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Agriculture

«Pour une prise de conscience»

Après avoir cartonné en France, «Au nom de la terre» a débarqué sur nos écrans. Pour Laurent Botteron, de Nods, ce film illustre une triste réalité, chez nous aussi.

Touché par les propos du film, Laurent Botteron a souhaité échanger avec le public de la région, ce qu'il a fait à La Neuveville samedi. Photo MBA

Michael Bassin

A son domicile, Laurent Botteron nous tend une photo. On y voit des joueurs de cor des Alpes. «Avec des amis nous avons fondé le Cors’Accords Chasseral et nous nous produisons lors d’événements. J’encourage mes collègues à pratiquer un hobby, ça peut aider à sortir du marasme.»

Les propos de l’agriculteur de Nods font écho au film «Au nom de la terre», déjà visionné par 1,7 million de spectateurs en France et qui est devenu l’emblème de la détresse vécue par nombre de paysans.

Tiré d’une histoire vraie – celle du père du réalisateur, Edouard Bergeon –, le film illustre l’évolution du monde agricole au cours des 40 dernières années. Pierre Jarjeau (incarné par Guillaume Canet) se démène pour faire tourner son exploitation. Mais entre l’obligation de moderniser les infrastructures, le surendettement, la baisse des prix et la malchance, le quotidien de l’agriculteur se transforme en un effroyable piège, dans lequel il laissera sa vie.

Taux de suicide plus élevé

Laurent Botteron a vu le film en première projection à Neuchâtel, en présence du réalisateur. Touché par ce vécu poignant, il a ensuite contacté le cinéma de La Neuveville dans l’optique d’échanger avec le public «car ce film permet de prendre conscience que vouloir toujours des prix plus bas met en péril les agriculteurs».

Ainsi, samedi soir, au Ciné2520, devant un parterre bien garni, le citoyen du Plateau a tiré plusieurs parallèles entre le film français et la réalité helvétique. «J’ai perdu un ami dans les mêmes circonstances il y a bientôt dix ans, et il y a eu d’autres cas dans la région», a-t-il confié avec émotion. L’an dernier, une étude de l’Uni de Berne révélait que le risque de suicide est 37% plus élevé chez les paysans que dans le reste de la population. Entre 1991 et 2014, 447 paysans se sont donné la mort en Suisse.

Comme dans le film, Laurent Botteron a repris la ferme familiale et a dû investir pour suivre l’évolution. «Durant plusieurs années je n’ai alors pu me verser que 3000 francs de salaire par mois et cela pour plus de 75 heures par semaine», se souvient-il. «Quel jeune souhaite aujourd’hui travailler autant pour si peu?»

Dans la profession, ce nombre d’heures incalculable peut déboucher sur un burn-out. Une maladie compliquée en temps normal, mais qui engendre une situation quasi insoluble pour le paysan. «Moi j’ai contracté une hernie discale, ce qui m’a heureusement permis de prendre du recul.» Il a aussi stoppé la production laitière pour se concentrer sur l’élevage et les céréales. Et il s’est associé avec un collègue pour partager certains investissements.

L’expérience de cet ancien président des maîtres agriculteurs du Jura bernois, aujourd’hui âgé de 57 ans, lui permet de mettre le doigt sur les raisons qui fragilisent les agriculteurs. A commencer par la baisse des prix. «On devrait toujours produire plus, mais meilleur marché…», regrette-t-il. Laurent Botteron cite aussi quelques aberrations de notre société. «Cette année je suis obligé de semer 30% de blé en moins car on importe du pain précuit des pays de l’Est.»

Le défi de la transmission

Dans le viseur de l’agriculteur de Nods figurent également l’exagération des contraintes écologiques – contre-productive selon lui –, la surproduction et le rythme des normes édictées par l’Office fédéral de l’agriculture, ainsi que la toute-puissance des grands distributeurs.

Malgré cela, Laurent Botteron ne verse pas dans le négativisme total. «Par rapport à la France, nous avons la chance, en Suisse, d’avoir plus d’exploitations qui diversifient leurs activités. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier permet de ne pas sombrer financièrement d’un coup en cas de chute des prix ou de production trop basse», observe-t-il. «Et puis nous avons aussi certains privilèges, nous agriculteurs. Comme celui d’évoluer dans la nature et d’être indépendants.»

Son prochain défi sera la transmission de l’exploitation. Une question ouverte, dans la mesure où ses enfants ne sont aujourd’hui pas intéressés. D’ici là, il continuera à se battre pour défendre sa profession.

 

«Au nom de la terre», projeté au Palace de Bévilard mardi (20h), samedi (17h) et dimanche 24 novembre (16h); à Tramelan ce vendredi (18h).

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