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Moutier

Dessine-moi un hôpital...

Tout a été dit et son contraire à propos de l’hôpital de la ville. Raison de plus pour rappeler quelques éléments factuels permettant d’y voir plus clair en fonction des résultats du vote.

L’hôpital de Moutier. Un bien très convoité, mais à divers niveaux. Matthias Käser

Décryptage Pierre-Alain Brenzikofer et Philippe Oudot

N’en déplaise aux milieux autonomistes, l’Hôpital de Moutier (HDM) reste un enjeu de taille en vue du scrutin du 28 mars. Comme l’avaient annoncé ses dirigeants à fin décembre, l’HDM va devenir un hôpital intégré offrant des soins somatiques aigus – aussi bien stationnaires qu’ambulatoires –; des soins de santé mentale pour le Jura bernois et le Jura, avec le transfert des patients de Bellelay à Moutier; des soins gériatriques et un département EMS. Si tout se déroule comme prévu, les travaux de construction nécessaires seront achevés à fin 2021. Ça, c’est le scénario assuré si Moutier choisit de rester dans le canton de Berne.

En revanche, les perspectives sont bien plus incertaines si la cité prévôtoise devait rejoindre le canton du Jura, et cela malgré les promesses données cette semaine par le Gouvernement jurassien: ce dernier a en effet annoncé que «les prestations offertes sur le site de Moutier seront reconnues sur la liste hospitalière jurassienne au même titre qu’elles le sont aujourd’hui sur la liste hospitalière du canton de Berne».

Très sérieux doutes
Certes, formellement, le Gouvernement jurassien est libre de reprendre telles quelles les prestations de l’HJBqui figurent sur la liste bernoise. Mais il est utile de rappeler les sérieuses réserves formulées, côté jurassien, à propos du maintien de l’activité stationnaire aiguë et d’un service d’urgences à Moutier. Cela figure d’ailleurs noir sur blanc dans le rapport du Groupe de travail intercantonal «Avenir du site hospitalier de Moutier» du 19 juin 2020, jamais rendu public, mais dont Le JdJa eu connaissance.

D’ailleurs, côté jurassien, on a toujours insisté sur l’importance du pôle Santé mentale à Moutier. Pas étonnant, puisque le canton du Jura ne dispose pas de structures psychiatriques. En cas de oui le 28mars, la répartition des prestations semble donc claire:les soins somatiques à Delémont, la réhabilitation à Porrentruy, la gériatrie à Saignelégier et la psychiatrie à Moutier. Comme le relève un spécialiste du domaine médical consulté par Le JdJ (nom connu de la rédaction), «ce concept tient la route pour un canton de la taille du Jura, mais les autorités se gardent bien de le dire avant la votation, car cela confirmerait que ce serait la fin des soins somatiques à Moutier».

Critères de qualité
Et parmi les critères définis par la Conférence des directeurs de la santé pour la liste hospitalière (voir encadré), il y a des exigences par rapport à un nombre minimal d’opérations à pratiquer par année. Pour assurer la qualité des soins, les médecins doivent en effet avoir une certaine pratique. Si ce nombre d’opérations minimal n’est pas atteint, la prestation ne peut pas figurer sur la liste hospitalière. Aujourd’hui, avec le bassin de population qu’il draine, l’HDM atteint ce nombre d’opérations minimal.

Mais si la cité prévôtoise devait rejoindre le canton du Jura, il serait beaucoup plus difficile pour l’HDMd’atteindre ce critère du nombre minimal d’opérations pour justifier leur maintien dans la liste hospitalière. Avec sa population de 70000 habitants, le Jura a un bassin de population assez limité, mais suffisant pour faire tourner un hôpital. Mais en y ajoutant l’HDM, ce canton aurait donc une infrastructure surdimensionnée par rapport aux besoins de la population jurassienne et de la ville de Moutier. D’autant que la population du Jura bernois se tournerait sans doute préférablement du côté de Bienne ou de Saint-Imier, plutôt que vers l’hôpital d’un canton voisin…

Alors de deux choses l’une:soit le Jura affaiblit son hôpital de Delémont et transfère certaines prestations à Moutier s’il veut effectivement y maintenir des soins somatiques. Soit il y aura des doublons entre l’HJU et l’HDM, ce qui ne serait pas viable à long terme...

Peur du privé
Par ailleurs, le fait que Swiss Medical Network (SMN) est actionnaire de l’HJBcomplique la donne. En cas de oui, SMN cherchera sans doute à maintenir les prestations somatiques à l’HDM, voire à les développer. Pas sûr que ce soit du goût du canton du Jura, lui qui, rappelons-le, est allé jusqu’au Tribunal fédéral pour tenter d’empêcher le canton de Berne de vendre une partie du capital de l’HJBà un groupe privé…

La raison de cette peur est simple: les prestations du privé constitueraient une sérieuse concurrence pour l’HJU, hôpital solitaire apparenté à aucun groupe. Al’inverse, en cas de maintien dans le canton de Berne, l’Hôpital de Moutier peut compter sur SMN, qui est un partenaire fort avec lequel des synergies sont possibles.

Choix cornélien
D’où les réserves jurassiennes par rapport à la concurrence du privé. En clair, si Moutier change de canton, le Gouvernement jurassien se trouve face à un choix cornélien: soit il maintient les prestations de l’HDM figurant sur la liste hospitalière bernoise et accepte que SMNcontinue d’y développer son offre, quitte à affaiblir, voire à mettre en danger l’HJU. Soit il biffe les soins somatiques de la liste hospitalière de l’HDMpour assurer la pérennité de son propre hôpital. Ou alors, il faudrait trouver un modus vivendi entre SMN et l’HJU, mais cela signifierait que soit l’HJU, soit l’HDM devrait réduire ses prestations actuelles.

Par ailleurs, en cas de oui le 28mars, il est d’ores et déjà clair que le canton de Berne cherchera à vendre sa participation dans l’HDM. Le directeur de la Santé Pierre Alain Schnegg a toujours été clair à ce sujet: Berne n’a aucune intention de financer un établissement extracantonal. C’est d’ailleurs dans la perspective d’un éventuel départ de Moutier que l’HJBavait constitué l’HDMen société propre dont il détient la totalité du capital.

Quant aux conséquences d’un départ de Moutier pour l’Hôpital de Saint-Imier et celui de Bienne, il est fort probable que, hormis la ville de Moutier, la population choisirait plutôt d’aller se faire soigner à Bienne, voire à Saint-Imier, de préférence à Moutier qui, du coup, perdrait des patients. Pour la société HJB SA, ce serait bien sûr mauvais de perdre le site de Moutier, mais ça n’aurait pas de conséquence directe pour celui de Saint-Imier, qui devrait toutefois retrouver un nouvel équilibre.

Pas de hic psychiatrique
Pour en revenir à la psychiatrie, les choses sont claires: en cas de maintien dans le canton de Berne, l’HDMserait le centre de psychiatrie pour les patients francophones du canton de Berne et pour ceux du canton du Jura – même s’il ne sera pas si facile de faire monter les Biennois à Moutier. Et si la cité prévôtoise devait rejoindre le canton du Jura, il serait encore plus difficile de convaincre les Biennois francophones de se déplacer dans un autre canton... Le cas échéant, comme le centre de psychiatrie de Münsingen a commencé d’offrir des prestations à Bienne, il y a de fortes chances que celui-ci saisisse l’opportunité d’y développer de tels soins, ce qui, du coup, affaiblirait la psychiatrie à Moutier.

Optimisme bernois
Lors des négociations menées avec le Groupe Swiss Medical Network (SMN), le canton de Berne, plusieurs mois avant le vote, a visiblement voulu faire preuve d’optimisme et considérer que Moutier ne changerait pas de canton. Est-ce pour cette raison qu’il n’a vendu que 35% des parts à SMN? Certes, ce dernier possède une option d’achat plus conséquente et le canton, une identique pour ce qui est de la vente. Il n’y a pas besoin que les deux partenaires se mettent d’accord, l’un pouvant très bien déclencher cette option qui permettrait un changement de majorité dans le capital de l’HJB.

Côté bernois, ce qui importe avant tout, c’est que Moutier demeure bernoise, ne serait-ce que pour développer aussi Saint-Imier, ne l’oublions pas! A ce stade du raisonnement, on ne perdra pas non plus de vue que si Berne a vendu des parts de l’Hôpital du Jura bernois à SMN, c’est uniquement pour stabiliser la situation hospitalière du Jura bernois, terre accueillante, on le sait, mais pas plus peuplée que cela. Dans ce contexte, l’accord avec SMN a aussi permis de réaliser des économies d’échelle.

Par contre, Berne n’a pas fait mystère que si Moutier devait s’en aller, le canton se mettrait à la cherche d’un partenaire susceptible de reprendre ses actions. Il pourrait s’agir de SMN, bien sûr, mais aussi du Jura ou encore d’un tiers. Il convient de rappeler ici que la fameuse proposition à trois partenaires (HJB, HJU, un privé) avancée par les autorités bernoises n’étaient valable que pendant la période dite de transition. De toute façon, ce n’est pas faire injure aux Jurassiens que de rappeler qu’ils n’ont jamais voulu de ce ménage à trois. N’avaient-ils pas déjà saisi le Tribunal fédéral rien que pour empêcher une vente d’actions à SMN?

Faisceaux d’indices
Tous ces faisceaux d’indices peuvent-ils permettre d’affirmer que l’avenir de l’hôpital de Moutier serait plus radieux dans le canton de Berne? Sans vouloir jour les chiromanciennes, on mentionnera encore une fois que dans le cadre des négociations intercantonales, le canton du Jura s’est toujours engagé à faire de Moutier un établissement dédié à la psychiatrie, alors que les Bernois plaident pour une unité de soins aussi somatique que psychosomatique. Dans un environnement bernois, de surcroît, Moutier pourra toujours miser sur un bassin de population dépassant ses frontières. Ce qui ne serait plus le cas en cas de changement de territoire. Dans pareil cas de figure, difficile d’imaginer Moutier mettre en danger le fragile équilibre de l’Hôpital de Delémont en offrant les mêmes prestations à 15 kilomètres de distance. Sans changement de frontière en prime…

 

La liste hospitalière, c’est quoi?

La liste hospitalière est le document qui habilite les hôpitaux à proposer tel ou tel type de soins. En principe, les établissements soumettent à leur gouvernement cantonal les prestations qu’ils souhaitent offrir et c’est ce dernier qui donne ou non le feu vert et les inscrit sur sa liste hospitalière. Mais l’attribution des prestations se fait selon certains critères, qui se basent sur les recommandations fédérales de la Conférence des directeurs de la santé (CDS).

Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que la liste hospitalière est établie sur la base de la planification des soins. Pour l’HJB, elle l’a été pour un bassin de 50000 personnes. En ce qui concerne l’HDM, la planification prend en compte les prestations à la population de Moutier, mais aussi à celle du Cornet, du Petit-Val et de la vallée de Tavannes. En revanche, en cas de oui le 28 mars, Moutier ne serait plus qu’une commune isolée au sud d’un canton déjà bien desservi du point de vue sanitaire, avec son hôpital de soins aigus de Delémont situé à une quinzaine de kilomètres de la cité prévôtoise. La liste hospitalière jurassienne pour l’HDMne pourrait plus compter sur son actuel bassin de population, mais uniquement sur les quelque 7000 Prévôtois.

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