Vous êtes ici

Abo

Histoire régionale

Précieux témoignage

Pierre Mamie, premier curé catholique de Saint-Imier après la Réforme, a relaté pendant près de huit ans, dans un journal de bord, son quotidien et celui de sa paroisse. Ce riche document, dépeignant le contexte religieux du Vallon au 19e siècle, a fait l’objet d’une récente publication aux éditions Alphil.

ierre Mamie, premier curé en terre protestante après la Réforme, a œuvré à la consolidation du catholicisme à Saint-Imier. Source: Le culte catholique dans le vallon de Saint-Imier depuis la réforme jusqu’à nos jours (1527-1911).

Par Marisol Hofmann

Le journal de Pierre Mamie, couvrant les périodes du 14 novembre 1859 au 26 juin 1866 et du 21 août 1874 au 18 juillet 1875, a été trouvé à Alle, lieu d’origine du curé, où il est également décédé, en 1900. Cet important document de près de 1700 pages manuscrites, réparties sur cinq volumes, a été restitué et appartient à la paroisse catholique romaine du vallon de Saint-Imier.
L’historien jurassien Lionel Jeannerat et l’historienne indépendante spécialisée dans l’histoire du 19e siècle et la conservation du patrimoine architectural, Marikit Taylor, ont été chargés de retranscrire et de publier ce témoignage du passé de notre région. Les cinq volumes sont ainsi répartis dans deux tomes, respectivement de 400 et 800 pages environ, et agrémentés de notes de bas de page, d’analyses contextuelles ainsi que d’illustrations. Le point avec Marikit Taylor.
 
Qui est le curé Pierre Mamie et comment est-il arrivé à Saint-Imier?
Il n’a pas été envoyé dans ce pôle horloger en devenir et à l’influence croissante par hasard. En 1848, la Suisse a garanti la liberté de religion pour les chrétiens, leur laissant ainsi la liberté de s’installer dans n’importe quel canton, qu’ils soient protestants ou catholiques. Il était ainsi à nouveau possible de faire du prosélytisme. C’est dans ce contexte que le curé Pierre Mamie, qui officiait à cette époque à Miécourt, a été envoyé par l’évêque Monseigneur Arnold, en 1858, dans la cité imérienn, e afin d’y restaurer le culte catholique après des siècles d’interdiction. Il est le premier curé à s’être installé en terre protestante depuis la Réforme.
 
Comment s’y est-il pris pour mener à bien sa mission?
La tâche n’a pas été simple. Dès son arrivée, Pierre Mamie, alors âgé de 40 ans, a été confronté à un certain nombre de défis. Les catholiques étaient minoritaires et disséminés. Le curé déplorait les mœurs dissolues, l’absentéisme à l’église ou encore les nombreux mariages de confessions différentes. Il a déployé de nombreux efforts afin d’encourager la piété des paroissiens et de convaincre de nouveaux fidèles par le biais de publications, en invitant des curés venus d’ailleurs, en instaurant des cultes en allemand ou encore en mettant en place une école du dimanche. Mais son œuvre principale, à laquelle il a dédié une grande partie de son temps et de son récit, est la construction de l’actuelle église catholique romaine de Saint-Imier. Il n’aura malheureusement jamais pu voir son aboutissement. Il ne manquait plus qu’un bout du clocher au moment où a éclaté le Kulturkampf (réd: nous y reviendrons plus loin). Mamie s’est vu contraint de s’exiler en raison de son soutien à l’évêque Eugène Lachat, destitué par le gouvernement.
 
Au fil des pages, son caractère peut se lire entre les lignes. Comment le décririez-vous?
C’était une personne intelligente et rusée. Un fin diplomate. Il ne disait pas grand-chose, mais il le disait bien. Et il parvenait bien souvent à ses fins. Déterminé à accomplir sa mission et mû par une foi intarissable, il ne reculait devant aucune opportunité pour augmenter les rangs de ses fidèles. Il s’agissait par exemple d’arriver le premier au chevet des malades afin de s’assurer qu’ils meurent catholiques ou encore de veiller au choix de la confession des enfants issus de mariages mixtes. Certaines situations tournent à la comédie et sont sources d’amusement pour le lecteur. On finit par s’attacher à ce personnage, qui avait également passablement d’humour.
 
Quel est l’intérêt d’un tel document?
Il s’agit d’un témoignage passionnant pour les personnes intéressées par l’histoire religieuse comme régionale. Pierre Mamie y relate non seulement la vie de sa paroisse, les relations entre catholiques et protestants du Vallon, mais aussi des scènes de la vie quotidienne des Imériens, des événements marquants tels que l’arrivée de l’éclairage au gaz, des affaires politiques locales ou géopolitiques à plus large échelle, qui redéfinissent le monde à une époque charnière marquée par l’essor de l’industrialisation. La fin du quatrième tome ainsi que le dernier tome écrit par Pierre Mamie sont en outre d’importants témoins du Kulturkampf dans la région.
 
Pouvez-vous préciser?
Le Kulturkampf (réd: «combat pour la civilisation») est une politique religieuse visant à rompre les liens entre Rome et l’Eglise catholique, dans un contexte de montée du libéralisme et de naissance des Etats-Nation. Partie d’Allemagne, ses premières manifestations se sont fait sentir en Suisse également, dès les années 1830. Mais c’est entre 1873 et 1875 que la lutte s’est intensifiée, opposant catholiques conservateurs, fidèles au pape, d’une part, et ceux qui souhaitaient au contraire s’en détacher, de l’autre. Ce phénomène a été très étudié à Genève et Berne, les plus fortement touchés par les conflits, mais moins dans le Jura bernois. Or Pierre Mamie relate les événements depuis l’intérieur. Ce témoignage local, d’un phénomène international, permet d’alimenter le débat. 
 

 

Articles correspondant: Région »