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PYT

Le défi de l’immédiateté élaborée

Le Prévôtois a verni «Mon grand amer» samedi au Café du Soleil, à Saignelégier

Sébastien Froidevaux, Laurent Pétermann, Steve Fleury, Stéphane Froidevaux et Jean-Luc Froidevaux (de gauche à droite) ébranlés par le sumo PyT, selon sa propre formulation. Une fine équipe à voir ce soir en live. LDD

Laurent Kleisl

Il évolue, Pierre-Yves Theurillat. Du rock prog classique de feu Galaad au projet mené sous son nom d’artiste, PyT poursuit sa mue. Sorti cette semaine, «Mon grand amer» marque une nouvelle étape sonore et textuelle. De «Carnet d’un visage de pluie», le prédécesseur, il reste la musicalité, l’envie de proposer du rock mélodique et fourni. La nouvelle œuvre offre une sorte de continuité dans l’innovation. «On voulait quitter le mid-tempo, sonner plus rock, plus pêchu», admet le Prévôtois.

Cette immédiateté non singée, qui s’exprime dans des formats plus courts, naît de l’expérience scénique de l’album précédent. «C’est un bon disque, mais en live, il manque de fraîcheur», admet Sébastien Froidevaux, compositeur-guitariste dont la six-cordes a jadis façonné Galaad. «Il y avait un décalage entre le studio et les concerts. ‹Mon grand amer› est davantage écrit pour la scène, il est le produit de la perception un peu molle de ‹Carnet d’un visage de pluie›. On veut faire bouger les gens avec des tempos plus dynamiques, certains nouveaux titres vont tout droit, n’ont aucune fioriture. Plus les ficelles sont grosses, plus ça passe à la radio!» Il précise:«Même avec une construction plus légère, on propose toujours de la musique élaborée».

Avec le batteur de Coroner

Une piste, entêtante dès la première écoute, s’érige en symbole. «Dingue de toi» est frais, entraînant. Poppy, c’est le terme approprié. «Avec ce type de morceau, on espère toucher tout un chacun», note PyT. Qui navigue loin du quai, du rock prog de ses jeunes années à la capillarité si dense. «Nous sommes dans un état d’esprit qui nous libère de quelque chose», reprend-il. «Au début des années 90 avec Galaad, on composait à cinq sur un pied d’égalité. Nous étions confinés à un style, au rock progressif. Là, on est Sébastien et moi. On s’est échangé des fichiers par ordinateur, un processus simplifié par rapport à l’interminable jeu relationnel à l’interne d’un groupe.»

La production du Delémontain Carryl Montini, déjà aux manettes sur «Carnet d’un visage de pluie», passe également à l’échelon supérieur. Serait-ce un des bienfaits du boulot de Diego Rapacchietti derrière les fûts? Loin des canons de la pop-rock émotionnelle de PyT, le Jurassien gagne en partie sa croûte comme batteur de Coroner, le cultissime groupe de metal. «Sa présence sur ce disque est une question d’amitié, de confiance», dit PyT.

Un concept qui s’ignore
Le pilonnage tout en nuances de Rapacchietti défriche de nouveaux espaces, nourrissant l’immédiateté recherchée. «Sébastien a composé en s’appuyant sur une rythmique électronique; Diego a transcendé la machine», s’envole PyT. «Il a amené son savoir-faire, la puissance phénoménale de son jeu. Même dans les parties plus intimistes, il place la barre très haut. Il y met toute son âme, il s’implique totalement.» Batteur de toujours du barde prévôtois, Laurent Pétermann a été mis sur la touche. Ecarté, le copain. Rude. «Laurent était complètement d’accord avec ce choix», explique Froidevaux, qui a enregistré ses parties (guitare, basse, clavier) chez lui, sur Fribourg. «Laurent est davantage un batteur de scène que de studio. D’ailleurs, c’est toujours lui qui assure la batterie en concert.»

Textuellement parlant, PyT a profité d’une résidence au Pantographe de Moutier, entre juin et septembre dernier, pour pondre sans relâche. Une vieille piaule au capharnaüm joliment organisé, sa plume, son âme et du papier maculé d’encre. «C’est là que j’ai écrit une bonne partie des textes. J’ai également pioché dans d’autres paroles que j’avais en stock», dit-il. «Il y a souvent une dimension d’exploration dans ce que j’écris. Cette fois, je suis à mi-chemin.»

Un étrange sentiment de liaison émane de ses mots, comme si «Mon grand amer» était son grand tout, dans la lignée des concept-albums qui imprègnent l’histoire du rock. «Il n’y a pas de thème préétabli, mais c’est un concept dans l’attitude, par des paroles posées sur des réflexions, des intervalles d’existence, des carnets intimes. Avec sa musique, Sébastien y apporte ses propres vibrations. C’est la vie vue à travers deux sensibilités.» La belle vie.

Pierre-Yves Theurillat en six étapes

«Premier février», Galaad (1992)
Le jet originel de cinq gars encore chevelus. La naïveté rafraîchissante des débuts desservie par une production fragile. De belles notes, de beaux mots. Et des maux, ceux du rock progressif pur et dur version clichés.
«Vae Victis», Galaad (1995)
Un chef-d’œuvre, un monument encensé par la presse spécialisée. L’avènement d’un nouveau genre, parfaite fusion entre prog, metal et pop-rock léchée. «Vae Victis» est vénéré aujourd’hui encore. Un album culte, ici et ailleurs. D’un succès d’estime à la séparation de Galaad.
«Confidences de mouche», L’Escouade (2010)
Le retour de Pierre-Yves Theurillat après des années de galère. Une œuvre tout en toucher, en douceur acoustique, en légèreté. Un brin inégael. Une parenthèse récréative qui comprend le merveilleux «Bibi», un des plus somptueux fragments de «pytographie».
«Carnet d’un visage de pluie», PyT (2013)
Pierre-Yves Theurillat assume. Le barde prévôtois mène sa barque accompagné d’une poignée d’anciens de Galaad, dont le guitariste-compositeur Sébastien Froidevaux. PyT scribouille, «Séba» grattouille. PyT et «Séba», «Séba» et PyT. Pour un résultat splendide, du rock mélodique teinté de prog. Un petit bijou quoiqu’un peu mou du genou.
«PyT passe par le SAS», PyT (DVD live, 2013)
Immortalisation en son, en images et en public d’une résidence au SAS, la salle delémontaine, agrémentée d’un sympathique «making of» et d’une interview de PyT, entre brisures et confidences.
«Mon grand amer», PyT (2015)
PyT et «Séba», acte II. Digne successeur de «Carnet d’un visage de pluie», le punch et l’immédiateté en plus. Vingt titres, pour un concept album qui n’en est pas un, servis par une production aux petits oignons. J’achète!

Amer et contre tous

Investissement «Mon grand amer». Amer? Sébastien Froidevaux l’est. Beaucoup même. «De l’amertume, oui, mais je suis surtout réaliste», coupe le guitariste-compositeur. Réaliste, et froidement. Aussi belle soit-elle, la deuxième galette de PyT est vouée aux oubliettes. «Ce disque est à peine sorti qu’il va disparaître», soupire «Séba». «Plus que de l’amertume, je ressens de la frustration. C’est même à se tirer des balles! Si Alain Souchon ou Laurent Voulzy chantait ‹Dingue de toi›, l’accès aux radios serait bien différent. Dans ‹Carnet d’un visage de pluie›, un morceau comme ‹Des temps inoubliables› avait du potentiel. Mais il était trop prog, trop élaboré pour les radios. Imaginez, il y a même un solo de guitare!» Un solo? Mais quelle horreur!

La famille, les gamins, le boulot et la musique, cette grande sœur envahissante qui demande temps et argent. «Sortir un disque de nos jours, cela prend de l’énergie. C’est un tel investissement... Il faut avoir l’envie et la passion.» Et quelques deniers. Pour les 77 minutes et 43 secondes de «Mon grand amer», on tape allègrement dans les 20000 fr. «La technique actuelle permet d’enregistrer plus facilement», tempère Froidevaux. «Corollaire, tout le monde sort des disques! Il y a tant de groupes, tant de productions, que la musique n’a plus aucune valeur. Sur Facebook, tout le monde nous aime mais personne n’achète. Les musiciens doivent donner toujours plus pour ne rien recevoir.»

Le monde a changé, la musique aussi. Le disque en tant qu’objet n’existe plus, sauf dans son versant classieux matérialisé par la renaissance du vinyl. Le splendide livret de «Mon grand amer» en format double 33 tours? «Une belle idée, mais on finance comment?», assène-t-il. Amer, Sébastien? «Oui, mais cela reste fantastique de voir mes compositions jouées sur scène par des musiciens. Je me réjouis pour samedi soir!»
 

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