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Musée des beaux-Arts de Berne

Quand tout se disloque

L’institution bernoise invite à poser un regard neuf sur quelque 200 œuvres de sa collection, avec comme point de départ un texte de Sigmund Freud qui développe l’idée des trois blessures narcissiques de l’être humain.

«Das Matterhorn», de Gabriel Loppé, montre un paysage alpin rude, aux arêtes vives, dans lequel les deux promeneurs au premier plan semblent disparaître. ldd-kunstmuseum

Arnold Böcklin, Ferdinand Hodler, Albert Anker, Adolf Wölfli, Félix Vallotton, mais également des artistes femmes peu connues, comme Annie Strebler-Hopf ou Clara von Rappard: jusqu’au 20 septembre, le Musée des beaux-arts (MBA) de Berne présente quelque 200œuvres d’artistes suisses de sa collection au tournant des 19e et 20e siècles. Intitulée «Tout se disloque. L’art suisse de Böcklin à Vallotton», cette expo de grande ampleur est conçue comme un parcours didactique d’une dizaine de sections qui met en lumière le désarroi de l’être humain face aux évolutions de la science.

«L’idée qui sous-tend cette exposition est de confronter la collection historique à des questions d’actualité et de la considérer dans une perspective contemporaine», explique Marta Dziewanska, commissaire du MBA. L’exposition part de la perspective de Sigmund Freud qui, dans un texte de 1917, développe l’idée des trois blessures narcissiques de l’être humain.

Ce qu’il définit comme des blessures narcissiques sont les révélations que l’homme n’est pas le centre de l’Univers et qu’il ne domine ni la nature, ni sa propre conscience. Selon le psychanalyste, trois découvertes fondamentales ont en effet bouleversé fondamentalement l’image de soi de l’être humain, explique le MBAdans un communiqué. Asavoir la révolution copernicienne, qui a montré que la Terre n’est plus au centre de l’Univers et que l’homme n’est plus la figure centrale de la Création.

La deuxième blessure est la théorie de l’évolution de Darwin selon laquelle l’homme n’a pas été créé à l’image de Dieu mais est le fruit du processus d’évolution qui englobe toutes les espèces. Quant à la troisième, c’est la découverte de l’inconscient que Freud a développée et qui montre que l’homme n’est plus maître de son propre monde intérieur.

Incertitude et besoin d’évasion
L’exposition tire son titre d’un poème de William Butler Yeats de 1919 écrit au lendemain de la Première Guerre mondiale, de la Révolution russe et des troubles qui secouaient l’Irlande, son pays natal. Au travers des œuvres présentées, l’exposition évoque le climat d’incertitude, le désenchantement du monde, mais aussi le besoin d’évasion et le désir d’un monde fabuleux. On y découvre des créatures hybrides, des espaces intérieurs. Les personnages apparaissent sous une forme vague et indéfinissable, on ne parvient plus à se faire une idée claire de soi-même. Quant aux paysages jusque-là idylliques, ils font place à une mage monumentale et menaçante de la nature.

Comme le souligne Nina Zimmer, directrice du Musée des beaux-arts et du Centre Paul Klee, «nous possédons une collection diversifiée que nous souhaitons sans cesse réinterroger. Des perspectives inhabituelles permettent de poser un regard neuf sur des chefs-d’œuvre connus tout en accordant une place à des artistes, hommes et femmes, moins considérés jusque-là».

Imaginaire fabuleux
Des tableaux comme le célèbre «Meeresstille», d’Arnold Böcklin, évoquent un monde imaginaire fabuleux, aux antipodes de ce qu’était alors le Gründerzeit (époque des fondateurs), opposant ainsi rêve et réalité. Les personnages ne sont pas simplement représentés pour être reproduits, leur regard est dirigé vers l’intérieur.

C’est notamment le cas du fameux autoportrait de Ferdinand Hodler «Der Zornige», dans lequel le peintre saisit le moment d’une émotion intérieure. De son côté, Albert Anker réalise avec une grande finesse psychologique les portraits de personnes âgées ou celui d’un buveur. Le manque de distance, la monumentalité, l’impossibilité de situer la scène et la force de la nature donnent un sentiment empreint de tragique et de triomphe.

Crise agricole
Dans la seconde moitié du 19esiècle, la Suisse vit une période troublée en raison de la crise agricole et de la transformation rapide des campagnes et le développement d’une société urbaine et industrielle. La célébration de la vie paysanne dans l’art de la seconde moitié du 19e siècle est le résultat direct de son déclin.

Comme le souligne le MBAdans son guide de l’expo, «une impression de temps suspendu, d’inactivité et de rêverie règne dans la peinture de genre pastoral de cette époque, oscillant entre idylle et désenchantement. Au lieu de raconter une histoire, les peintures d’époque figent une atmosphère, un sentiment ou une émotion. Les personnages semblent renfermés, rêveurs et chargés de leurs pensées. (…) L’activité, le travail et les éloges de la nature sont supplantés par la résignation, la fatigue et l’épuisement. Un sentiment de mélancolie domine ces scènes. Leurs accents bibliques et idylliques envoient le signal du désir d’une identité perdue, qui est de nature individuelle comme collective.» comm-pho

 

L’exposition «Tout se disloque. L’art suisse de Böcklin à Vallotton» est à découvrir jusqu’au 20 septembre 2020

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