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Bienne

Affaires en famille

La société Villiger vend des montres et des bijoux depuis plus de 100 ans. Cette année, le patron Karl Villiger passera le témoin à son fils Stephan, héritier de la quatrième génération.

Photo Peter Samuel Jaggi

Marjorie Spart

L’enseigne Villiger se dresse fièrement à la rue de la Gare à Bienne, depuis plus d’un siècle. Dans ses vitrines se côtoient de grandes marques horlogères comme Longines, Rado, Tissot ou encore IWC Schaffhausen. Plus loin des bagues, boucles d’oreilles et autres pendentifs sont mis en lumière.

Une fois passé le sas de sécurité, c’est Karl Villiger qui vous accueille. Mais n’allez pas dire qu’il règne en maître dans son magasin. S’il est bien le patron des lieux depuis 39ans, il lui importe beaucoup que ses employés se sentent bien. «La qualité de vie est ce qui a le plus de valeur à mes yeux. Bien plus que de réaliser un énorme chiffre d’affaires», martèle-t-il. Au moment où il s’apprête à passer la main de son commerce à son fils Stephan, représentant de la quatrième génération Villiger, il assure que «le monde serait bien plus agréable si tous les gens avaient de bonnes conditions de travail».

Qualité de vie avant tout
Ouvert en 1911 par son grand-père Adolf (lire ci-dessous), le magasin a toujours été localisé à Bienne. Cité horlogère par excellence, la ville est pourtant ouvrière. N’aurait-il pas mieux valu pour les affaires, d’ouvrir une boutique de montres et de bijoux dans un lieu plus prestigieux? «Je ne me suis jamais battu pour gagner plus d’argent, mais pour conserver une certaine liberté», philosophe-t-il, en confirmant qu’il avait atteint cet objectif. Et de prendre le contre-exemple de son cousin qui tient boutique à Gstaad: «Je n’envie pas du tout son train de vie. Entre décembre et mars, son magasin de montres est ouvert tous les jours...» relate Karl Villiger. «A Bienne, nos horaires et nos ventes sont stables. L’important est que nous ayons assez d’argent à la fin du mois pour payer nos employés et nos factures.»

Karl Villiger n’a jamais songé à déménager. Il aime Bienne et sa mentalité empreinte des deux mentalités. «C’est une force de vivre au cœur de deux cultures différentes. Je pense d’ailleurs qu’une partie du succès de Rolex et Omega vient de l’ouverture d’esprit des lieux.»

Aujourd’hui, l’entreprise Villiger emploie neuf personnes: six à la rue de la Gare, et trois autres dans une échoppe à la rue du Collège qu’elle a rachetée en 2014. Si le service après-vente constitue l’essentiel de leur travail, le chiffre d’affaires provient surtout de la vente des montres.

L’évaluation des bijoux fait aussi partie de leur quotidien. Depuis peu, l’entreprise a acquis un appareil capable de définir le taux des différents métaux contenus dans les alliages des montres et des bijoux. «Nous l’utilisons pour évaluer les bijoux qu’on nous apporte, notamment lors d’héritage. Nous découvrons pas mal de contrefaçons. Un phénomène qui s’est accentué ces dernières années», soulève Karl Villiger.

Dans la continuité
Lorsqu’on lui demande les moments marquants de l’entreprise, Karl Villiger évoque la crise des années 30 qui a obligé son grand-père à renoncer à la boutique située à la rue de Nidau. Les deux guerres mondiales ont aussi pesé sur l’entreprise, tout comme les crises horlogères. «Ma mère ne voulait d’ailleurs pas que j’apprenne le métier d’horloger», sourit l’entrepreneur qui s’est formé dans la mécanique. «Mais le destin m’a rattrapé, suite à la mort prématurée de mon père en 1979. Ma mère m’a beaucoup aidé lorsque j’ai dû reprendre l’entreprise», se souvient-il.

Karl Villiger apprécie de travailler en famille. «Nous discutons ouvertement des décisions à prendre, lors de nos balades du dimanche dans la nature.» Sa fille, Anna-Sophie, qui est gynécologue, donne aussi son avis. «Elle nous apporte un regard externe bienvenu», plaide Karl Villiger. S’il se dit heureux de travailler avec son fils, et que celui-ci ait accepté de prendre la tête de l’entreprise, il nie l’avoir forcé. Ce que confirme Stephan: «Ayant effectué des études en microtechnique, j’ai hésité à reprendre la société. Mais plusieurs personnes m’ont dit que si j’avais l’opportunité d’être indépendant, je devais la saisir», explique-t-il.

Malgré l’héritage familial, il ne sent pas le poids sur ses épaules. «Je suis de caractère optimiste! Et je suis bien entouré  pour reprendre la société en douceur.» Ayant grandi avec l’entreprise, il s’y sent attaché. Et se dit motivé à y apporter sa patte. Pour accueillir une certaine clientèle chinoise industrielle, il a même appris le mandarin...

Ce qu’il compte changer chez Villiger? «Je vais m’atteler à la digitalisation de l’entreprise. Là, il y a du travail!» Mais Stephan assure que rien de fondamental ne changera. «Je partage le même état d’esprit que mon père. Je ne compte pas faire grandir démesurément notre entreprise, mais y faire des choses qui me plaisent.» Encore célibataire, le jeune homme est catégorique: «Jamais je ne demanderai à ma femme de travailler avec moi. A chacun sa liberté. Et mes enfants choisiront librement leur carrière.»

 

«Dans la famille, on a attrapé le virus de l’entrepreneuriat il y a longtemps!»

La fibre entrepreneuriale fait partie intégrante de l’ADN de la famille Villiger à Bienne. «On a attrapé le virus depuis longtemps», se plaît à dire Karl Villiger. Lui dirige la société qui porte son nom de famille depuis 1980. Mais il est déjà le représentant de la troisième génération à la tête de cette enseigne qui vend des montres et des bijoux dans la cité seelandaise.

Elle a vu le jour en 1911 sur la volonté d’Adolf Villiger, le grand-père de Karl. «A l’époque, le premier magasin était situé à la rue de Nidau. Puis, mon aïeul a acquis un local à la rue de la Gare», relate Karl Villiger. Les frères et sœurs de son grand-père ont, eux aussi, ouvert leur propre commerce, «dont deux dans le domaine des bijoux», précise-t-il.

Le terreau est là depuis plus de 100ans, mais le sort a aussi mis son grain de sel dans cette saga familiale pour contrecarrer certains plans. Ainsi, par deux fois, un décès inattendu de membres de la famille en a obligé d’autres à se lancer dans l’entreprise, alors qu’ils n’y étaient pas destinés. «Mon père René a succédé à Adolf, alors que c’est son frère aîné qui aurait logiquement dû prendre la suite. Mais ce dernier est mort dans un accident en montagne», raconte Karl Villiger. «Mon père a alors interrompu ses études en médecine pour se tourner vers l’horlogerie et la gemmologie.»

Karl, lui non plus, n’était pas pressenti pour reprendre le flambeau. Formé dans la mécanique de précision, il laissait la voie libre à son frère de 13 ans son cadet. «Mais lorsque notre père est décédé en 1979, également des suites d’un accident de montagne, mon frère n’avait que 14ans. J’ai donc abandonné mon emploi à Baden pour revenir à Bienne dans l’entreprise familiale», décrit Karl Villiger. Il entame alors une reconversion dans l’horlogerie et dans la gemmologie. Karl Villiger voue d’ailleurs une véritable passion aux pierres précieuses dont il possède une belle collection. Il se réjouit de pouvoir étudier de près ses gemmes lorsqu’il aura pris officiellement sa retraite. Celle-ci devrait intervenir en 2022, lorsqu’il aura remis la gestion opérationnelle à son fils Stephan et la tête du conseil d’administration à sa fille Anna-Sophie. «A 70 ans, ce sera l’heure pour moi de passer entièrement la main», conclut-il, en soulignant qu’il sera toujours disponible si ses enfants sollicitent ses conseils.

Durant toutes ces années, Karl Villiger s’est dit chanceux dans son travail: «Je fais un très beau métier car je côtoie des gens dans une phase positive de leur vie. On vient chez moi pour se faire un cadeau personnel ou pour offrir un bijou ou une montre à un être cher. Des gestes qui font plaisir.»

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