actuellement en Chine. Espérez-vous qu’il puisse intervenir en haut lieu pour inciter la CDB à revoir sa position?
A. R.: C’est un des objectifs. Si on veut sauver cette entreprise, il faut que la Suisse parle d’une seule voix, également du côté de la politique. Je sais que le message lui a été transmis.

Si la CDBrefuse de lever ses gages, le juge devra sans doute prononcer la faillite. Que feriez-vous, le cas échéant?
A. R.:
C’est en effet une probabilité, mais il pourrait y avoir aussi un autre scénario – une faillite avec poursuite provisoire d’exploitation. En tant qu’industriel, mon souci, ce sont les clients et le personnel. Un tel scénario serait certes possible, mais pas idéal.

Si la CDB lève ses gages et que le juge donne son accord à votre offre de reprise, quelles seront les premières mesures que vous mettrez en place?
A. R.:
D’abord, rencontrer le personnel pour regagner sa confiance, car depuis une vingtaine d’années, il vit une situation difficile au niveau de la relation actionnariat-employés. Ensuite, il faudra aussi restaurer la confiance sur les marchés en allant rencontrer les clients.

Quel sera le nom de la nouvelle société?
A. R.:
Swissmetal SA, tout simplement. Si vous allez aujourd’hui chez Airbus ou Boeing, vous avez du Swissmetal dans les spécifications. Changer de nom serait une erreur.

Vous êtes l’actionnaire principal et président du conseil d’administration de Swiss Team. Qui sont vos partenaires?
A. R.:
J’ai deux associés:Pierre Steiger, ami de longue date et ancien banquier, aujourd’hui à la retraite. Il est à mes côtés dans le groupe Lemco Précision SA depuis que je l’ai repris, en 1995. Quant à Guy Semmens, il a fondé Gyrus Capital SA, société d’investissement pour financer et accompagner des entreprises de taille moyenne dans le cadre de leur croissance à long terme. Je travaille aussi avec lui depuis 20ans. Actionnaires minoritaires, ils n’auront pas de rôle opérationnel dans la nouvelle société.

Qu’est-ce qui vous motive à reprendre une entreprise qui était certes un fleuron industriel, mais qui se débat dans les chiffres rouges depuis de longues années?
A. R.:
Mes partenaires et moi partageons la même philosophie, à savoir une vision industrielle à long terme. Nous ne nous engageons pas pour prendre des dividendes, en tout cas pas avant très longtemps – nous ne sommes pas à la Bourse! Notre ambition est de relever cette entreprise, qui reste un fleuron industriel, mais souffre d’un important déficit d’investissement dans l’outil de production. En six ans, Baoshida Swissmetal n’a quasi rien investi, sans doute guère plus d’un demi-million. Il faudra de la patience.

Votre projet est pour le moins ambitieux…
A. R.:
Sans doute, mais s’il a convaincu le juge, le commissaire au sursis et deux banques commerciales suisses prêtes à en assurer le financement, c’est que notre projet est solide et nos plans d’investissement bien établis. Certes, rien n’est jamais acquis pour toujours, mais avec la qualité de produits et l’équipe en place, j’ai confiance. Et je vous parle en connaissance de cause, car j’ai des centaines de machines qui usinent tous les jours des alliages Swissmetal.

Justement, quelles seront vos priorités en termes d’investissements?
A. R.:
Nous avons établi une planification solide, avec des engagements de l’ordre de 3,5mios de francs par an d’ici à 2023. Je parle ici aussi bien d’investissements de croissance que de remplacement. Dans ce contexte, nous avons sécurisé nos besoins de financement. C’est aussi comme cela, en montrant comment nous allons investir, que nous pourrons restaurer la confiance, tant du personnel que des clients. Et celle-ci se regagne par des faits, pas par des théories!

Mais le temps presse…
A. R.:
En effet, et il est essentiel que l’entreprise puisse repartir rapidement, car le plus important est de pouvoir satisfaire les clients et éviter qu’ils aillent voir ailleurs. D’où mon intervention dans les médias et auprès des instances politiques. Reste à convaincre la CDB… Mais je crois ses dirigeants suffisamment réalistes pour comprendre qu’économiquement, ils ont intérêt à jouer le jeu et, pourquoi pas, à s’asseoir autour d’une table. Aterme, elle pourrait faire des affaires avec nous, par exemple en finançant des projets en Chine dans le futur…

Claudio Penna, comment vos cadres et le personnel ont-ils réagi en apprenant l’offre de Swiss Team?
C. P:
Avec une certaine attente, de l’espoir et de la solidarité. Malgré la situation difficile, l’équipe travaille bien, et la perspective d’une reprise par des investisseurs suisses est perçue de manière très positive. D’autant que les plans d’investissements sont solides et que Lemco, qui est derrière cette reprise, est un de nos plus gros clients. C’est rassurant.
A. R.: Claudio Penna a beaucoup de mérite, car il a remonté une équipe de cadres pluridisciplinaire compétente. Preuve en est que malgré tous les problèmes, l’entreprise a fait un meilleur chiffre d’affaires l’an dernier qu’en 2017. Aujourd’hui, la qualité des produits est là. Je peux vous dire qu’en tant qu’utilisateur qui fait du décolletage à haute vitesse, Swissmetal produit les meilleurs cuivreux pour l’aéronautique. La constance des grains, la granulométrie de ses alliages est tout simplement la meilleure au monde. La qualité est là, dans la connectique, mais aussi dans les générateurs ou l’architecture. 

Après la 2e grève de 2006, une offre de rachat de repreneurs suisses avait été faite au conseil d’administration de Swissmetal pour le site de Reconvilier. En faisiez-vous déjà partie?
A. R.:
Non.

Et en 2011, lorsque Swissmetal Industries SA était en sursis concordataire?
A. R.:
Non plus.

Baoshida Swissmetal compte deux sites, à Reconvilier et à Dornach, qui ont chacun leurs spécificités. ADornach, l’entreprise a un contrat de location  pour les bâtiments et les terrains, jusqu’à l’horizon 2024-2026. Entendez-vous maintenir toutes les activités?
A. R.:
Oui, je l’ai dit et le répète très clairement: si notre offre aboutit, Swiss Team reprend tout le personnel et toutes les activités des deux sites. L’objectif stratégique est de rapatrier toutes les activités à Reconvilier, probablement à l’horizon 2024-2025. Cela nous laisse le temps de nous organiser et de faire les choses intelligemment. Ala direction, ensuite, de poursuivre le développement de l’entreprise, des marchés, et de continuer d’innover.
C. P.: Ce délai de 2024-2026 nous laisse un peu de temps pour établir un business plan cohérent, en phase avec les objectifs stratégiques à long terme. Dans notre domaine d’activités, les investissements se font en effet sur une très longue durée, avec un horizon-temps de 20 ou 30 ans. On ne change pas de cap tous les six mois!

Si vous rapatriez toutes les activités à Reconvilier, avez-vous l’espace suffisant pour le faire?
A. R.:
Oui. Il y aura sans doute quelques modifications à faire, mais nous avons suffisamment de place dans les deux bâtiments. Et il y a encore un terrain de réserve devant l’usine2.
C. P.: Ce qui me donne confiance, c’est aussi d’avoir un plan solide à moyen et long terme. Cela permet de définir des infrastructures qui ont du sens et de faire les choix pertinents – ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé…

Jusqu’à présent, l’entreprise était signataire de la convention collective de la branche. Le restera-t-elle, comme le réclame le syndicat Unia?
A. R.:
Oui, nous allons continuer à l’appliquer, comme aujourd’hui.

Vous voulez redonner son lustre à ce fleuron industriel qu’était Swissmetal. L’est-il encore?
A. R.:
Vous savez, s’il n’y avait pas cette qualité des produits et des processus, l’entreprise n’aurait jamais traversé toutes ces crises. Il faudra du temps pour retrouver ce lustre, mais je suis prêt et on fera tout pour y arriver, en termes de produits et d’innovation. Car vu sa taille, Swissmetal peut beaucoup mieux se développer sur des marchés de niche à forte valeur ajoutée que les gros acteurs.

Reconvilier était reconnu pour ses compétences dans la fabrication des pointes de stylo. Qu’en est-il aujourd’hui?
C. P.:
Le marché a évolué et une bonne partie de la production s’est déplacée en Inde. Nous avons toujours ce produit dans notre portfolio, mais il n’a plus l’importance qu’il avait auparavant. Mais il reste des niches dans ce domaine, il y a donc toujours des opportunités pour le futur. Cela dit, les marchés clés sont désormais dans la connectique, l’énergie, indirectement l’automobile, et la mobilité en général.

Dans quel délai pensez-vous que l’entreprise pourra afficher des chiffres noirs?
A. R.:
Mon objectif, c’est d’y parvenir d’ici deux ou trois ans.

Tout dépend donc de la CDB…
A. R.:
En effet. D’où l’importance d’agir au plus vite et que tout le monde, notamment politique, tire à la même corde pour convaincre la CDBet pouvoir tourner la page. J’espère que la situation se débloque d’ici au début mai.

 

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