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Tennis en fauteuil roulant

Pour nourrir le projet parisien

Déjà sacré sept fois champion de Suisse en simple, Raphael Gremion visera un huitième titre ce week-end sur les courts du TC Bienne. Plus loin, en 2024, le Biennois rêve de voir Paris.

Après avoir tout gagné en Suisse, Raphael Gremion ambitionne de se mesurer davantage à la concurrence internationale (Copyright Matthias Käser / Le Journal du Jura)

Christian Kobi

Il avait déjà tenté le coup, sans succès, en 2016. Cette année, en raison de la pandémie et de la perte de nombreux points au classement mondial, il n’a même pas fait mine de s’y intéresser. Mais l’idée trotte toujours dans un coin de sa tête: un jour, Raphael Gremion veut participer aux Jeux paralympiques. Logiquement, c’est vers Paris 2024 que se dirige son regard. «Je déciderai d’ici la fin de l’année si je me lance dans l’aventure», temporise-t-il. «Il faut dire que ce n’est pas une décision anodine. Si j’y vais, cela impliquerait pas mal d’investissements et de sacrifices.»

En homme consciencieux qu’il est, le Biennois a déjà tâté le terrain. Et fait les comptes. Il estime qu’il lui faudrait réunir un budget de l’ordre de 100 000 francs pour la période allant de début 2022 jusqu’à l’ouverture des Jeux, durant l’été 2024, une somme qui inclurait les voyages, l’engagement périodique d’un entraîneur, la location des terrains d’entraînement et l’achat de matériel. De son propre aveu, les premiers échos récoltés, notamment auprès des sponsors potentiels, s’avèrent «positifs».

Un quotidien chamboulé
Pour réaliser son rêve, Raphael Gremion devra(it) passer la vitesse supérieure. A tous les niveaux. «Aujourd’hui, je m’entraîne à raison d’une à deux fois par semaine. Si je me lance dans le projet olympique, je vais devoir doubler ce nombre et participer à au moins une quinzaine de tournois par année», calcule-t-il. De quoi chambouler passablement son quotidien. Employé à 50% dans une entreprise horlogère à Granges, il est conscient qu’une bonne partie de son temps libre et de ses vacances – que lui et sa copine adorent passer en Egypte – tomberait à l’eau. Du moins temporairement. Sportivement, le chemin qui mène aux Jeux paralympiques est aussi semé d’embûches.

Pour espérer se qualifier, il faut faire partie du top 60 mondial, un classement que le Biennois a approché il y a une dizaine d’années (73e). Depuis, comme il ne dispute quasiment plus de tournois internationaux, encore moins depuis le début de la pandémie, il a chuté au-delà de la 200e place. «Le coup est jouable. En m’entraînant davantage, je pourrais gagner en régularité et en précision. Je suis en bonne santé et, à 45 ans, j’ai l’impression d’avoir encore de la marge.»

Une marge que Raphael Gremion sait ne pas être extensible à souhait. Paraplégique depuis un accident de voiture survenu en 1998, il n’a pas les arguments pour lutter avec des joueurs qui doivent composer avec un handicap moins lourd que lui, comme les amputés. «Je n’ai pas la musculature ni la puissance au niveau du tronc pour aller chercher les balles aussi loin qu’eux. Il y a d’ailleurs très peu de paraplégiques dans le top 60 mondial, car la différence de niveau est trop grande. Et je ne parle même pas du top 10...» 

Une part de chance
Avec d’autres, le multiple champion de Suisse milite depuis longtemps pour la création d’une catégorie intermédiaire réservée aux paraplégiques, en plus des deux aujourd’hui existantes: l’open pour tous ceux ayant une déficience dans les membres inférieurs, et la catégorie quad, dédiée à ceux qui sont touchés dans les membres supérieurs. En vain. «Il y a toujours une part de chance lors du tirage au sort des tournois. Tout dépend contre qui on tombe, on n’a juste aucune chance», déplore-t-il.

Une donnée uniquement valable à l’international. Car en Suisse, hormis l’actuel No 1 Daniel Pellegrina (59 ans), qui ne pourra pas être présent ce week-end à Bienne, aucun adversaire n’est capable de titiller Raphael Gremion. Comme une évidence, le huitième titre lui tend les bras. «Si je ne gagne pas, ce sera le signe que je ne suis plus assez bon pour viser les Paralympiques», affirme celui qui n’a pas d’autre choix que de triompher pour nourrir son projet parisien. Au moins, il connaît la recette. Par cœur, même.

 

Le tennis en fauteuil roulant, un sport qui demande patience et persévérance

Quatorze ans. C’est le temps qu’il a fallu à Raphael Gremion pour s’installer en haut de la hiérarchie helvétique après l’accident de voiture qui l’a rendu paraplégique, en 1998, et ses débuts dans le tennis en fauteuil roulant, une année plus tard. Quatorze ans de travail acharné qui ont abouti à son premier titre de champion de Suisse, en 2013. «J’ai toujours gardé en tête cet objectif de devenir No 1», révèle le Biennois de 45 ans, qui tâtait déjà la petite balle jaune avant son accident. «J’avais un niveau moyen (réd.: il était classé R7), mais cela m’a bien aidé car les coups sont assez semblables. En revanche, le déplacement du fauteuil fut un long apprentissage.»

Yann Jauss ne dira pas le contraire. Le 9 octobre 2007, le Biennois perdait l’usage de ses jambes suite à un choc contre la bande lors d’un match de hockey sur glace de 3e ligue. Quelques mois plus tard, il rencontre Raphael Gremion lors d’un match du HC Bienne. «Il m’a dit de venir essayer le tennis en fauteuil roulant. C’est ce que j’ai fait, et je me suis pris au jeu», raconte-t-il. Au contraire de son acolyte, lui n’avait jamais joué au tennis, à l’exception de quelques fois lors de ses vacances, «après l’apéro», plaisante-t-il. Il lui a fallu tout apprendre. «Ce sont surtout les bras et les mains qui ont ramassé, avec des cloques et des brûlures un peu partout. Quand on joue en plein soleil et qu’il faut déplacer le fauteuil, c’est assez pénible.»

Yann Jauss n’a jamais baissé les bras. Aujourd’hui, à 42 ans, il occupe le 5e rang dans la hiérarchie nationale. «Je prends beaucoup de plaisir. Nous sommes une bonne équipe, même si la relève est quasi inexistante en Suisse. Chez les hommes, la moyenne d’âge est de plus de 45 ans...» Dans le sport handicap, l’athlétisme ou le basket ont souvent la préférence chez les plus jeunes. Ils permettent aussi d’obtenir des résultats plus rapidement. «Le tennis, c’est difficile au début, mais ça vaut la peine de persévérer», plaide Raphael Gremion.

Si la relève est inexistante côté masculin, elle porte un nom côté féminin: Nalani Buob. Championne du monde juniors et 25e au classement mondial, la Zougoise de 20 ans est la seule représentante helvétique à prendre part en ce moment aux Jeux paralympiques de Tokyo. Elle ne sera, de ce fait, pas présente à Bienne pour glaner un sixième titre national consécutif. 

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