Amendé pour avoir joué du cor des Alpes dans le Jura

Par Alexandre Wälti

«Je joue du cor des Alpes grâce à des voisins. Ils m’ont vendu mon premier instrument à bon prix à l’âge de 16ans et m’ont initié à la pratique», explique Jonas Scheidegger dès le début de la rencontre dans une brasserie de Nidau. Le jeune Biennois de 22ans est aujourd’hui un membre actif du groupe de cor des Alpes Aarelouf à Port et joue aussi dans les fêtes ou les mariages.

Habitué à dégainer son instrument en pleine nature, Jonas Scheidegger reste encore surpris par l’amende qu’il a reçue du Ministère public jurassien le 1er décembre, comme l’a révélé le «Blick» jeudi dernier. En mars cette année, filmé par une amie, il interprète «Smoke On The Water» de Deep Purple au bord de l’étang de la Gruère. Soudain, le garde-faune de la zone, «aimable et cordial» selon lui, s’approche et lui demande d’arrêter car il se trouve dans une réserve naturelle. Il s’exécute.

Attrait pour le savoir-faire

«J’ai été surpris par l’amende car je ne savais pas que c’était interdit et je pensais qu’il s’agissait d’un simple avertissement oral», explique-t-il. Résultat: 100 francs d’amende et 71 francs de participation aux frais judiciaires. Raison de la condamnation par voie d’ordonnance pénale: l’article 3, alinéa i, de l’arrêté mettant l’étang de la Gruère et ses environs immédiats sous la protection de l’État condamne toute personne qui «trouble la tranquillité, notamment par l’utilisation de récepteurs de radio (transistors) et autres appareils à musique» (voir ci-dessous).

Jonas Scheidegger a fait ses premières gammes de musicien avec un cor d’harmonie dans l’ensemble de jeunesse de la musique de la ville de Bienne. Il se souvient encore, avec candeur et des yeux pétillants, de son premier contact avec le cor des Alpes: «J’avais cinq ans lorsque j’ai entendu pour la première fois cet instrument lors d’une balade en montagne. J’ai été secoué par la puissance de l’écho et j’ai depuis toujours rêvé d’en jouer. À présent, c’est chose faite et je veux devenir joueur professionnel.»

Les costumes traditionnels portés par les joueuses et joueurs de cor des Alpes ont également un grand intérêt pour le Biennois. «Ma grand-mère faisait partie du groupe folklorique de Choufaille à Täuffelen, et j’étais fasciné de la voir s’appliquer autant de temps à coudre ou broder ses habits», s’émerveille-t-il encore avec fierté. Il apprécie l’aspect traditionnel de son activité mais il espère surtout que «les groupes de joueurs de la région et de Suisse en général renouvellent progressivement le répertoire de mélodies pour attirer plus de jeunes». L’École de musique de Bienne propose par ailleurs des cours de cors des Alpes pour des enfants dès 7 ans depuis peu.

Contester l’amende

D’un geste vif, il sort soudain une embouchure de bois et l’autre de carbone de son pull à capuchon, soucieux d’expliquer les caractéristiques de son instrument fétiche. «Le cor en carbone est génial parce qu’il est plus léger et je peux jouer dans les rues à Berne ou lors de mes randonnées par exemple», précise-t-il. Il permet aussi une variation de la longueur de l’instrument et par conséquent «le son qui sort change à chaque niveau».

Passionné par son art qu’il souhaite partager avec le plus grand nombre, Jonas Scheidegger ne compte pas s’incliner si facilement devant la justice jurassienne. «Je ferai opposition sur le principe», affirme-t-il. «J’espère au moins qu’un pictogramme d’interdiction de jouer de la musique sera bientôt installé à l’entrée de la réserve, et qu’une mention plus claire des instruments à musique sera ajoutée dans l’arrêté», conclut-il.

Changer l’arrêté jurassien

La liste des pictogrammes présents dans les réserves naturelles suisses dépend de directives fédérales. Louis Roulet, collaborateur scientifique et en charge des réserves naturelles au département de l’Environnement de la République et Canton du Jura, le confirme, en soulignant qu’à ce jour «il n’existe officiellement aucun pictogramme illustrant l’interdiction de jouer d’un instrument à musique dans les réserves naturelles».

En revanche, dans le cas de l’étang de la Gruère, la perturbation de la tranquillité des animaux peut tout de même aboutir à une condamnation pénale. «Dans l’expression ‹appareils à musique›, nous pouvons aujourd’hui déjà inclure les instruments. À l’avenir, la nouvelle mouture de l’arrêté, actuellement en discussion, pourrait spécifier plus clairement l’interdiction des instruments de musique.»

Le collaborateur scientifique ajoute enfin qu’il n’y a «aucune volonté de cibler le cor des Alpes plutôt qu’un autre instrument». Le système d’information à l’entrée de la réserve devrait dès lors s’améliorer dans les années à venir.