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«Les mecs comme moi, on les envoie paître»

A nouveau nominé dans la catégorie «Entraîneur de l’année» aux Sports Awards, Nicolas Siegenthaler tentera d’y décrocher sa première récompense dimanche. En attendant, le Biennois se livre avec son franc-parler.

Coach privé de Nino Schurter, Nicolas Siegenthaler continue d’entretenir des relations compliquées avec la fédération (Copyright Peter Samuel Jaggi / Le Journal du Jura)

Christian Kobi

La troisième tentative sera-t-elle la bonne pour Nicolas Siegenthaler? Nominé comme en 2016 et 2017 – il était à chaque fois rentré bredouille – dans la catégorie «Entraîneur de l’année» des Sports Awards, dont la cérémonie de remise des prix aura lieu dimanche soir à Zurich, le Biennois de 61 ans tentera de damer le pion à Adrian Rothenbühler, coach de Mujinga Kambundji, et à Michael Suter, entraîneur de l’équipe de Suisse de handball. «Cette récompense représenterait pour moi une sorte d’aboutissement pour les 18 années de travail avec Nino Schurter», le vététiste le plus titré au monde, estime-t-il.

Nicolas Siegenthaler, après deux vaines tentatives, pourquoi la troisième sera-t-elle la bonne?
Parce qu’on a gagné plus que les autres, tout simplement. Michael Suter a fait du super boulot, mais l’équipe de Suisse de handball n’a remporté aucun titre. Quant à Adrian Röthenbühler, qui est excellent dans ce qu’il fait, il est davantage un coach de vie qu’un entraîneur pour Mujinga Kambundji. Moi, avec Nino Schurter, je m’occupe de tout: planification, entraînement technique et physique, préparation mentale. Si les gens connaissent vraiment mon travail, ils vont voter pour moi.

On a l’impression que la popularité du sport joue un grand rôle dans cette distinction.
Oui, bien sûr. L’année dernière, lorsque j’ai découvert la liste des 10 entraîneurs finalistes, j’étais sûr et certain que c’est Patrick Fischer (réd: sélectionneur de l’équipe de Suisse de hockey sur glace) qui serait distingué, ce qui a été le cas. Il y a peut-être aussi un peu de politique là-dedans, je ne sais pas.

Que pensez-vous de l’absence de Steve Guerdat et Martin Fuchs, les deux meilleurs cavaliers du monde, dans la catégorie «Sportif de l’année»?
C’est une honte! J’ai récemment vu un «Au cœur du sport» consacré à Steve Guerdat, j’en ai été ému aux larmes. L’amour qu’il porte à ses chevaux est incroyable; il en monte cinq ou six par jour pendant 90 minutes chacun, c’est un vrai travail à plein temps. Ces cavaliers ont une condition physique au top. Leur absence me laisse sans voix. Peut-être que les journalistes qui ont fait la préselection ne s’intéressent pas à l’hippisme.

En revanche, votre protégé Nino Schurter, élu «Sportif de l’année» pour la première fois en 2018, est à nouveau présent. Quelles sont ses chances?
Cette année, tout le monde voit venir Christian Stucki. Mais pour moi, il y a quelque chose qui ne joue pas là-dedans: si on met Stucki face à un judoka comme Teddy Riner par exemple, il ne tient même pas cinq secondes. Les deux font presque le même poids, mais Riner c’est de l’actif, du solide, alors que Stucki a beaucoup de poids morts. Cela fait partie des choix surprenants de ces Sports Awards.

Avec Nino Schurter, vous avez tout gagné depuis bientôt 19 ans. Quel est le prochain défi?
Oh, il y en a plein. C’est toujours la médaille qui vient qui nous intéresse, par celles qui sont derrière nous. En 2020, les JO de Toyko vont être un sacré challenge, notamment avec la présence annoncée de Mathieu van der Poel. Si Nino décroche une deuxième fois la médaille d’or, comme Julien Absalon l’a fait en 2004 et 2008, il aura un palmarès inégalé dans l’histoire du VTT. Et il y a aussi ce record de 33 victoires en Coupe du monde à aller chercher. Nino en est à 32 et peut très clairement en gagner encore deux.

Vous avez évoqué Tokyo 2020. Après trois refus de Swiss Cycling, à Pékin, Londres et Rio, vous verra-t-on enfin sur place pour les quatrièmes Jeux olympiques de Nino Schurter?
Non! Du côté de Swiss Cycling, le discours n’a pas changé: les entraîneurs privés comme moi n’entrent pas dans le concept olympique. C’est-à-dire qu’on prend les médailles, on prend les titres, on ne dit même pas merci et les mecs comme moi, on les envoie paître. Mais plutôt que de créer un conflit de loyauté, je préfère aller commenter la course à la télévision, comme je l’avais fait lors du titre de Nino en 2016.

Ressentez-vous une forme de jalousie à votre encontre?
Oui, il y a en énormément et c’est bien dommage, car la jalousie tue les relations humaines et ne fait pas avancer la cause du sport. Avec Nino, nous portons le lead du VTT mondial. C’est comme ça, c’est le destin qui nous a choisis. Mais je n’ai jamais reçu une petite carte avec un «merci» de ma fédération, jamais. Après huit titres mondiaux, sept Coupe du monde et trois médailles olympiques. C’est quand même surprenant.

Et de la part des autres entraîneurs?
Ce n’est pas différent. Tenez, un exemple: sur les réseaux sociaux, j’aime «liker» le travail des autres entraîneurs lorsqu’un de leur athlète réussit une bonne performance. Mais moi, a contrario, je ne reçois jamais de «like». Tout simplement parce qu’il y a énormément de jalousie.

A 61 ans, on vous sent encore bien remonté et très en forme physiquement.
C’est essentiel pour moi de rester actif. Je m’entraîne entre 750 et 850 heures par année, c’est-à-dire 15 à 16 heures par semaine. Mais j’ai un peu dû mettre la pédale douce ces derniers temps en raison d’une blessure à l’épaule, et cela m’embête, car c’est le moment de sortir les skis de fond. Pour moi, il est important de pouvoir m’entraîner à côté des athlètes, car on en apprend beaucoup sur eux dans ces moments-là.

Vous sentez-vous parfois un peu prisonnier de votre image?
Parfois, oui. Il m’arrive de regretter le temps où je ne faisais que de la planche à voile, où je buvais des bières, où je bouffais des hamburgers et où il n’y avait pas de problème. Aujourd’hui, tout est davantage sous contrôle. Sur la scène et devant les objectifs, on doit correspondre à quelque chose. Parfois, c’est un peu pesant.

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