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Grossaffoltern

«L’eau potable, notre bien le plus précieux»

C’est sur le domaine de l’agriculteur bio Markus Bucher que le comité d’initiative «Pour une eau potable propre» a lancé sa campagne hier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau. L’objectif est de réorienter les subventions agricoles vers une production alimentaire durable et sans pesticides.

C’est sur le domaine de l’agriculteur bio Markus Bucher que le comité d’initiative a lancé sa campagne. Matthias Käser

Par Philippe Oudot

«Depuis des décennies, la politique agricole utilise l’argent de nos impôts pour créer de mauvaises incitations. En soutenant une production alimentaire dépendante des pesticides, du fourrage importé et des antibiotiques, elles polluent notre premier aliment, l’eau potable.» C’est par ces mots que Franziska Herren, auteure de l’initiative pour une eau potable propre, a ouvert hier la conférence de presse du comité d’initiative en vue de la votation du 13 juin prochain. Une initiative dont le nom complet est «Pour une eau potable propre et une alimentation saine – pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique».

Et pour lancer sa campagne, le comité avait choisi une date et un lieu symboliques: la Journée mondiale de l’eau, et le domaine agricole bio de Markus Bucher, dans le village seelandais de Grossaffoltern. Celui qui a repris l’exploitation d’élevage de bovins de ses parents en 1998 a choisi de convertir le domaine en ferme maraîchère biologique quatre ans plus tard.

Il a souligné qu’en investissant dans des techniques de binage modernes, dans le développement ciblé de variétés, dans de nouvelles méthodes de culture et dans une recherche respectueuse de l’environnement, l’agriculture pouvait très bien se passer de pesticides:«J’en fais l’expérience tous les jours dans ma propre ferme!»

Il a aussi pointé la responsabilité du monde agricole et la nécessité d’agir pour assurer la qualité de l’eau potable. Dans ce contexte, a-t-il poursuivi, «il faut réorienter les paiements directs pour créer les bonnes incitations afin d’assurer le changement de cap nécessaire».

En finir avec les pesticides
Le vigneron Roland Lenz a lui aussi fait part de ses 25 ans d’expérience, lui qui produit plus de 60 vins biologiques différents. Dans son vignoble, il cultive une quarantaine de cépages, ainsi que des Piwi, cépages résistants aux champignons. «Grâce aux Piwi, nous cultivons 80%de nos vignes sans aucun pesticide, pas même les produits autorisés pour l’agriculture biologique!», a assuré celui dont la production est certifiée Bio-Suisse, Demeter et Delinat.

Comme aucun pesticide n’est appliqué sur ces cépages Piwi, la fertilité et la vitalité du sol sont préservées, si bien que celui-ci peut parfaitement remplir sa fonction de filtre et produire une eau potable propre», a-t-il insisté. Pour ce spécialiste, la viticulture suisse peut absolument se passer de pesticides, tout en produisant des vins de caractère.

Respect de l’animal
En tant que vétérinaire et président de l’Association bernoise pour la protection des animaux, Rolf Frischknecht a dénoncé l’utilisation préventive d’antibiotiques dans les élevages axés sur la rentabilité, comme cela se fait avec l’engraissement industriel des veaux. «Très vite séparés de leur mère, les veaux reçoivent trop peu de premier lait, qui contient de précieux anticorps. Ces jeunes animaux sont ensuite achetés et regroupés par des engraisseurs. En raison des agents pathogènes provenant de différentes exploitations, les cas de maladies sont très probables dans de telles conditions. C’est pour éviter cela que ces animaux reçoivent des antibiotiques à titre prophylactique», a-t-il constaté.

Le problème, c’est que cette utilisation favorise l’apparition de germes résistants. Non seulement ces antibiotiques risquent de n’avoir plus aucune utilité en cas d’infection, mais en plus, ils se retrouvent dans les terres agricoles via le fumier ou le lisier et constituent une menace pour la sécurité biologique, a-t-il averti. Et de plaider pour des conditions d’élevage respectueuses des animaux en réservant l’usage des antibiotiques uniquement au traitement des bêtes malades.

Limites fortement dépassées
Président de la Fédération des producteurs d’eau du lac de Constance, Roman Wiget a rappelé que sur le Plateau suisse, où l’on pratique l’agriculture intensive, «plus d’un million de personnes consomment de l’eau contaminée par des pesticides, dont la valeur dépasse jusqu’à 30 fois la limite maximale autorisée. (…) Je ne trouve pas un seul argument sensé contre l’initiative pour une eau potable propre.»

De son côté, Martin Ott, expert et formateur en agriculture bio, a appelé à en revenir à un juste équilibre entre le nombre d’animaux et la surface fourragère disponible pour éviter une surcharge permanente des sols avec des antibiotiques et des pesticides: «Les bons sols se sont formés parce que pendant des millions d’années, le juste nombre d’herbivores que le sol pouvait nourrir y ont simultanément déposé leur fumier.» Ases yeux, il est temps que la pratique écologique de l’agriculture devienne la norme et soit une condition pour obtenir des subventions. «Il n’est pas nécessaire d’interdire, mais il faut stopper les fausses incitations!»

 

«Poursuivre une telle politique agricole n’est pas une option!»

En Suisse, l’agriculture exerce une pression beaucoup trop forte sur les eaux souterraines, qui sont la principale ressource en eau potable, et cela malgré les quatre milliards de francs de subventions de la Confédération pour défendre une agriculture prétendument durable. Pour Martin Würsten, «poursuivre une telle politique agricole n’est pas une option!». En effet, a souligné l’ancien chef de l’Office de l’environnement du canton de Soleure, «l’utilisation de fertilisants et de pesticides est clairement problématique, non seulement pour l’eau, mais aussi pour les écosystèmes terrestres et notre santé».

Depuis plus de 20ans, l’excédent de ce fertilisant qu’est l’azote dans l’agriculture est de 100000 tonnes par an. Et avec le refus de la politique agricole PA22+ que viennent de décider les Chambres fédérales sous la pression du lobby de l’Union suisse des paysans, la situation ne va pas s’améliorer.

Trop de fumier et de lisier
En fait, a expliqué Martin Würsten, l’excédent de fertilisants vient notamment du fait qu’il y a trop de bétail par rapport à la surface des exploitations. Pour le nourrir, l’agriculture importe de grandes quantités de fourrage (plus d’un million de tonnes par an), d’où d’énormes excédents de fumier, de lisier, et donc de fertilisants.

Si des progrès ont été réalisés dans le traitement des eaux usées pour réduire les apports d’azote, il n’y a guère eu de changement dans le domaine de l’agriculture. C’est d’autant plus problématique que contrairement aux stations d’épuration, les apports d’azote de l’agriculture pénètrent directement dans les eaux souterraines sous forme de nitrates. Or, la concentration de ces derniers est dangereuse pour la santé, notamment parce qu’elle augmente le risque de cancer de l’intestin.

Par ailleurs, a expliqué Martin Würsten, l’excès d’azote n’affecte pas seulement la qualité de l’eau, mais aussi celle de l’air. Les pertes d’azote de l’agriculture se font notamment sous forme d’ammoniac, un gaz toxique irritant (42000tonnes par an), mais aussi sous forme d’un gaz à effet de serre très puissant, le protoxyde d’azote (8000tonnes). Et lorsque ces flux d’azote retournent à la terre, ils entraînent une surfertilisation d’écosystèmes sensibles, comme les forêts, les tourbières de montagne, les marais et prairies sèches et portent gravement atteinte à la biodiversité.

 

Influence sur le climat

La Suisse se targue souvent d’être le château d’eau de l’Europe, mais cette situation lui donne aussi des responsabilités, a affirmé le climatologue Thomas Stocker, de l’Université de Berne. «L’eau est le bien le plus précieux pour les humains et les écosystèmes. Or, nous surexploitons les ressources et les mettons en danger à cause d’une mauvaise gestion. Il est de notre responsabilité de protéger ces ressources, car nous distribuons l’eau que nous utilisons à nos pays voisins. L’initiative pour une eau potable propre est un pilier majeur d’un cadre réglementaire pour protéger l’eau», a-t-il souligné.

Thomas Stocker a aussi affirmé que l’eau potable jouait un rôle important dans la protection du climat:en utilisant moins d’eau potable, l’agriculture libère moins de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. En effet, a-t-il rappelé, le méthane et le protoxyde d’azote (qui provient en grande partie de l’ammoniac produit lors de la fertilisation) contribuent de manière significative au réchauffement climatique: «L’initiative sur l’eau potable propre réduit non seulement la pression sur les ressources précieuses en eau, mais elle contribue aussi à la protection du climat», a-t-il conclu.

 

Que veut l’initiative?

Elle demande, entre autres, à la Confédération de veiller à ce que l’agriculture, en produisant selon les exigences du développement durable et du marché:
– assure la sécurité de l’approvisionnement de la population en denrées alimentaires saines et en eau potable propre;
– accorde des paiements directs pour une production écologique, sans pesticides et avec des effectifs d’animaux pouvant être nourris avec le fourrage produit sur place;
– exclut des paiements directs les exploitations agricoles qui administrent des antibiotiques à titre prophylactique aux animaux qu’elles détiennent.

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