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Nature

Ces bovins qui soignent l’environnement

L’élevage bovin a un impact direct sur les pâturages. Contrairement aux vaches de races intensives, celles dites rustiques favorisent la biodiversité. C’est ce qu’a mis en évidence une étude scientifique.

La race highland est particulièrement bien adaptée pour les terrains escarpés à la végétation plutôt maigre. visualhunt

Par Philippe Oudot

L’élevage bovin a beaucoup évolué au cours de ces dernières décennies. La sélection animale a en effet permis d’augmenter fortement la productivité de nombreuses races. Une sélection qui n’est pas sans conséquence sur la biodiversité. C’est ce qu’a révélé une étude publiée à la fin de l’an dernier par le centre Agroscope et l’institut AgroVet Strickhof.

Les auteurs de cette étude rappellent qu’en Europe, les surfaces de pâturage extensif sont parmi les habitats les plus riches en biodiversité. Notamment sur les terrains en pente, plutôt maigres et caillouteux parsemés de quelques arbres et buissons. «La biodiversité s’est développée au cours des milliers d’années d’interactions entre les herbivores et la végétation, Or aujourd’hui, cette biodiversité est menacée, d’une part en raison de l’abandon des activités agricoles dans certaines zones et d’autre part, du fait de l’agriculture intensive.»

Nettement plus lourds
Dans cette étude, les chercheurs ont en particulier analysé l’impact de trois races de bovins: des highlands, pour les vaches rustiques;des brunes originales, en tant que race semi-productive, et des vaches productives issues d’un croisement d’angus (race à viande) et de holstein (race laitière). Pour chacune, les scientifiques ont examiné le comportement de trois vaches accompagnées de leur veau dans trois types de pâturages: maigres, à l’herbe riche, ainsi que dans des pâturages boisés.

Comme le relève cette étude, les bovins sélectionnés pour la production laitière ou la production de viande sont plus grands, plus lourds et consomment davantage de fourrage. «Ces races productives ont en effet besoin de plus d’énergie que les bovins rustiques», souligne Emilie Beuret, secrétaire de la Chambre d’agriculture du Jura bernois.

Ces derniers ont également un impact nettement plus positif sur la biodiversité. D’abord, parce qu’ils sont en général plus légers que les races productives et «ont des onglons plus grands. De ce fait, leur poids est réparti sur une plus grande surface, si bien que les végétaux souffrent moins du piétinement», souligne l’étude.

Plantes piétinées
En revanche, observe Agroscope dans son étude, «sur les pâturages où paissent des bovins lourds et productifs, un nombre nettement plus important de plantes résistantes au piétinement se développent. Celles-ci évincent progressivement les espèces plus sensibles», ce qui réduit la biodiversité.

De plus, les races productives sélectionnent davantage les plantes qu’elles ingèrent. Elles choisissent en priorité des plantes riches en éléments nutritifs facilement digestibles. En revanche, les races rustiques broutent de manière beaucoup moins sélective, n’hésitant pas à s’attaquer à des chardons et autres plantes moins appétissantes.

Emilie Beuret observe toutefois que «les terrains rudes et pauvres conviennent effectivement bien aux races rustiques, mais également aux jeunes bovins ou aux chèvres. On réserve plutôt les terrains plus plats, où l’herbe est plus riche, aux vaches laitières, plus productives.»

La palme aux highlands
Comme le souligne l’étude, le comportement alimentaire de ces bovins rustiques contribue à réduire la domination de plantes problématiques et favorise aussi bien la biodiversité que la qualité fourragère des pâturages. C’est en particulier le cas pour les vaches highland, qui paissent plus souvent que les races plus productives sur les zones pentues des pâturages, où le fourrage est moins riche.

Les auteurs de l’étude en concluent donc que les bovins rustiques utilisent de manière efficiente les prairies de moindre qualité et au rendement marginal et contribuent ainsi à favoriser la biodiversité. Ils soulignent aussi que dans bon nombre d’exploitations, «le cheptel bovin peut être complété sans grande difficulté par un troupeau dévolu à l’entretien des pâturages». En particulier dans les régions de montagne. Un avis que ne partage que très partiellement Markus Gerber, maire de Saicourt et président de Swiss Herdbook, la plus grande fédération d’élevage bovin de Suisse. «Aujourd’hui, dans la plupart des exploitations agricoles, les vaches de races productives sont généralement écornées. Dans ces conditions, difficile de les faire cohabiter avec des races rustiques. A moins d’opter pour des vaches de type galloway, qui sont génétiquement dépourvues de cornes.»

 

«Il faut éviter d’y faire paître trop de bétail»

La majorité du cheptel bovin en Suisse est aujourd’hui constituée de races productives, avec une forte présence des holstein et red holstein, indique Markus Gerber. «Les choses ont en effet beaucoup changé en quelques dizaines d’années, car avant, la simmental dominait très largement chez nous. Aujourd’hui, poursuit le président de Swiss Herdbook, cette race représente environ 10%du cheptel parmi les éleveurs membres de Swiss Herdbook. Considérée comme semi-productive, elle n’est pas très lourde et est aussi bien adaptée aux pâturages en pente.»

S’agissant des bovins rustiques, Markus Gerber rappelle qu’ils ne représentent qu’une très faible part du cheptel bovin. Pour ce qui est des highlands, «c’est une race particulièrement adaptée à des pâturages difficiles, par exemple dans les terrains marécageux». S’il ne conteste pas que ces races rustiques contribuent au maintien de la biodiversité, il note qu’on peut aussi y parvenir par une bonne gestion des pâturages.

Veiller à un bon équilibre
Dans l’Arc jurassien, explique-t-il, «nous avons beaucoup de pâturages destinés à l’estivage. On peut très bien y faire paître des génisses de race intensive et des chevaux, mais en veillant à un bon équilibre entre le nombre de bêtes par rapport à la surface d’herbage. Il faut surtout éviter d’y faire paître trop de bétail. Preuve en est les Prix du ‹Plus beau pâturage boisé› qu’a déjà remporté la Bourgeoisie de Saicourt.»

Ce qui pose problème avec les vaches laitières de race productive, c’est qu’il faut les traire deux fois par jour, explique le président de Swiss Herdbook. Or, àforce de passer au même endroit, elles y piétinent le sol, si bien que l’herbe a de la peine à se régénérer. Il y a toutefois certaines graminées qui résistent mieux au piétinement. C’est le cas du ray-grass, qu’on trouve surtout dans les pâturages de basse altitude, jusqu’à 800m. Au-dessus, c’est plutôt la crételle des prés qui prédomine, une herbe fine mais résistante, qui supporte aussi bien les périodes sèches et humides, et qui, de surcroît, est riche en valeur nutritive. Elle convient bien pour le lait destiné à la production fromagère.

Il note aussi que les impératifs de la biodiversité sont parfois difficiles à concilier avec ceux de la production fromagère. «Prenez la tête-de-moine:la demande de lait pour fabriquer ce fromage est particulièrement forte entre juin et octobre. D’où l’importance d’avoir aussi des vaches laitières productives.»

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